Analyse des manuels
L’étude des programmes nous a permis de voir les grandes lignes des instructions officielles concernant l’enseignement de notions de logique. À partir de ces grandes lignes, les auteurs des manuels scolaires, par ailleurs soumis à des contraintes d’écriture, vont proposer une matière plus directement utilisable par l’enseignant, comme le souligne L. Ravel dans sa thèse 1 : Ces grandes lignes sont ensuite mises en texte dans les manuels scolaires. Les auteurs de manuels, sujets de l’institution scolaire, vont apprêter les objets de savoir à enseigner afin de les rendre “utilisables” par les enseignants et les élèves. [. . .] Ils vont donc faire des choix pour mettre en texte les directives du programme et proposer à leurs sujets des activités préparatoires, un cours et des exercices. Ils vont alors construire des organisations mathématiques autour de ces objets de savoir pour pouvoir les mettre en place. (Ravel, 2003, pp. 39-40) L’étude des manuels, dans laquelle je porterai une attention particulière à la conception de la logique et de son lien avec les mathématiques, est guidée par les questions suivantes : – quel investissement de la niche langage ? de la niche raisonnement ? – Les aspects syntaxique et sémantique des notions de logique sont-ils présents tous les deux ? – Quelle position prise par rapport à la formalisation des notions ? – Comment sont pris en compte les points sensibles identifiés dans la deuxième partie de la thèse ? – L’organisation des activités permet-elle que la logique soit effectivement « présente partout » ? Elle se fera en deux temps : – tout d’abord une étude des « pages logiques » des manuels, c’est-à-dire des pages où sont présentées les notions de logique. Pour cette étude, j’ai choisi de regarder l’ensemble des manuels de Seconde publiés pour la rentrée 2010, ainsi que 3 manuels de Seconde publiés en 1969 (nous avons vu que nous pouvions faire l’hypothèse d’une certaine homogénéité dans les manuels de 1969, qui fait qu’il n’est pas nécessaire de proposer une étude de tous les manuels de cette époque ; ceux choisis étaient d’ailleurs très largement utilisés). Pendant la période des mathématiques modernes, la logique avait une place importante, et pouvoir comparer ce qui est proposé aujourd’hui et ce qui a été proposé à cette époque permet de mieux identifier les particularités actuelles en les mettant en parallèle avec d’autres choix faits dans un autre contexte. Je commencerai par une description globale de la présentation des notions dans les pages logiques, puis je proposerai une étude notion par notion.
Analyse des pages « Logique » des manuels de Seconde
Présentation de l’organisation des pages consacrées à la logique dans les manuels de 1969 et de 2010
Les sommaires des pages concernant la logique sont donnés pour chaque manuel en annexe page 521. Dans les manuels de 1969 Conformément au programme, les trois manuels de 1969 analysés traitent des notions de logique à part, dans un premier chapitre. Queysanne-Revuz justifie ainsi de commencer par là : À partir de résultats considérés comme acquis le raisonnement mathématique permet d’en démontrer d’autres. Ce raisonnement s’effectue à l’aide de certaines règles que vous utilisez consciemment ou non depuis plusieurs années et qui sont les règles de la logique. Il nous faut donc commencer, en utilisant des exemples mathématiques que vous connaissez, par mettre en évidence certaines de ces règles. Queysanne-Revuz est le plus complet et le plus rigoureux. Il présente les notions de logique en lien avec l’activité mathématique, elles sont illustrées par de nombreux exemples, et des commentaires relevant de la logique sont présents en dehors de ce chapitre. Aleph 0 propose une introduction plus axée sur le langage, qui n’est pas sans rappeler certaines préoccupations de Frege. Mais s’il met en garde contre les ambiguïtés du langage courant, il n’en défend pas pour autant un symbolisme total : L’étude d’un problème de Mathématiques nécessite une réflexion, préalable à toute recherche, sur le contenu de l’énoncé. Il convient d’abord de discerner avec précision quelle est la question posée, puis quels sont les renseignements qui permettront d’aborder le problème. Ensuite, il conviendra de mettre en jeu un certain nombre de mécanismes de déduction qui permettront de démontrer le résultat cherché à partir des hypothèses données. Ces renseignements sont donnés à l’aide de mots, et, en Mathématiques, on emploie des mots techniques que l’on a soigneusement définis comme exposant, proportion, bissectrice, etc., et des mots ou expressions du langage courant. [. . .] Mais les mots du langage courant présentent souvent des ambiguïtés ou des obscurités. Ainsi, dans le proverbe « un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire », le premier article un veut dire un [sot] quel qu’il soit (et non pas un seul sot, ni un certain sot) ; on pourrait remplacer cet article par l’adjectif indéfini tout. Le second article un signifie au moins un (pas nécessairement un seul, mais pas n’importe lequel. En Mathématiques, il convient de distinguer entre ces acceptions de l’article un et, plus généralement, entre les diverses significations des mots-outils. Pour éviter ces ambiguïtés et obscurités du langage courant, on précise la rédaction des raisonnements à l’aide de quelques symboles et termes logiques spécialisés. Ce manuel a une approche beaucoup moins formelle de la logique (nous n’y trouvons pas les tables de vérité, par exemple), ici aussi mise en relation avec l’activité mathématique globale. Par contre, la logique est cantonnée à ce chapitre initial. Lespinard, quant à lui, donne l’impression de suivre le programme à la lettre, sans qu’il y ait de réflexion sur les enjeux de la présence de ces notions dans ce programme. La logique y est moins reliée au reste des mathématiques. Dans les trois manuels est d’abord présentée la notion de proposition. Ils proposent également une étude de tous les connecteurs, et des quantificateurs. Ils présentent les notions ensemblistes en lien avec ces notions, à travers l’association entre une proposition contenant une variable libre et l’ensemble des éléments d’un ensemble E vérifiant cette proposition. Queysanne-Revuz et Aleph 0 parlent également de divers types de raisonnement.
Dans les manuels de 2010
La plupart des manuels de 2010 (sauf Pixel) ont choisi de consacrer quelques pages aux notions de logique, mais pas comme un chapitre (ils font de même pour l’algorithmique apparue également dans ces programmes), au début ou à la fin du manuel, ou de manière disséminée. Le tableau de la page suivante résume les caractéristiques pour chaque manuel.Nous voyons que le mot « logique » apparaît dans presque tous les titres, hormis dans deux manuels qui reprennent le titre « Notations et raisonnement mathématiques » du tableau des objectifs du programme (voir page 200). Les manuels se démarquent ainsi du programme qui ne mentionnait pas la logique dans un titre de paragraphe, mais seulement dans le corps du texte. Tous les manuels ne traitent pas de toutes les notions, qui sont pourtant toutes présentes dans le tableau des objectifs. La lecture de ce tableau montre déjà des différences d’un manuel à l’autre qui seront précisées avec une analyse plus fine.
Proposition et variable
Proposition et variable dans les pages spécifiquement consacrées à la logique dans les manuels de 1969 Les manuels de 1969 commencent effectivement tous leurs pages consacrées à la logique par une définition de la notion de proposition, mais il n’y a pas accord sur cette définition : – Lespinard appelle assertion un « énoncé tel qu’il soit possible de dire s’il est vrai ou s’il est faux », puis « proposition » un énoncé qui « peut être vrai dans certains cas, faux dans d’autres ». Ainsi, « une assertion est une proposition toujours vraie ou toujours fausse. » – Queysanne-Revuz fait cette même disctinction 2 . Il commence par définir les notions de « termes » et « énoncés » comme des assemblages cohérents (auxquels on peut donner un sens mathématique) de mots du langage courant et de signes mathématiques. Puis plus loin il appelle « assertion tout énoncé pour lequel on répondra sans ambiguïté et sans renseignement complémentaire à la question est-il vrai ou bien est-il faux ? » Un énoncé tel que x < 2 n’est ainsi pas une assertion. Il est dit que « les logiciens appellent un tel énoncé un prédicat ou une fonction propositionnelle ; il nous arrivera de dire proposition à la place de fonction propositionnelle, bien que certains emploient proposition avec le sens que nous avons donné au mot assertion » – Aleph 0 appelle « proposition tout affirmation concernant un ou plusieurs objets. Une telle affirmation peut avoir ou non une signification. » Dans les exemples, il y a une proposition contenant des variables libres. Plus loin, il est précisé qu’« une proposition peut être vraie ou fausse selon Aucun des trois manuels ne se contentent de parler des propositions closes, c’est-à-dire sans variables, ou dans lesquelles les variables sont mutifiées. Seul Queysanne-Revuz parle des variables, qui sont « des lettres qui représentent des objets à la place de chacun desquels on peut substituer un symbole représentant un objet spécifié ». Mais même si ces manuels n’évoquent pas la distinction entre variable parlante et variable muette, des exemples de propositions sont donnés pour les deux cas. Ces manuels ancrent ainsi l’étude de la logique dans l’étude du fonctionnement du langage mathématique : la proposition, élément de base de ce langage, est posée avant toute chose. Proposition et variable dans les pages spécifiquement consacrées à la logique dans les manuels de 2010 Les cases vides des tableaux récapitulatifs ci-après le montrent bien : les notions de proposition et de variable sont quasiment absentes des manuels actuels. Seuls quatre manuels (Math’x, Hyperbole, Symbole, Transmath) définissent la proposition : c’est une phrase qui est soit vraie, soit fausse. Et seuls Math’x et Hyperbole utilisent le terme « variable ». Nous ne trouvons une proposition ouverte que dans Math’x, qui donne « x > y » comme exemple de proposition, en précisant qu’elle « dépend de variables », et est « vraie ou fausse selon les valeurs données à ces variables, jamais vraie et fausse en même temps. » Cela montre qu’à la différence de 1969, l’étude du fonctionnement du langage mathématique n’est pas un objectif visé.les objets auxquels elle s’applique, et selon la théorie dans laquelle elle s’insère. »