Analyse de la transition de la rue à l’habitat

Regarder l’architecture d’un œil différent, regarder comment elle peut nous influencer dans notre manière de faire, de vivre au quotidien. Regarder l’architecture non pas par le plein mais par la qualité des vides produits par ce plein. C’est souvent dans les espaces interstitiels, les entre-deux, aux limites multiples tant matérielles qu’immatérielles et aux statuts différents que tout se passe. L’entre-deux qui est synonyme de passage, de transition pour passer d’un monde à un autre. Cet entre deux, cet espace interstitiel, ce vide trop souvent oublié et qui pourtant apporte une richesse inestimable à la vie dans nos rues. La mise en place d’un pot de fleurs, d’un lierre grimpant s’appropriant la façade, un entre-deux d’où émanent cris et rires d’enfants, … L’absence de cet entre-deux, de cette nonappropriation du vide mène tout droit vers la perte de la rue. Ensuite, faisons le chemin inverse et regardons à présent la rue et son influence sur l’architecture, sur l’entre-deux, l’espace interstitiel. On ne peut faire abstraction du lien qui lie l’architecture à la rue et la rue à l’architecture. L’architecture se nourrit de son contexte et la rue se nourrit de ce qui émane de l’architecture.

L’architecture n’est pas une grande feuille blanche, il nous a été transmis des concepts et des idées antérieures pas toujours en accord avec les principes de l’époque actuelle, c’est vrai, mais la ville est en perpétuel changement. Il faut savoir jongler avec ce qui nous a été donné. Au fil du temps, la rue et l’architecture ont évolué ainsi que leurs liens. « (…) le logement a aussi toujours été au cours des réflexions sur la différenciation sociale l’évolution des modes de vie et de la famille. De nombreux travaux ont montré les liens entre l’évolution de la conception et des usages du logement, la distinction des sphères du « public » et du « privé », les transformations de la famille et l’autonomie croissante des individus ». (Ascher Françoise, 1995, p.8) .

Ce qui est développé dans ce mémoire, c’est l’observation des transitions qu’il peut y avoir entre les différents espaces et de quelle manière cette transition s’opère. La qualité de la rue provient entre autres des différents types d’appropriation qui varient en fonction de la typologie et des statuts des espaces.

Trop peu pris en compte dans les ateliers d’architecture, la relation à la rue, la relation de l’architecture à la rue, ce que peut apporter la rue à l’architecture, la relation des espaces de transition, … sont pourtant primordiaux, c’est ce qui va permettre de tisser les liens sociaux entre les habitants. L’architecture n’est pas seulement du bâti, c’est aussi une dimension humaine qui doit être prise en compte. C’est ce qui m’a tout de suite interpellée lors de mon atelier « Contre et avec l’architecture » lors de l’étude du master plan de la cité des Trixhes, l’analyse des séquences d’entrées, de l’appropriation, de la structure de la cité, … toute une série de questionnements ont commencé à émerger (tous en lien avec l’architecture et une dimension humaine qui provient de la rue et de l’architecture). J’ai donc voulu approfondir ces idées, en analysant non pas un seul cas, un seul îlot mais une sélection variée qui permettra d’avoir une vue d’ensemble sur ce qu’il se passe au sein de la cité des Trixhes ; sur les sujets de la transition et l’appropriation et voir les résultats obtenus.

Méthodologie générale 

Tout d’abord, il est important de justifier le choix du sujet d’où découle toute la mise en place de la méthodologie. Lors de l’atelier du projet d’architecture, il nous a été demandé de travailler un master plan pour la cité des Trixhes. Dans un premier temps, nous pouvions déjà remarquer un manque de structuration des différents espaces et dans un deuxième temps, on a pu cibler une partie de la cité (deux ilots) pour lui apporter une plus-value tant au niveau architectural par la mise en place d’exhaussements et d’annexes qu’au niveau des espaces de transition depuis la rue jusqu’à l’habitat, avec une réflexion sur la séquence d’entrée pour les deux ilots choisis. Ainsi, il m’a semblé intéressant d’approfondir l’expérience en ne sélectionnant pas uniquement un seul cas, un seul ilot mais en faisant une sélection variée pour voir les différentes séquences d’entrée, les appropriations, les limites entre les différents espaces, …

Après avoir choisi le sujet, il a donc fallu trouver des théories scientifiques sur lesquelles s’appuyer pour analyser les différents cas pratiques et trouver des points d’accroche qui permettraient de travailler les ilots de manière cohérente. Tout de suite, trois auteurs sont apparus comme importants pour la théorie : Oscar Newman, Nicolas Soulier et Jane Jacobs. Grâce à la lecture des ouvrages théoriques, j’ai pu dégager les caractéristiques d’analyses que j’expliquerai par la suite. Dans les différentes théories, nous avons ciblé uniquement les informations qui seront utiles à la pratique. Ces caractéristiques ont pu être appliquées de manière égale à tous les ilots. A la suite de cette analyse de données objectives, il en ressortira de nouvelles que nous pourrons analyser : ce sera le résultat de l’analyse.

JANE JACOBS

Jane Jacobs née en 1916 et décédée en 2006 est une journaliste, auteure et théoricienne en urbanisme. Elle a notamment écrit le livre « Déclin et survie des grandes villes américaines » publié en 1961 et traduit plus tard en français. Je vais déceler les concepts importants qui permettront de mieux comprendre les cas de la partie pratique. La théorie que Jane Jacobs défend est appelée « les yeux dans la ville ».

On pourrait commencer par une citation qui reflète très bien le concept reliant architecture et lien social pour lequel Jane Jacobs s’est battue ; « un quartier n’est pas seulement une réunion d’immeubles, c’est un tissu de relations sociales, un milieu où s’épanouissent des sentiments et des sympathies » (Jacobs Jane, 1961).

L’ouverture à la rue et le sentiment d’insécurité 

Jane Jacobs étudie de manière quotidienne les comportements des habitants des grandes villes. Elle va contredire les démarches et les idées de l’urbanisme moderne. Elle développe la théorie qu’elle appelle « les yeux dans la rue ». Le but est une surveillance « instinctive », « naturelle » émanant des occupants de la rue. On entend par occupants, les habitants des rues, les artisans possédant un commerce, mais aussi, les étrangers à la rue qui viennent se promener, y faire leurs courses ou rendre visite. Cette surveillance doit se faire sans intervention de l’état et sans contrôle policier. Le but est : les divers occupants de la rue se contrôlent les uns les autres.

Une surveillance de qualité contribue à augmenter la sécurité dans les rues et diminue le sentiment d’insécurité à trois conditions et à quelques consignes (elles seront développées plus bas). Jane Jacobs nous dit qu’un quartier qui fonctionne bien est un quartier qui « (…) remplit les trois conditions pour qu’une rue puisse accueillir dans de bonnes conditions des étrangers au quartier et être en leur absence un endroit où règne la sécurité (…) » (Jacobs Jane, 1961, p.46).

Ces trois conditions à respecter sont les suivantes :

« Premièrement, le domaine public et le domaine privé doivent être clairement départagés. (…) » (Jacobs Jane, 1961, p.46). Il est très important de bien délimiter le domaine public du domaine privé. Ça permettrait de mieux savoir où la surveillance doit se faire. Si l’espace public est bien délimité, la surveillance sera alors bien délimitée également.

Deuxièmement, il doit y avoir des yeux dans la rue, les yeux de ceux que nous pourrions appeler les propriétaires naturels de la rue. (…) Ces façades ne doivent pas être aveugles et présenter à la rue des murs sans fenêtre. » (Jacobs Jane, 1961, p.46). Les façades donnant sur la rue doivent absolument contenir des ouvertures pour que la surveillance se fasse plus facilement. Si les ouvertures sont mises de façon stratégique, c’est un plus pour la surveillance. Les murs aveugles sont totalement condamnés par Jane Jacobs, car ils ne permettent pas de lien avec la rue. Les yeux des commerçants (restaurateur, échoppes, nightshops…) sont tout autant importants que ceux des habitants.

« Troisièmement, la rue doit être fréquentée de façon quasi continue, à la fois pour augmenter le nombre des yeux en action, et pour inciter les occupants des immeubles riverains à observer les trottoirs en grand nombre. (…) » (Jacobs Jane, 1961, p.46). Quand Jane Jacobs entend par continu autant le jour que la nuit ; pour permettre à tout moment une surveillance. La nuit, par exemple, elle peut se faire aussi via les night shops, les restaurateurs…

Une notion primordiale est celle du trottoir et de ce qu’on y fait en termes de passages ou d’activités. La notion du trottoir entre en compte pour une surveillance de qualité venant des occupants de la rue, « les trottoirs doivent compter beaucoup de magasins et de lieux publics (…) ouverts le soir et toute la nuit » (Jacobs Jane, 1961, p.48) en plus de la journée. Jane Jacobs souligne l’importance que les trottoirs ont dans la rue. Une ville sécurisée est une ville dont les trottoirs et les rues sont sécurisés. Les villes qui privilégient les piétons sont des villes considérées comme plus sécurisantes. Au contraire, les villes qui sacrifient le piéton au profit de la voiture ne seront pas une ville sécurisante. Elle remarque aussi que les trottoirs sont très importants pour les enfants. Ils sont plus attirés pour jouer sur un trottoir que dans une cour arrière de leur bâtiment. Du côté des trottoirs, les différentes activités les attirent. C’est aussi pour ça que la surveillance s’avère primordiale et que celle-ci devra se faire via les yeux des habitants, des commerçants et des passants venant se promener dans le quartier.

Table des matières

1. Introduction
2. Méthodologie générale
3. Partie théorique
3.1 Méthodologie – partie théorique
3.2 Jane Jacobs
3.2.1 L’ouverture à la rue et le sentiment d’insécurité
3.3 Oscar Newman
3.3.1 L’espace défendable
3.3.2 Les types d’habitats
3.3.2.1 Les maisons unifamiliales
3.3.2.2 Les walkups
3.3.2.3 La tour
3.3.3 Les types d’espaces
3.3.3.1 L’espace privé
3.3.3.2 L’espace semi-privé
3.3.3.3 L’espace public
3.3.3.4 L’espace semi-public
3.4 Nicolas Soulier
3.4.1 Frontage public
3.4.2 Frontage privé
3.4.3 Frontage actif
3.4.4 Frontage que l’on stérilise
3.4.5 Frontage que l’on protège
3.4.6 Frontage que l’on réactive
3.5 Notion d’appropriation et d’espace entre–deux
4. Partie pratique
4.1 Méthodologie – partie pratique
4.1.1 Les limites de la recherche
4.1.2 Le choix des outils à mettre en place
4.1.3 Le choix des ilots
4.1.4 Le choix des critères d’analyse
4.1.5 Repérage des ilots choisis
4.1.6 Organisation spatiale intérieure unique des maisons unifamiliales
4.2 Analyse des ilots
4.2.1 Ilot 1
4.2.2 Ilot 2
4.2.3 Ilot 3
4.2.4 Ilot 4
4.2.5 Ilot 5
4.2.6 Ilot 6
4.2.7 Ilot 7
4.2.8 Ilot 8
4.2.9 Ilot 9
4.3 Synthèse de l’étude
4.3.1 Synthèse pour la typologie maisons
4.3.2 Synthèse pour la typologie walkup
4.3.3 Synthèse pour la typologie tour
4.3.4 Tableau synthèse
5. Conclusion

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