Analyse des actions mises en place
Dans nos établissements respectifs, chacune d’entre nous a expérimenté la mise en place de temps d’accueil riches en découvertes, propices à l’épanouissement intellectuel des élèves et au développement de leur curiosité. Ces actions se sont concrétisées selon deux axes principaux : d’une part la programmation d’activités culturelles ponctuelles ou récurrentes, d’autre part la mise en place d’un CDI virtuel via la mise à disposition de ressources numériques sélectionnées.
Activités programmées : des temps de Vie Scolaire choisis
Nous l’avons dit : pour nous, le fait de proposer aux élèves des activités variées auxquelles ils peuvent choisir ou non de participer durant leur temps libre correspond à un acte éducatif complémentaire aux cours dispensés par les professeurs de discipline, car il poursuit des objectifs éducatifs communs selon des modalités différentes. Il s’agit de proposer des situations suffisamment motivantes pour que les élèves aient envie de participer aux activités, avec pour but de les amener à élargir leur univers culturel (qu’il s’agisse de culture littéraire, artistique, scientifique et technique, ou encore citoyenne) ainsi que d’étayer leurs connaissances dans divers champs disciplinaires. En choisissant un lieu (CDI, permanence, foyer) ils choisissent aussi la façon dont ils vont disposer de leur temps de Vie Scolaire18, le CDI ne se limitant pas à la lecture silencieuse des ouvrages mis à disposition des élèves ou à une navigation aléatoire sur le Web. Ce choix est motivé par le contenu culturel et sémantique des activités éducatives proposées, et par la forme que prend la médiation (débats, ateliers, parcours…).
Actions d’incitation à la lecture, accès à la littérature
Un premier pôle d’action concerne l’incitation à la lecture et l’accès à la littérature. Les professeurs-documentalistes ont en effet pour mission de “mettre en place des projets qui stimulent l’intérêt pour la lecture”, et de “développer une politique de lecture en relation avec les professeurs, en s’appuyant notamment sur la connaissance de la littérature générale et de jeunesse”19 (MEN-DGESCO, 2013). Le défi était de continuer à assouvir l’appétit des élèves lecteurs, de les impliquer dans la vie littéraire du CDI et parfois même d’en faire des médiateurs pour leurs pairs, mais aussi d’amener vers la littérature de jeunesse les élèves peu ou pas lecteurs.
C’est surtout à ce dernier objectif que correspond la “sieste littéraire” qui a été proposée aux élèves du collège André Ailhaud. Inspirée du festival littéraire “Les Correspondances” de la ville de Manosque20, elle consiste en une lecture à voix haute, avec pour particularité de s’adresser à un auditoire en position horizontale : les élèves sont allongés, les rideaux tirés. En collaboration avec la Conseillère Principale d’Éducation, la sieste a été proposée deux fois par semaine, l’après-midi, pour des élèves de 6ème-5ème et de 4ème-3ème qui avaient des heures libres inscrites dans leur emploi du temps (l’idée étant de créer une habitude même si des élèves d’autres classes pouvaient participer en cas d’absence des professeurs). Les deux premières séances, seuls quelques élèves ont choisi de participer à la sieste, certains motivés par la perspective d’une lecture oralisée, d’autres par celle de prendre un moment de repos dans la journée. Non seulement ces pionniers sont presque tous revenus durant la totalité des séances proposées, mais ils ont joué un rôle de communication important : leur enthousiasme a rapidement fédéré d’autres élèves, et l’auditoire des “siestes” s’est élevé à une quinzaine d’élèves en moyenne durant tout le trimestre. Il me semble important de souligner que cet auditoire se composait d’adolescents aux profils très variés, y compris des élèves ne fréquentant.
Ce succès de la “sieste littéraire” est dû à divers facteurs : d’une part, comme son nom l’indique, elle représente un véritable moment de pause dans la journée et dans la semaine du collégien. Proposée en début d’après-midi, elle est située à un moment de la journée où le corps a besoin de repos21. Le fait de fermer les yeux aide les élèves à se concentrer sur le texte lu en éliminant toutes les sollicitations visuelles. Il est arrivé à plusieurs élèves (dont parfois des élèves très agités en cours) de s’endormir profondément au bout d’une vingtaine de minutes de lecture. Il ne me semble pas que cela constitue un échec, car la lecture est alors synonyme de détente, et non de contrainte, d’effort, voire de rejet chez certains élèves. De plus, et même s’ils se sont endormis, ces élèves ont écouté le début du récit, et se sont laissé aller dans les bras de Morphée bercés par les mots, par le texte. Cet état d’endormissement qui suit une lecture peut rappeler certains rituels du coucher, et crée un pont entre récits fictionnels et rêves. La compréhension de l’écart et des liens qui séparent et unissent tout à la fois les récits de fiction et la réalité devient alors intuitive… Un autre facteur de réussite est lié au choix des œuvres littéraires sélectionnées pour être lues, à savoir des romans de littérature jeunesse. Ces romans ont été choisis pour leur potentiel d’évocation chez les adolescents, avec des héros qui leur ressemblent, des problématiques qui leur sont proches, une écriture claire, tout en présentant des qualités narratives et littéraires qui permettent aux élèves de dépasser leur propre réalité et leur quotidien pour entrer dans des univers fictionnels. Le style et le contenu du premier chapitre ont également été un élément de choix déterminant : dans la mesure où le temps de lecture était de 45 minutes, le premier chapitre devait être percutant, et poser directement le décor ou l’action avec un fort pouvoir d’évocation. Le premier chapitre de Méto, d’Yves Grevet, a tellement plu aux élèves qu’ils m’ont demandé de poursuivre cette lecture lors des séances suivantes, nos rendez-vous étant attendus avec impatience grâce au suspens inhérent au roman et à ses personnages attachants. Pour l’autre groupe, les romans lus étaient différents à chaque fois22. Si les élèves n’ont pas exprimé le souhait d’emprunter ces ouvrages, les échanges verbaux que nous avons eus à l’issu des lectures ont montré leur intérêt pour les textes choisis. Enfin, une grande part du plaisir est dû à l’oralité du texte : lu par un adulte expert, le texte prend vie, les mots se suivent, coulent avec musicalité tout en dispensant les auditeurs de l’effort de déchiffrement, ou tout simplement de la fatigue oculaire. Mais le dispositif se distingue d’autres formes de lectures à haute voix, le texte n’est pas joué, théâtralisé. Le lecteur s’efface devant l’auteur, devant le récit. Comme le souligne Bernhard Engel (2007), “le » lecteur » n’est pas un acteur. À l’inverse du comédien qui devient une image dont on se souviendra, il s’efface devant le texte afin de produire des images dans l’esprit des auditeurs.”