Analyse des variations thermohalines des échelles
intrasaisonnière à saisonnière des panaches d’eau douce
Caractéristiques hydrologiques
Zone d’étude : le Golfe de Guinée
Le Golfe de Guinée est la région océanique de l’extrême Est de l’Atlantique tropical. Il est encastré à l’Est par les creux forgés par les côtes Ouest-Africaines, de la baie du Bénin, passant par la baie de Biafra, Cap Lopez (8,71°E ; 0,63°S) jusqu’aux côtes angolaises de la Ponta Albina à 15°S (selon l’Organisation Hydrographique Internationale – OHI). Une façade continentale quasi zonale Est-Ouest, allant de Cap Palmas (Cap des Palmes au Libéria, [7,73°O ; 4,37°N]) jusqu’aux côtes nigérianes, imprime la limite nord du Golfe de Guinée. Les sous-bassins ouverts au grand large de l’Atlantique tropical central équatorial et l’océan subtropical Sud sont ses limites Ouest et Sud respectivement. Les origines spatiales en termes de latitude – 0° – marquant l’équateur d’une part et de longitude – 0° – marquant le méridien de Greenwich d’autre part, s’y croisent à environ 970-km à l’Ouest de Cap Lopez. C’est une région qui enjambe donc les deux hémisphères du globe terrestre. Elle est partagée par 13 pays 1 d’Afrique dont les ressources halieutiques et minières des Zones Économiques Exclusive 2 (ZEE) participent activement à la vie socio-économique de 1.
La Zone Économique Exclusive
(ZEE) est une bande de mer ou d’océan située entre les eaux territoriales et les eaux internationales, sur laquelle un État riverain (parfois plusieurs États dans l’échelle locale à l’échelle mondiale. Dans notre étude, le Golfe de Guinée est défini comme l’espace océanique compris entre 10°W-15°E de longitude et 15°S-10°N de latitude (voir figure 1.1). Figure 1.1 – À droite : bathymétrie en fond de couleur de l’océan Atlantique ; À gauche : présentation de la région océanique du Golfe de Guinée avec la bathymétrie. Les cours des différents fleuves du Golfe de Guinée sont représentés en ligne bleue sur le continent. Les embouchures des deux grands fleuves que sont les fleuves Congo et Niger sont représentées par un carré vert et un disque rouge respectivement.
Régime de vent de surface et cycle hydrologique
La région du Golfe de Guinée est balayée par un système de vents tropicaux à deux composantes principales que sont les Alizés : vent du Nord-Est dans l’hémisphère Nord et vent du Sud-Est dans l’hémisphère Sud. Les alizés du Sud-Est sont les plus intenses en été boréal tandis qu’en hiver boréal, les alizés du Nord-Est atteignent leur amplitude maximale. La zone de convergence de ces alizés et du flux d’humidité atmosphérique définit la Zone de Convergence Inter-Tropicale (ITCZ : « Inter-Tropical Convergence Zone ») encore connue sous la dénomination de l’équateur météorologique. La variabilité saisonnière de ces régimes de vents module le positionnement de l’ITCZ (voir figure 1.2). On note en effet une migration méridienne saisonnière de l’ITCZ allant de sa position la plus au nord à ~ 15°N à sa position la plus au Sud à 5°N plus proche de l’équateur (Peter (2007))(figure 1.2) avec des températures élevées dépassant le seuil de convection (26°- 27°C) à la surface de la mer (Waliser and Graham (1993)). Les variations saisonnières de SST par alternance de fronts chauds et froids, associées à l’excursion méridienne saisonnière de l’ITCZ induisent une variation des propriétés thermodynamiques aux interfaces le cas d’accords de gestion partagée) dispose de l’exclusivité d’exploitation des ressources (http: //geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/zone-economique-exclusive-zee) air-mer-continent, favorisent la convection atmosphérique près des côtes dans le bassin du Golfe de Guinée, et nourrissent activement la mousson Ouest-Africaine sur le continent (Leduc-Leballeur et al. (2013)). Figure 1.2 – Schéma de la circulation atmosphérique en surface du bassin de l’Atlantique tropical. La position de la Zone de Convergence Intertropicale (ITCZ) est représentée en trait discontinu et celle de la Zone de Confluence Interocéanique (ZCIO) est représentée en pointillé. (Figure de Wauthy (1983)). Les changements de position de l’ITCZ (ainsi que la ZCIO : « Zone de Confluence Inter-Océanique 3 », voir figure 1.2) sont liés à des mécanismes générateurs des précipitations. En effet, l’air chaud et humide associé au mouvement ascendant de l’ITCZ libère de l’énergie et génère de fortes précipitations par suite d’importantes activités de convection atmosphérique (Peter (2007)). Ainsi le Nord du Golfe de Guinée est caractérisé par d’intense et quasi permanente précipitation due au balayage de l’ITCZ. Par contre, le Sud-Est du Golfe de Guinée au large du Congo, est associé à de faible pluviométrie du fait de l’absence d’influence par l’ITCZ (localisé principalement au nord de l’équateur) d’une part, et de la ZCIO localisée de façon permanente sur le continent d’autre part (voir figures 1.2 et 1.3). L’intense pluviométrie balayant de la partie ouest continentale à celle centrale sud du continent africain nourrit fortement les bassins versant fluviaux du Golfe de Guinée. Plus de 13 fleuves s’y déchargent avec une forte variabilité saisonnière (voir figure 1.1). On note principalement deux grands fleuves : — le fleuve Congo, le 2 e fleuve au monde (après le fleuve Amazone) avec un débit moyen de ~40 000 m3/s qui se décharge au Sud-Est du Golfe de Guinée. — le fleuve Niger, le 24e au monde avec un débit moyen de ~6 000 m3/s, qui se décharge en forme de delta au Nord du Golfe de Guinée dans la baie de Biafra. 3. La Zone de Confluence Interocéanique est la limite diffuse qui marque la confluence entre les influences des anticyclones maritimes atlantique et indien (Wauthy (1983)).Figure 1.3 – Cycle saisonnier des précipitation dans le bassin de l’Atlantique tropical Est, englobant le la région du Golfe de Guiné. Le linges de contour noirs représentent la Température de Surface de la Mer (SST). [D’après Materia et al. (2012)]. Les fleuves Bandama (~ 263 m3/s), Cavally (~ 575 m3/s), Comoé (~ 106 m3/s), Couanza (~825 m3/s), Kouilou (~ 856 m3/s), Nyanga, Ogooue (~ 4 706 m3/s), Sanaga (~ 2 072 m3/s), Sassandra (~ 541 m3/s), et le Volta (~ 1 210 m3/s) 4 constituent aussi d’importantes sources d’eau douce qui contribuent potentiellement aux variations thermohalines des couches superficielles océaniques du Golfe de Guinée. Cependant, il subsiste un manque de données historiques robustes pour l’ensemble de ces bassins fluviaux. Dans ce manuscrit, seul les deux principaux grands fleuves Niger et Congo sont pris en considération. Leurs impacts sur les propriétés thermohalines des couches superficielles du Golfe de Guinée sont analysés.
Caractéristiques des panaches d’eau douce dans le Golfe de Guinée
De l’observation des panaches d’eau douce
Historiquement, les premières observations des impacts des flux d’eau douce (précipitations et décharges des fleuves) sur les propriétés thermohalines de la couche superficielle du Golfe de Guinée, remontent dans les années 1950, grâce aux campagnes de mesures hydrologiques de l’Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (ORSTOM, organisme aujourd’hui remplacé par IRD – Institut de Recherche pour le Développement). Avec ces mesures hydrologiques, Berrit and Donguy (1964) ont pu révéler pour la première fois les caractéristiques thermohalines des eaux superficielles de l’Est du Golfe de Guinée. Ces auteurs ont montré que les masses d’eau superficielles plus proches des côtes, affichent une dessalure assez marquante (SSS<34,5) associée à des températures élevées (SST>28°), du nord de l’embouchure du fleuve Congo (~ 5°S) jusque dans la baie 4. Les informations de débit moyen de ces fleuves secondaires du Golfe de Guinée sont de source Wikipédia de Biafra dans le fond Est du Golfe de Guinée (voir figure 1.4). Ces dessalures observées sont caractérisées par des isohalines (SSS<34,5) parallèles aux côtes et en direction Nord-Ouest. Cependant, du fait du caractère ponctuel et de la faible couverture spatiale de ces mesures hydrologiques, la variabilité spatio-temporelle aux échelles saisonnières à interannuelles des panaches d’eau douce dans cette région demeure peu documentée. Figure 1.4 – Premières observations historiques des caractéristiques thermohalines des eaux superficielles du Golfe de Guinée : (a) SST et (b) SSS durant la campagne de l’OMGANGO du 10 octobre 1959 – ORSTOM. D’après Berrit and Donguy (1964). Par suite des activités des campagnes de recherche océanographique des décennies suivantes (1977-2002), Reverdin et al. (2007), en combinant l’ensemble des données hydrologiques (notamment la SSS) disponibles, ont pu réaliser une climatologie mensuelle des cartes de la SSS dans le bassin de l’Atlantique tropical. Cette base de données climatologiques a permis de mettre en évidence les zones de forte variabilité saisonnière de la SSS de la région du Golfe de Guinée (Da-Allada et al. (2013); Reverdin et al. (2007)). Des variabilités saisonnières de la SSS de l’ordre ~ 2pss sont observées dans les zones influencées par les précipitations et les décharges des fleuves Congo et Niger (voir figures 1.5a et 1.5b). Cependant, du fait de la faible densité spatiale (données éparses) et le caractère temporel discontinu des mesures hydrologiques considérées (voir figures 1.5c-1, 1.5c-2, 1.5d-1 et 1.5d-2), cette variabilité saisonnière observée ne représente que 20% de la variance de la SSS (Reverdin et al. (2007)). Par conséquent, la variabilité spatio-temporelle intra-saisonnière à saisonnière des panaches d’eau douce en termes de régime d’extension vers le large et de dissipation ainsi que leur influence sur la stratification thermohaline des couches superficielles, constitue des points non encore élucidés. Figure 1.5 – (a) Climatologie moyenne annuelle de la SSS sur la période de période de 2002-2008, avec l’écart type saisonnier associé en (b) [D’après Da-Allada et al., 2013]. (c-1) nombre de points de données par grille de 1°x1° sur la période de 1977-2002 avec leur distribution spatiale du nombre de mois associés en (c-2) pour la climatologie de Reverdin et al., 2007. (d-1, d-2) même chose de que (c-1, c-2) pour pour la période de 2002-2008, en complément de la climatologie de Reverdin et al., 2007 [D’après Da-Allada et al. (2013)]. L’avènement des mesures hydrologiques par télédétection dans les années 2010, notamment par les satellites SMOS (de l’ESA 5 ), Aquarius et SMAP (de la NASA 6 ), a permis une amélioration considérable de la quantification des variabilités spatio-temporelles de la salinité de surface associée aux panaches d’eau douce des océans, en particulier dans la région du Golfe de Guinée (Chao et al. (2015); Fournier et al. (2015, 2016, 2017a); Reul et al. (2014b); Tzortzi et al. (2013)). En effet, avec les premières observations du satellite SMOS (pour l’année 2010), Tzortzi et al. (2013) ont révélé une variabilité saisonnière de 5. ESA : Agence Spatiale Européenne. 6. NASA : National Aeronautics and Space Administration d’amplitude de l’ordre de ~ 6, 5 pss, induite par les précipitations et les décharges des fleuves dans l’Est du Golfe de Guinée. Reul et al. (2014b) quant à eux, grâce aux trois premières années d’observation du satellite SMOS, ont pu apporter une première compréhension de la dynamique spatio-temporelle saisonnière des panaches d’eau douce du Golfe de Guinée. Ces auteurs ont montré que les signaux de faible SSS associés aux panaches se propagent le long des côtes et vers le large en direction Nord-Ouest, en consistance avec les observations de Berrit and Donguy (1964). En particulier, l’extension maximale du panache d’eau du fleuve Congo est observée à près de ~ 800 km de la côte. Ces observations de SMOS ont permis de combler les zones de manque de données de mesures in situ dans cette région (voir figure 1.6). Cependant, les observations SSS SMOS durant la période de 2010, présentent des biais systématiques de l’ordre de l’unité, dus (i) aux problèmes de reconstruction d’image, de (ii) calibration des instruments de mesure du satellite et des (iii) contaminations par des interférences radiométriques proche des continents ainsi que les biais côtiers (Boutin et al. (2012, 2013)). Reul et al. (2014b) ont suggéré que bien que les observations SSS SMOS étaient sujettes à des améliorations continues et soutenues, la combinaison des données des courants de surface, des champs de SST, des précipitations et des débits de décharge des fleuves, serait indispensable à la quantification des processus source des variations dans le cycle hydrologique local et de leurs implications dans les variations thermohalines des couches superficielles du Golfe de Guinée. En outre, Hopkins et al. (2013) ont souligné que la dynamique spatio-temporelle des panaches d’eau douce est difficilement identifiable dans les champs de SST. De même, les mesures de couleur de l’eau ou de chlorophylle-a se sont révélées être un bon traceur de la distribution spatio-temporelle des panaches, mais restent cependant difficilement quantifiable dans la région du Golfe de Guinée, à cause du couvert nuageux quasi-permanent et de la contamination optique proche des côtes qui inhibent l’observation depuis l’espace. Les mesures d’observations de SSS in situ et par satellite constituent donc un moyen optimal d’analyse des variations spatio-temporelles des panaches d’eau douce et de leurs impacts sur les propriétés thermohalines des couches superficielles (Alory et al. (2012); Fournier et al. (2017a); Hopkins et al. (2013)). Dans notre étude, nous allons nous intéresser à l’analyse des variations spatio-temporelles des panaches d’eau douce, des petites échelles d’ordre journalier aux échelles saisonnières, grâce à l’ensemble des observations SSS (SMOS et SMAP) et des mesures hydrologiques et dynamiques (TSG, CTD, Argo, ADCP. . . ) dont la densité spatio-temporelle a considérablement augmenté suite à la régularité des campagnes de mesures et la couverture croissante du réseau Argo dans la zone (cf. chap. 2). Un intérêt particulier sera accordé à la quantification des processus contrôlant la dynamique saisonnière des panaches, ainsi que leurs impacts sur la stratification thermohaline des couches superficielles. Figure 1.6 – Climatologie mensuelle moyenne de la distribution spatio-temporelle saisonnière de la SSS dans la régions du Golfe de Guinée : (a) avec la climatologie de Reverdin et al., 2007 (sur la période de 1977-2002) ; (b) avec les observations SSS SMOS sur la période de 2010-2012. [D’après Reul et al. (2014b)].
De l’impact des panaches d’eau douce sur la stratification thermohaline verticale
La stratification des couches de surface des océans est modulée par toute perturbation physique d’ordre externe ou interne, laquelle présente des caractéristiques ayant tendanceà homogénéiser ou à renforcer la stratification thermohaline dans la colonne d’eau. En effet, les précipitations couvrant la surface de la mer, réduisent la densité des eaux dans les couches supérieures, renforçant ainsi la stratification proche de la surface et soutenant le panache d’eau douce formé par la pluie (Boutin et al. (2013); Henocq et al. (2010); Schlössel et al. (1997); Price (1979); Price et al. (1986)). En Atlantique équatorial, des précipitations de plus de 11 mm/h associées à de condition de vent faible (~ 5 m/s), induisent une diminution de la température et de la salinité d’environ ~ 0, 76°C et ~ 2pss respectivement, dans la fine couche de surface d’environ 1-m de profondeur, à une échelle temporelle d’ordre quasi journalier (Henocq et al. (2010); Miller (1976)). Dossa et al. (2019) ont montré que la dynamique de masse d’eau de surface sous influence des précipitations et des décharges du fleuve Niger, est associée à de forts gradients verticaux de salinité et à la formation de structures de barrière de sel au sein de la couche superficielle dans le Nord du Golfe de Guinée. Ces auteurs ont révélé que la variabilité saisonnière de l’épaisseur de la couche de barrière de sel, limite la profondeur de la couche mélangée de surface dans cette région. S’agissant des processus physiques, Dossa et al. (2019) ont fait l’hypothèse que la variabilité saisonnière de l’épaisseur de la couche de barrière de sel serait due aux processus d’advection horizontale des flux de masses d’eau de faible salinité associées aux précipitations et aux décharges du fleuve Niger. Les processus physiques contrôlant la stratification thermohaline et l’impact de la couche de barrière de sel sur la SST dans le Nord du Golfe de Guinée, restent cependant encore méconnus. Aussi, la stratification thermohaline de la couche de surface sous influence de la dynamique du panache du fleuve Congo dans le Sud-Est du Golfe de Guinée reste encore très peu documentée (et quasi inexplorée). Or la SST, bien que présentant les plus fort biais dans les modèles climatiques de la région du Golfe de Guinée (Zuidema et al. (2016)), joue un rôle clé pour la mise en place de la Mousson Ouest-Africaine au printemps-été boréal (Leduc-Leballeur et al. (2013)). La compréhension et la quantification de la variabilité de la stratification thermohaline des couches de surface (notamment les structures de couche de barrière de sel) induite par la dynamique des panaches d’eau douce dans cette région sont donc cruciales pour une meilleure paramétrisation des modèles de circulation générale océanique ainsi que des modèles couplés océan-atmosphère. Une meilleure intégration du fort gradient de salinité dans les couches de surface réduirait considérablement les forts biais de SST des modèles couplés dans l’Est de l’Atlantique Tropical (Breugem et al. (2008)).
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