Analyse du curriculum prescrit
Les objectifs généraux assignés par les politiques d’état « Qu’enseigne-t-on aux adolescents aujourd’hui à l’école secondaire ? » Gauthier (2006) interpelle ainsi les responsables politiques du monde éducatif et les décideurs politiques. Une pareille interrogation se pose un peu partout dans les différents pays du monde. Les réponses officielles peuvent se trouver dans les objectifs généraux assignés à l’éducation par les politiques d’états. Mais, comme disait aussi Gauthier (2006), ces réponses ne disent pas toujours d’une façon claire quelles sont les connaissances et compétences que sont censés acquérir les élèves, quels sont les objectifs à atteindre, ni quel type d’individu l’on cherche à former à travers ces formations. Les politiques d’états sont censées porter un projet de société qui se décline aussi dans un projet d’éducation des enfants et des jeunes. Ceci implique la définition d’orientations sur la conception, l’organisation, les programmes et les activités assignés à l’école. Mais énoncer des finalités et des objectifs généraux ne suffit pas. Si l’on veut que ces orientations aient des chances d’être mises en œuvre, il est nécessaire de les opérationnaliser dans les processus d’enseignement, en précisant les valeurs à transmettre, les besoins et les démarches, les programmes et curriculums. De nombreux travaux de recherche se sont penchés, en particulier dans le cadre de la sociologie des curriculums, sur différents contextes : ils favorisent une meilleure connaissance sur les finalités et les objectifs assignés en matière d’éducation et d’enseignement.
Les finalités assignées à l’enseignement secondaire
Il est d’abord nécessaire de définir le sens que nous donnons ici au terme « finalités » avant de nous pencher sur les recherches tentant de les analyser dans divers contextes internationaux. Quant à nous, nous reprendrons la définition donnée par l’UNESCO (Ch06 : Unesco, Unesco.org). Le mot finalité dans ce contexte signifie « un énoncé qui reflète une philosophie des principes, une conception de l’existence ou un système de valeurs et qui indique d’une manière très générale les lignes directrices d’un système éducatif ou d’un établissement d’enseignement ». Ainsi un énoncé qui découle du désir politique de produire Analyse du curriculum prescrit 68 une transformation de la société est une finalité à laquelle les enseignements doivent donner du sens (source : unesco.org). Ces lignes directrices doivent être concrétisées dans un système éducatif ; aussi les divers cursus et programmes d’études offerts aux élèves doivent s’y référer. En outre, les enseignants doivent pouvoir repérer aisément ces finalités dans les documents et discours officiels des responsables. Par exemple, la volonté de « produire une transformation de la société » est sans aucun doute une finalité souvent présente (UNESCO.org….). Mais on ne peut se contenter d’énoncer cela comme principe général sans se donner les moyens de définir ce qui dans les enseignements peut y répondre. De même, il faut que les enseignants puissent comprendre ce que l’on attend d’eux et disposent des moyens (matériels, intellectuels, humains) pour y arriver. Sans cela, l’énoncé reste une belle formule coupée de toute réalité. Ainsi, dans les pays du Sud subsaharien, Cheikh-AW (INAPE, UNESCO, 2000) montre que trois ordres de finalités sont assignés à l’enseignement secondaire : Raffermir chez les jeunes les connaissances de base en vue d’élever leur niveau de culture générale ; Préparer les élèves à s’insérer harmonieusement dans la vie active professionnelle et sociale ; Préparer les élèves à l’enseignement secondaire, à l’enseignement supérieur ou aux écoles professionnelles et techniques. Au Conseil de l’Europe, la recommandation numéro 99 (19 janvier 1999) stipule les finalités suivantes : Acquisition de connaissances ; Développement personnel ; Socialisation.
Les objectifs généraux définis pour l’enseignement secondaire
L’objectif général est « un énoncé, en termes plus ou moins précis, de ce vers quoi tend l’apprentissage » (Unesco.Org). La définition donnée des résultats escomptés de l’apprentissage représente un point particulier dans l’orientation générale du programme ; cela représente donc une précision du but à atteindre. Mais à travers ces définitions, la différence entre finalités/objectifs n’est pas bien expliquée. Des distinctions peuvent être faites dans le cas où les finalités définissent le but recherché dans une formation : elles peuvent être exprimées en termes de compétences (capacité à utiliser dans un contexte donné ses connaissances théoriques ou techniques en ayant les attitudes appropriées). Les objectifs se déclinent alors en termes d’objectifs opérationnels (ou spécifiques) qui décrivent dans le détail ce qu’on attend des étudiants au terme d’un enseignement (crame, Université de Bordeaux-2, mars 2007) Les perspectives de développement du système éducatif dans le monde reposent en général sur le principe suivant : assurer le développement du système éducatif à tous les niveaux d’enseignement afin de satisfaire la forte demande sociale d’une éducation de qualité et que les sortants du système éducatif répondent aux besoins réels socio-économiques de chaque pays et de la personne d’une façon globale. Ainsi, le défi majeur de l’enseignement secondaire est de préparer les élèves qui le souhaitent, et qui le peuvent, à la poursuite des études dans l’enseignement supérieur ou entamer une formation professionnelle spécialisée (formations de cadres intermédiaires) en général. Il s’agira essentiellement pour ce second cycle d’enseignement de : Renforcer et compléter les acquis de l’enseignement de base ; 69 Donner aux jeunes les connaissances, les compétences, les savoir-faire et les attitudes dont ils auront besoin pour faire face aux défis majeurs de la société ; Préparer les jeunes aux études supérieures et à l’éducation tout au long de la vie, au travail et à la vie quotidienne.
Le cas des Comores
Plusieurs textes permettent de comprendre la politique éducative suivie aux Comores. Il s’agit d’abord de la loi d’orientation n°94-035/AF du 20 décembre 1994 (révisée en juin 2006) qui définit la référence générale. Le plan directeur quinquennal 2005/2009 (plan directeur de l’éducation et de la formation pour la période 2005-2009) est un outil d’opérationnalisation qui essaie de traduire en programme d’action pour la période 2005/2009. Il a été validé techniquement en décembre 2004. Le plan national de l’éducation pour tous (PNA/EPT(2015)) est un document politique et stratégique pour le développement de l’éducation nationale à l’horizon 2015. Cette loi d’orientation est l’aboutissement d’un long parcours. Elle est une conséquence de la Conférence mondiale sur l’Éducation pour tous, tenue en 1990 à Jomtien au Japon. Cette conférence internationale a été suivie par l’organisation, aux Comores, des États généraux de l’Éducation en juillet 1994. Les principes et orientations générales des études y ont été définis. Puis, le 20 janvier 1995, il a été procédé à l’élaboration technique du Plan directeur de l’Éducation et de la Formation : ce dernier a été adopté par le gouvernement en mai 1996. Les priorités en sont l’accès à l’éducation de base pour tous et le développement de la formation technique et professionnelle et son objectif est l’amélioration de la qualité de l’enseignement secondaire et sa nécessaire orientation vers les filières scientifiques. Le Forum mondial sur l’Éducation de Dakar (2000) définit ainsi son objectif principal : « améliorer sous tous ses aspects la qualité de l’éducation dans un souci d’excellence et de façon à obtenir pour tous des résultats d’apprentissage reconnus et quantifiables, comme le calcul, la lecture et les compétences indispensables dans la vie courante ». Ce Forum montre son attachement à la promotion des valeurs universelles, tout en reconnaissant la nécessité de prendre en compte les particularités locales (valeurs locales). À la suite du Forum mondial, et sur la base du bilan et des recommandations qui en sont issus, se sont tenus (juin-juillet 2002) les deuxièmes États généraux de l’Éducation et de la Formation des Îles des Comores. Ils ont concrétisé l’engagement des Comores à l’élaboration du Plan national de l’Éducation pour tous (PNA-EPT2004) à l’horizon 2015. Cela a abouti (juin 2006) à la révision de la loi d’orientation qui a défini dans le préambule de sa nouvelle version les choix fondamentaux qui orientent le système éducatif des Comores. L’Union des Comores entend promouvoir une éducation accessible au plus grand nombre et pertinente quant aux besoins de la société et des individus qui la composent. Elle suit bien les recommandations de l’Unesco (Dakar, 2000). Dans cette perspective, en ce qui concerne l’enseignement secondaire, le système éducatif se voit assigner les finalités suivantes : « rendre possible l’épanouissement des aptitudes individuelles et former des personnes capables, chacun à son niveau et selon ses compétences, de participer effectivement au développement économique et social du pays » (préambule de la loi d’orientation sur l’éducation, décembre 1994). Les perspectives de développement du système éducatif reposent en général sur le principe suivant : assurer le développement du système éducatif à tous les niveaux et satisfaire la forte demande sociale d’une éducation de qualité et d’une main d’œuvre qualifié. Ces finalités doivent être traduites ensuite en terme d’objectifs ; ceux-ci ne peuvent être définis sans tenir compte des réalités sociales, économiques, financières et sociologiques, comme des réalités des individus, physiologiques et psychologiques. Ces réalités sont donc à connaître. C’est à travers un inventaire exhaustif et définitif de ces réalités que les objectifs 70 doivent être tracés, au moins dans leurs grandes lignes. Cela nécessite aussi de connaître les expériences menées à travers le monde, de faire l’inventaire des moyens structurels les mieux adaptés, d’identifier les moyens et pratiques pédagogiques testées de façon à construire des modèles réalisables et adaptés aux réalités locales. Cependant, les objectifs généraux définis pour l’enseignement secondaire comorien sont définis en termes quantitatifs et de maîtrises de compétences très vaguement définies : Assurer l’accès à l’enseignement secondaire de 70% des enfants qui achèvent le cycle primaire ; Accroître le taux brut de scolarisation de 51% en 2009 ; Atteindre un seuil minimum de maîtrise des compétences de base pour au moins 70% des élèves du secondaire. Quel sens donner à l’expression « maîtrise des compétences de base pour des élèves du secondaire » ? De tels objectifs se placent dans la perspective de l’enseignement secondaire pour tous. Nous pensons qu’il s’agit d’une ouverture massive de l’enseignement secondaire et que cette façon de faire reste une difficulté majeure à la mise en œuvre car la diffusion des savoirs n’est pas qu’une affaire quantificative : se posent les questions des examens, des évaluations, de la sélection et voire même des contenus de l’enseignement. Les Comores se situent dans les recommandations de l’UNESCO mais sans tenir compte de certains paramètres qui empêcheront la traduction sur le terrain de ces objectifs. Les Comores ont-ils les moyens permettant la mise en œuvre des tels objectifs et voire même de les atteindre ? Nous savons bien que les objectifs sont définis et interprétés par rapport au niveau de développement social, économique et culturel de chaque pays. Aussi les reformes actuelles placent les curriculums et leur évolution au cœur des débats engageant l’éducation. Les tableaux 5.1 et 5.2 visent à résumer de façon synthétique les objectifs généraux et les finalités assignés à l’enseignement secondaire par la loi de 2006. A propos de cette loi, nous ne citons ici que les trois principales orientations : Éducation au service du développement économique et social ; Élève centre d’intérêt de l’activité éducative ; École, pôle de développement de la communauté.
Influence des organismes internationaux sur les politiques éducatives des Comores
Le système éducatif comorien est confronté aux recommandations internationales des objectifs de l’EPT (École pour tous). Ces objectifs ne sont pas tenables sans des apports externes. Dans cette perspective, les autorités nationales doivent se soumettre à certaines logiques établies par les organismes internationaux qui sont des garanties juridiques et des engagements forts en échange de leurs soutiens. Cela passe d’abord par la sensibilisation de la population et l’institutionnalisation des recommandations. Une garantie de la pérennité des engagements est donc nécessaire. En regardant le processus poursuivi par les Comores et en faisant le tour entre les pays de la zone, nous avons relevé une simultanéité quant à l’organisation des mobilisations et de l’institutionnalisation des objectifs. De même, les objectifs généraux assignés par les Comores sont ceux déterminés par l’Unesco. Ce tableau d’analyse laisse penser à une pression externe, qui ne peut être que celle de l’Unesco. Cette pression peut ne pas être vue comme négative ou isolée. L’Unesco est une organisation internationale dont l’Union des Comores est membre. Ce qui pose questions sont les contenus des objectifs : certains ne sont pas opérationnels pour des raisons culturelle et financière et il manque des analyses du terrain. Mais en fait, tout va de paire avec la mondialisation du système éducatif.