Analyse de l’entre deux : tenure fonciere des espaces ouverts dans la commune rurale

Le secteur agricole constitue l’un des secteurs d’activités les plus prépondérants à Madagascar du fait qu’il regroupe le plus grand nombre d’actifs (Observatoire du foncier, 2012). Selon une étude menée par l’Observatoire du foncier en 2012, environ 2,5 millions de ménages nationaux, soit 80%, pratiquent une activité agricole. Dans ce secteur, le foncier figure parmi les capitaux fondamentaux de la production ainsi que le support physique de toutes activités économiques et agricoles (AndrinirinaRatsialonana, 2012). Ainsi, le foncier n’est pas limité à la terre-ressource mais touche aussi les rapports qu’entretiennent les hommes entre eux ou avec les ressources ayant comme substrat la terre et même les relations entre ces ressources (Barrière& Barrière, 1997 ; Plançon, 2009). De ce fait, il fait intervenir de nombreux acteurs ou institutions et dispose un poids important pour le développement (Andrinirina-Ratsialonana, 2012). La tenure foncière, quant à elle, englobe l’ensemble des modes ou des procédures d’acquisition et d’appropriation des terres. A Madagascar, les droits et tenures fonciers sont façonnés par les systèmes politiques et socioculturels qui se sont succédés depuis l’époque monarchique (Observatoire du foncier, 2012). Les législations foncières sont marquées par ces changements notamment durant l’époque coloniale où elles ont été élaborées en faveur des colons. Depuis l’indépendance, des modifications et des réformes ont été effectuées mais le droit positif a beaucoup hérité du droit colonial. De ce fait, les législations foncières sont encore loin d’être accommodées à la réalité surtout dans les zones rurales. Pour ces dernières, des mécanismes et des règles coutumières régissent le foncier (Andrinirina-Ratsialonana, 2012 ; Observatoire du foncier, 2012). Par conséquent, les formes de droits de propriété traditionnelle et moderne de la terre coexistent. Le développement de la communication et l’utilisation du papier a permis la naissance d’un nouveau système de formalisation de droit qui n’est pas légal mais légitime (Minten et Razafindraibe, 2003 ; Observatoire du foncier, 2012).

Les stratégies et pratiques adoptées par l’homme influencent beaucoup les changements de paysages. En effet, le manque de terre dû à la croissance démographique et la baisse de la fertilité du sol incite les hommes à étendre les surfaces cultivées. Les forêts, en raison de la fertilité de leur sol, sont plus favorables à cette extension (Cambrezy & Magnon, 2012). Mais le souci d’un approvisionnement constant et durable en bois encourageant le reboisement peut favoriser la transformation des tanety en zone de plantation forestière ainsi que la mise en protection de certaines forêts naturelles. Dans le but de la compréhension de la dynamique espace agraire – espace forestier, l’étude de la tenure foncière trouve son intérêt puisqu’elle permet de comprendre comment l’Homme façonne son environnement et gère les ressources qui lui sont à disposition. Entre autres, elle peut être une approche pour le développement économique mais aussi une manière pour freiner la dégradation de l’environnement. Cette analyse est axée sur les espaces ouverts qui comprennent les zones non boisées et généralement valorisées pour l’Agriculture tels les baiboho, les tanety, les tanin-tsabo et les rizières(irriguées ou tavy). Les savoka, considérés comme des forêts secondaires, sont exclus de cette étude (Kiener, 1963 ; Chabrolin, 1965 ; Vicariot, 1970).

Droit de l’entre deux

Dans les pays africains, la terre est définie comme étant un patrimoine non un bien. De ce fait, il ne peut faire objet d’une appropriation et est inaliénable (Harissou & Palma, 2013). Toutefois, la conception occidentale du droit de propriété, introduite au temps de la colonisation et renforcée par les législations foncières, a favorisé l’instauration d’un dualisme juridique entre le droit positif et le droit coutumier (M’Baye, 1968 ; Harissou & Palma, 2013). Cette dichotomie est plus visible dans les zones rurales (Andrianirina- Ratsialonana & Burnod, 2012 ; Harissou& Palma, 2013; Moalic, 2014). En effet, par les règles coutumières, la terre appartient à celui ayant fait la mise en valeur ; par contre, seuls reconnus propriétaires légaux sont ceux détenant un acte administratif : le titre foncier ou le certificat foncier (Moalic, 2014). Toutefois, dans les zones rurales comme la commune d’Antanandava, le droit coutumier, qui est fondé sur des règles et des pratiques locales, prédomine. Ces pratiques issues des valeurs et des normes sociales se sont construites au cours de l’histoire. Le droit statutaire, quant à lui, existe mais est moins appliqué faute de moyens techniques et financiers de l’Etat. De plus, il n’est adopté par la population que s’il est en concordance avec les réalités vécues par les paysans (Randriamahafaly, 2008 ; Andrianirina Ratsialonana & Burnod, 2012). Ce décalage entre normes officielles et pratiques locales favorise l’insécurité foncière et produit une incertitude de la part des autorités administratives sur les règles qui doivent s’appliquer (Muttenzer, 2010 ; Moalic, 2014 ;Lavigne Delville, 2010). Elles sont ainsi amenées à arbitrer entre normes légales et règles locales (Moalic, 2014). Une nouvelle forme de tenure foncière prend alors naissance, la tenure qualifiée de droit de l’entre deux. En reprenant Le Roy (1997), l’entre deux est « cet espace potentiellement important entre tradition et modernité, sur la base de cultures communes et de pratiques métisses (…) issues du processus de modernisation. ». En effet, pour combler les failles, les responsables administratifs locaux ont adopté des mesures facilement pratiquées et acceptées par la population, mesures qui n’éloignent pas des habitudes coutumières et les pratiques locales et qui peuvent tenir en compte ou non les règles statutaires (Moalic, 2014). Il est alors avancé que cette tenure qualifiée de droit de l’entre deux est la tenure qui régie les espaces ouverts.

Faisceaux de droits

Sur une parcelle donnée, les droits fonciers sont nombreux et variés (droits de passer, droits de cultiver, droits de cueillir les ressources spontanées,). Cette diversité ne permet pas d’utiliser la conception standard du droit de propriété possédé par une seule personne mais, plutôt, de définir des droits spécifiques détenus, chacun, par un individu ou diverses personnes ou divers groupes. De ce fait, concevoir la propriété comme un ensemble de faisceaux de droits de propriété permet de définir plusieurs types de détenteurs de droits de propriété (Barrière, 1996 ; Bruce, 1998 ; Orsi, 2013).En tenant compte de ces faits, l’analyse de la tenure foncière comme ce qui est l’objet de cette étude s’avère plus facile en adoptant le faisceau de droits comme cadre théorique. Dans cette étude, le faisceau de droit retenu est celui proposé par Schlager et Ostrom (1992) avec cinq principaux contenus répartis en droits opérationnels, c’est-à-dire ceux désignant les actions autorisées sur la terre et/ou la ressource, et droits décisionnels ou d’administration qui consistent à répartir et à organiser les droits opérationnels (Colin, 2004a ; Lavigne Delville, 2013) :

Le droit d’accès
C’est un droit opérationnel qui correspond à l’entrée ou au passage dans une parcelle bien définie (Schlager & Ostrom, 1992 ; Larson, 2013 ;Orsi, 2013; Moalic, 2014, Lavigne Delville, 2013). Quelque fois, le droit d’accès peut aussi se référer au stationnement dans cette zone (Barrière, 1996).

Le droit de prélèvement ou droit d’usage
Ce droit opérationnel consiste à prélever les ressources naturelles ou provenant de la culture de la parcelle pour des besoins viatiques personnels et familiaux mais aussi à utiliser le terrain pour la pâture (Schlager & Ostrom, 1992 ; Barrière, 1996 ; Larson, 2013 ;Moalic, 2014). Le droit de culture sur un terrain dont les règles sont définies par le possesseur du terrain, pour une courte durée, constitue aussi une forme de droit d’usage de la parcelle (Colin, 2004a ;Colin, 2004b).Mais dans cette étude, l’intérêt est porté plus sur le transfert du droit de culture que sur ce droit d’usage de la terre afin de mieux voir les pratiques foncières et règles y afférentes.

Le droit de gestion ou droit d’exploitation
Ce droit décisionnel consiste à déterminer les règlements de l’utilisation de la terre, c’est-à-dire les modes d’exploitation de la terre, le type de culture à effectuer, la superficie du terrain à valoriser, le moment de la mise en valeur et le bénéficiaire du droit d’usage. Il définit aussi les conditions de prélèvements des produits qui se trouvent sur le terrain (Schlager & Ostrom, 1992 ; Barrière, 1996 ; Randriamahafaly, 2008 ; Lavigne Delville, 2013 ; Orsi, 2013 ; Moalic, 2014). Les décisions de gestion agissent au-delà de l’utilisation immédiate de la terre et sont, généralement, prises dans le but de tirer profit de l’espace et d’en planifier l’utilisation future (Larson, 2013). Ainsi, les bénéficiaires des faisances valoir indirect (location, métayage, prêt) des terres obtiennent le droit d’usage de la parcelle transféré par le possesseur puisque leurs actions sont temporaires et conditionnées par le possesseur (Colin, 2004a ; Colin, 2004b).

Le droit d’exclusion
Le droit d’exclusion, un droit décisionnel, permet à son acquéreur de contrôler l’espace. Il consiste à définir le bénéficiaire du droit d’accès et à déterminer les critères pour bénéficier de ce droit (Schlager & Ostrom, 1992 ; Barrière, 1996 ; Orsi, 2013 ; Moalic, 2014). De plus, ceux qui obtiennent le droit de prélèvement ne peuvent en profiter que s’ils obtiennent en même temps le droit d’accès. Ainsi, le droit d’exclusion peut être définit comme le droit de déterminer les bénéficiaires des droits opérationnels (Barrière, 1997, Lavigne Delville, 2013).

Le droit d’aliénation
Ce droit décisionnel constitue le droit de disposer la terre et de tous les droits cités précédemment (Moalic, 2014). Il consiste à décider sur les modalités et conditions de transfert du droit de gestion et/ou du droit d’exclusion ainsi que le bénéficiaire de ce transfert. Autrement dit, le droit d’aliénation permet de vendre, de léguer, d’hypothéquer ou de donner toute ou partie de la parcelle pour une durée déterminée ou infinie (Barrière, 1996 ; Schlager & Ostrom, 1992 ; Randriamahafaly, 2008 ; Orsi, 2013).

Ces cinq droits ont un effet cumulatif. Pour obtenir le droit d’usage, il faut disposer préalablement le droit d’accès. De même, le détenteur du droit de gestion possède les deux droits opérationnels, sinon il ne peut pas exercer ses droits comme le transfert du droit de culture, par exemple. Pour effectuer le contrôle de l’espace, la personne doit détenir le droit de gestion ainsi que les droits opérationnels. Le détenteur du droit d’aliénation possède à son tour tous les droits du faisceau afin de pouvoir transmettre une parcelle à autrui .

Table des matières

1. INTRODUCTION
2. METHODOLOGIE
2.1 PROBLEMATIQUE
2.2 HYPOTHESE ET CADRE THEORIQUE
2.2.1 Hypothèse : Droit de l’entre deux
2.2.2 Cadre théorique : Faisceaux de droits
2.2.2.1 Le droit d’accès
2.2.2.2 Le droit de prélèvement ou droit d’usage
2.2.2.3 Le droit de gestion ou droit d’exploitation
2.2.2.4 Le droit d’exclusion
2.2.2.5 Le droit d’aliénation
2.3 ETAT DE CONNAISSANCE
2.3.1 Statuts des terres à Madagascar
2.3.1.1 Domaines de l’Etat, des collectivités décentralisées et des autres personnes morales de droit public
2.3.1.2 Terrains des personnes privées
2.3.1.3 Terres incluses dans des aires soumises à des régimes juridiques spécifiques
2.3.2 Espaces ouverts et espaces boisés
2.3.3 Notion de patrimonialité de la terre
2.4 ZONE D’ETUDE
2.4.1 Localisation
2.4.2 Milieu humain
2.4.3 Situation économique
2.5 ETAPES DE LA RECHERCHE
2.5.1 Phase préparatoire
2.5.2 Phase de collecte
2.5.2.1 Planning des descentes sur terrain
2.5.2.2 Outils de collecte
2.5.3 Phase de traitement et de rédaction
2.5.4 Contraintes et limite
3. RESULTAT
3.1 INSTITUTIONS DE REGULATION FONCIERE ET TYPES D’UTILISATION DES TERRES
3.1.1 Structure sociale de la zone d’étude
3.1.2 Type d’utilisation des terres
3.1.2.1 Rizières irriguées
3.1.2.2 Voditany
3.1.2.3 Baiboho
3.1.2.4 Tanety
3.1.2.5 Tavy
3.1.2.6 Tanin-tsabo
3.1.2.7 Kijana
3.2 MODE D’ACCESSION A LA PROPRIETE
3.3 FAISCEAUX DE DROITS
3.3.1 Catégorie 1
3.3.1.1 Droit d’accès
3.3.1.2 Droit d’usage
3.3.1.3 Droit de gestion
3.3.1.4 Droit d’exclusion
3.3.1.5 Droit d’aliénation
3.3.2 Catégorie 2
3.3.2.1 Droit d’accès
3.3.2.2 Droit d’usage
3.3.2.3 Droit de gestion
3.3.2.4 Droit d’exclusion
3.3.2.5 Droit d’aliénation
3.3.3 Catégorie 3
3.3.3.1 Droit d’accès
3.3.3.2 Droit d’usage
3.3.3.3 Droit de gestion
3.3.3.4 Droit d’exclusion
3.3.3.5 Droit d’aliénation
3.3.4 Récapitulation des faisceaux de droits dans les trois catégories de site
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION

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