La taxation par transparence a été instaurée en Belgique dans le but de contrer la tendance de certains contribuables à placer leur patrimoine au sein d’entités établies dans un Etat étranger, appliquant une taxation minime voire nulle. Cette pratique des contribuables avait pour conséquence de créer un « vide de taxation » préjudiciable à l’Etat belge.
La réaction politique face à cette pratique s’est d’abord manifestée par une obligation, à l’égard des contribuables, de mentionner, dans leur déclaration fiscale annuelle à l’impôt des personnes physiques, les constructions juridiques dont ils étaient les fondateurs, les bénéficiaires ou les bénéficiaires potentiels. L’obligation de déclaration permettait, dans un premier temps, au fisc de récolter des informations sur la situation des contribuables, sans faculté de les taxer.
Dans un second temps, avec l’entrée en vigueur de la loi-programme du 10 août 2015, le gouvernement a mis sur pied une taxe applicable aux revenus recueillis par ces constructions juridiques. La particularité de cette taxe réside dans le fait que la charge fiscale repose sur le(s) fondateur(s) de ces constructions juridiques, même en l’absence de revenus distribués à ceuxci. Il existe donc une fiction qui permet d’agir comme si ces revenus avaient directement été perçus par les contribuables personnes physiques. Avec l’apparition de la faculté de taxer en tant que telle, il est devenu difficile de contester le caractère budgétaire de la mesure.
Dans l’exposé des motifs de cette loi-programme, il est expliqué que « l’intention n’est pas d’interdire les constructions juridiques en tant que telles, mais seulement de neutraliser les avantages fiscaux qu’elles génèrent en créant la transparence, de combler le vide existant actuellement en matière de taxation et de mettre fin à la possibilité du patrimoine flottant non taxé » .
Ultérieurement, le régime fiscal de cette taxe a fait l’objet de multiples précisions et autres modifications, de nature législative et réglementaire, dont nous analyserons la portée concrète ci-après.
Loi du 30 juillet 2013
Obligation de déclaration
A partir de l’exercice d’imposition 2014, les contribuables personnes physiques ont été contraints d’indiquer, dans leur déclaration fiscale respective, si eux-mêmes, leur conjoint, leur cohabitant légal, ou un de leurs enfants mineurs non émancipés, sont le fondateur ou le bénéficiaire (potentiel) de ce type de construction . Cette obligation de déclaration constitue, d’une part, une répercussion du Plan d’action pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale qui avait été approuvé le 11 mai 2012, d’autre part, un prolongement de la transparence et de l’échange automatique d’informations financières prévus au niveau européen .
Le Code des impôts sur les revenus a alors été amendé pour prévoir une liste de formes juridiques, par Etat ou juridiction, qui sont soit soumises, sur les revenus de capitaux et de biens mobiliers, à un régime fiscal notablement plus avantageux que celui auquel ces revenus seraient soumis en Belgique, soit totalement non soumises à un impôt sur les revenus. C’est un arrêté royal du 19 mars 2014, entré en vigueur à partir de l’exercice d’imposition 2014, qui établit ladite liste.
Contenu de la liste
Cette liste s’appuie sur le contenu de l’Annexe I de la Directive du Conseil modifiant la directive 2003/48/CE en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts. Les entités et constructions juridiques visées sont principalement les Trust, les International business company, les Sociétés exonérées, les sociétés Offshore, les Foundation . La seule forme juridique de la liste de l’Arrêté royal du 19 mars 2014 qui n’est pas mentionnée dans l’Annexe I précitée est la société de gestion de patrimoine familial (SPF) luxembourgeoise . Il avait été prévu que l’énumération des formes juridiques subirait des ajouts et/ou radiations à l’issue de modifications ultérieures intervenant dans les législations fiscales étrangères.
Loi-programme du 10 août 2015
La taxation par transparence, aussi appelée « Taxe Caïman », a été créée, à proprement parler, par la loi-programme du 10 août 2015. Celle-ci prévoit que, à partir de l’exercice d’imposition 2016, les revenus perçus par une construction juridique sont directement imposés, par ransparence, dans le chef des personnes physiques, fondateurs ou bénéficiaires de cette construction. La taxe vise alors deux types de constructions juridiques, à savoir, d’une part, les Trust et structures fiduciaires sans personnalité juridique distincte, d’autre part, les personnes morales dotées de la personnalité juridique qui sont soumises à un impôt étranger dont le taux est inférieur à 15% .
La loi-programme de 2015 soumet à la taxe les fondateurs, leurs héritiers, les tiers bénéficiaires et les actionnaires . Cette taxe s’applique à l’impôt des personnes physiques, ainsi qu’à l’impôt des personnes morales, mais pas à l’impôt des sociétés, ni à l’impôt des non-résidents. L’arrêté royal du 18 décembre 2015, qui exécute l’article 2 §1er, 13, b) alinéa 2 du CIR de 1992, comporte une formulation plus large des constructions juridiques qui tombent dans le champ d’application de la taxe Caïman, en comparaison avec la liste propre à l’arrêté royal du 19 mars 2014.
Loi-programme du 25 décembre 2017
Cette loi-programme a apporté des modifications substantielles à la taxe Caïman, dont détails ci-après. Ces modifications sont majoritairement entrées en vigueur le 1er janvier 2018 , même si certaines dispositions sont entrées en vigueur au 17 septembre 2017, donnant à cette loi un caractère partiellement rétroactif.
Doubles structures et chaînes de constructions juridiques
Suite à l’instauration de cette nouvelle taxe, les contribuables belges avaient imaginé des subterfuges afin de contourner l’application de ladite taxe. Parmi ces ruses, figurait l’interposition d’une ou de plusieurs structure(s) intermédiaire(s) entre le contribuable et la construction juridique visée par la taxe Caïman, la structure intermédiaire ne tombant, quant à elle, pas dans le champ d’application de la taxe Caïman.
C’est pourquoi la loi-programme du 25 décembre 2017 a élargi le champ d’application de ladite taxe afin de neutraliser l’effet de ces doubles structures, et ce en taxant de façon consolidée les revenus recueillis par la chaîne des constructions juridiques . Cependant, la taxe ne sera effective que si l’on se trouve face à une superposition de constructions juridiques. En effet, sous réserve de l’application de l’article 344, §1er du CIR de 1992, l’administration fiscale n’est pas en mesure d’imposer un contribuable qui détient indirectement une construction juridique, par l’intermédiaire d’une entité qui n’est pas qualifiée comme telle .
I. INTRODUCTION |