Analyse et modélisation des trajectoires des dispositifs à concentration de poissons dérivants (DCP) dans les zones océaniques tropicales
La pollution engendrée par la pêche, une menace pour les océans
L’importance du milieu océanique
L’océan recouvre environ 70% de la surface de la terre et produit plus de la moitié de l’oxygène que nous respirons (Environment 2017). En interagissant avec l’atmosphère, il joue un rôle indispensable de contrôle et de régulation des grands équilibres naturels qui rendent notre planète habitable. L’océan abrite également une immense variété de ressources vivantes qui ont été exploitées depuis longtemps par l’être humain (Yellen et al. 1995; Caddy & Majkowski 1996) et représentent la ressource principale d’alimentation pour environ 3.5 milliards de personnes. L’océan a aussi un impact économique considérable sur plusieurs secteurs comme le transport, l’énergie ou le tourisme. La préservation de l’océan est donc un impératif autant écologique qu’économique. Mais les activités humaines, qu’elles soient maritimes ou terrestres, conduisent à divers changements ecolo-physico-chimiques qui perturbent et dégradent l’océan, comme par exemple le réchauffement et l’acidification des eaux qui engendrent des zones désoxygénées où la vie sous-marine ne se développe plus.
La pollution marine
La pollution est l’une des principales menaces qui pèsent sur les océans et les eaux côtières qui reçoivent un grand nombre de déchets constitués majoritairement de plastique. Les déchets marins sont définis comme toute matière solide persistante, fabriquée ou transformée, et rejetée ou abandonnée dans l’environnement marin et côtier (United Nations Environment Programme 2005; Galgani et al. 2010). Les organismes marins ingèrent ces déchets ou bien s’emmêlent dedans, souvent avec des conséquences fatales (Derraik 2002). Il existe de nombreuses mesures régionales, nationales et internationales visant à prévenir et à atténuer l’impact de ces déchets, mais elles ne permettent pas de faire face à l’ampleur et à l’accélération du phénomène (Borrelle et al. 2017). La plupart des déchets et polluants marins sont d’origine terrestre, avec une masse totale qui atteint jusqu’à 12,7 millions de tonnes métriques de plastique entrant dans l’océan chaque année (Jambeck et al. 2015; Haward 2018). Cependant, une partie importante des déchets et polluants marins provient des activités maritimes, en particulier la pêche, en raison d’équipements jetés, abandonnés, ou perdus (United Nations Environment Programme 2017; Lebreton et al. 2018; Richardson et al. 2019) 6 2. Les DCP dérivants, un équipement de pêche qui impacte les océans
La pêche au thon tropical
La pêche au thon fait partie des pêcheries les plus lucratives au monde, avec une valeur marchande estimée à plus de 42 milliards de dollars par an (Galland et al. 2016). Elle a émergé vers la fin des années 1940 suite à la demande croissante en thon en conserve (Miyake et al. 2004) et s’est développée depuis afin de soutenir la sécurité alimentaire, créer des emplois, et contribuer à la croissance économique dans de nombreux pays (Bell et al. 2009; ISSF 2019). Bien que la pêche au thon était au départ artisanale et locale, la pêche industrielle s’est rapidement développée. Sept espèces de thons ont un grand intérêt commercial à l’échelle mondiale, le germon (Thunnus alalunga), le thon rouge (Thunnus thynnus), le thon bleu du Pacifique (Thunnus orientalis), le thon rouge du sud (Thunnus maccoyii), la bonite à ventre rayé ou listao (Katsuwonus pelamis), le thon albacore ou thon à nageoires jaunes (Thunnus albacares) et le thon obèse ou patudo (Thunnus obesos). Ces espèces représentaient une capture totale estimée à 4.9 millions de tonnes en 2017, majoritairement constituée de trois espèces : le listao (58% de la capture totale), l’albacore (28%) et le patudo (8%) (ISSF 2019). De multiples engins de pêche sont utilisés dans la pêche au thon. Au début, la palangre et la pêche à la ligne étaient les principaux engins utilisés, mais actuellement c’est la pêche à la senne (Fig. I.1) qui est la technique employée majoritairement pour capturer le thon tropical (« Purse seine », environ 65% de la capture totale ; Fig. I.2). Ce changement s’est produit dans les années 1980, notamment en raison du développement rapide de l’utilisation des objets flottants dérivants sous lesquels les thons s’agrègent (Fonteneau et al. 2000; Castro et al. 2002). 7 Figure I.1: Pêche à la senne coulissante (© Australian Fisheries Management Authority). Figure I.2: Captures totales par année et par engin de pêche des principales espèces de thonidés pêchés sur la période 1950-2017 (ISSF 2019, « Purse seine » = pêche à la senne.).
Le comportement d’agrégation des thons sous les objets flottants
Les objets qui flottent à la surface ainsi que certains grands êtres vivants peuvent concentrer naturellement le poisson et les pêcheurs profitent de ce comportement d’agrégation pour augmenter leurs captures et diminuer le temps de la recherche des bancs de poissons dits libres (Fréon & Dagorn 2000; Castro et al. 2002; Dempster & Taquet 2004). Ce phénomène 8 n’est pas récent. Il date d’au moins le 18ème siècle av. J.-C, d’après une représentation peinte sur un vase grec trouvé sur l’île d’Ischia en Italie (Viñuales-Solé 1996). Les agrégations sous objets flottants, ancrés ou dérivants, concernent des centaines d’espèces marines, et pas seulement les espèces cibles de la pêche au thon (Fréon & Dagorn 2000; Castro et al. 2002). Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce comportement, suggérant que les objets flottants représenteraient un endroit favorable pour la recherche alimentaire (Hunter & Mitchell 1967), une zone de refuge contre les prédateurs (Gooding & Magnuson 1967), un point de rencontre facilitant la formation des bancs (Dagorn & Fréon 1999; Fréon & Dagorn 2000) ou un indicateur de zone riche en nutriments (Hall 1992). Ces deux dernières hypothèses semblent être les plus privilégiées par la communauté scientifique.
L’utilisation des DCP et son développement dans la pêche au thon tropical à la senne
Au début des années 1960, les pêcheurs ont commencé à fortement s’intéresser au comportement d’agrégation des thons sous les objets flottants. Ils ont ainsi considérablement focalisé leurs efforts de pêche sur les bancs associés (c’est-à-dire les bancs regroupés sous des objets flottants, au contraire des bancs libres), en particulier dans les Océans Pacifique Est et Atlantique. Au début, les pêcheurs suivaient les objets flottants et attendaient que suffisamment de thons s’agrègent en dessous avant de déployer leur filet (Greenblatt 1979). Les objets flottants étaient initialement naturels, par exemple des amas d’algues, des mammifères marins ou des débris de bois terrestres entrés dans l’océan par l’embouchure des fleuves (Greenblatt 1979; Fig. I.3 A-C). Au fil du temps, les objets flottants artificiels sont devenus prépondérants, suivant l’augmentation des débris issus des activités terrestres et marines rejetés dans les océans (Caddy & Majkowski 1996; Fig. I.3 D-F). Devant l’efficacité de la pêche sous ces divers objets, la communauté des pêcheurs a commencé à développer ses propres dispositifs, appelés Dispositifs de Concentration de Poissons (DCP) (Fig I.3 G-I), qui peuvent être ancrés ou dérivants . Les DCP ancrés ont été déployés pour la première fois à la fin des années 1960 aux Philippines et en Indonésie pour soutenir la pêche au thon tropical à la ligne (Itano et al. 2004). L’efficacité de ces DCP ancrés a rapidement encouragé les senneurs à déployer leurs propres DCP dérivants partout dans le monde (Fonteneau et al. 2000; Bromhead et al. 2003)
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