ANALYSE DE LA RELATION ENTRE LES COMPORTEMENTS STRATEGIQUES DES PME ET LEUR PERFORMANCE
Les relations entre l’incertitude environnementale, le comportement stratégique des PME, leur performance et les variables culturelles
L’augmentation de la concurrence, avec l’émergence de firmes mondialisées, l’accélération des mutations issues d’évolutions technologiques sans cesse renouvelées, conduisent au renforcement de l’incertitude environnementale. Les entreprises cherchent dans leurs choix stratégiques des réponses à cette incertitude afin de garantir leur survie développement, voire leur performance. Cela se traduit pour certaines entreprises par des actions volontaristes destinées à modeler l’environnement concurrentiel selon leurs propres exigences (Hamel et Prahalad, 1995). Alors que dans ce contexte d’incertitude et de fortes pressions environnementales, les PME semblent quant à elles, évoluer dans un contexte de déterminisme stratégique. Dans cette section nous allons dans un premier temps présenter les dimensions de l’incertitude environnementale retenues dans le cadre de cette recherche, ensuite dans un deuxième temps nous allons envisager les relations hypothétiques entre nos concepts.
Les dimensions de l’incertitude environnementale retenues dans le cadre de notre recherche
Le développement des technologies, la concurrence, et les changements dans la consommation peuvent générer un dynamisme accru et de la complexité. Milliken (1987) a suggéré que la perception de l’incertitude de l’environnement influe sur la stratégie d’une organisation. L’incertitude environnementale perçue se produit lorsque les administrateurs perçoivent l’environnement de l’organisation comme complexe (Milliken, 1987). Les perceptions de l’incertitude de l’environnement se produisent lorsque les dirigeants sont incapables de prédire l’évolution future des composantes de l’environnement ou de posséder une compréhension complète des relations entre les composantes de l’environnement (Milliken, 1987). Deux dimensions de l’incertitude sont habituellement utilisées dans la recherche en management stratégique.
Le dynamisme de l’environnement
Le dynamisme de l’environnement décrit le degré d’instabilité du marché dans le temps et la turbulence causée par l’interconnexion entre les organisations (Aldrich, 1979; Mintzberg, 1979). Selon Bourgeois (1985), il se distingue par le degré de changement ou de variation de facteurs constituants l’environnement. Pour Gueguen (2001), le dynamisme peut se trouver représenté par la croissance du marché, la modification de la structure concurrentielle ou l’amélioration des technologies. Duncan (1972) envisage le dynamisme comme le degré de changement des facteurs de l’environnement pris en considération lors d’une décision. Le dynamisme existe en fonction de deux sous-dimensions : la première tend à envisager le changement dans les facteurs environnementaux retenus pour la prise de décision. La deuxième concerne la fréquence de changement dans la sélection des facteurs environnementaux38. La perspective envisagée se pose donc sur les bases de l’incertitude et aussi sur les liens qui unissent les différentes entreprises présentes au sein d’un environnement. La dimension statique-dynamique telle que proposée par Duncan (1972) indique la mesure dans laquelle les facteurs de l’environnement interne et externe de l’unité de décision restent fondamentalement les mêmes au fil du temps ou sont dans un processus continu de changement. Elle est composée de deux sous-dimensions. La première39 porte sur la mesure dans laquelle les facteurs identifiés par les membres de l’unité de décision dans un environnement interne et / ou externe de l’unité sont stables, c’est-à-dire restent les mêmes au fil du temps, ou sont dans un processus de changement (Duncan, 1972). La deuxième sousdimension40 de la dimension statique-dynamique se concentre sur la fréquence avec laquelle les membres de l’unité de décision prennent en considération de nouveaux et différents facteurs internes et / ou externes dans le processus de prise de décision (Duncan, 1972). Achrol et Stern (1988) proposent de mesurer le dynamisme en termes de taux de changement dans l’environnement, rejoignant ainsi le point de vue antérieurement développé par Lawrence (1981). Milliken (1990) pense que le dynamisme induit de l’incertitude et que la perception du dynamisme dépendra de l’expérience du changement. Ainsi, le dynamisme induit par les acteurs de l’environnement fonde de nouveaux champs paradigmatiques à l’instar de l’hyper compétition (D’Aveni, 1999) où l’objectif des entreprises est de perturber les marchés afin de créer des avantages provisoires. Mais un haut degré de dynamisme s’apparente à de la turbulence, car vecteur d’incertitude et de complexité (Gueguen, 2001).Bourgeois et Eisenhardt (1988) estiment que dans un environnement de haute vélocité comme celui du secteur de l’informatique, le dynamisme se caractérise par de nombreux changements rapides et discontinus rendant l’obtention et l’utilisation de l’information difficiles. Les deux auteurs vont considérer que la prise de décision stratégique est problématique, car il est malaisé de prédire la significativité d’un changement qui se produit. L’entreprise, confrontée à cette vélocité environnementale, peut rentrer dans une logique d’attente ou d’imitation afin d’éviter les erreurs stratégiques mais cela risque d’être un comportement peu pertinent, car il existe un risque de perte d’opportunités et de modification des positions concurrentielles (Gueguen, 2001). Prokresch (1993) suppose qu’il y a un fort taux de changements technologiques dans le marché de la haute technologie, cette augmentation des changements peut conduire à un état chaotique dans lequel l’avantage compétitif s’obtiendra en produisant cette instabilité. En même temps, Miller et Friesen (1983) pensent que l’augmentation du dynamisme de l’environnement entraîne plus d’analyses et plus d’innovations de la part des entreprises. Cette pensée rejoint celle de Luo (1999) qui remarque que le dynamisme est positivement associé à un comportement innovateur et proactif de la part des petites entreprises. La prise de risque, selon la même recherche, semble également favorisée par le dynamisme environnemental. Nous pouvons donc conclure, que le dynamisme de l’environnement favorise l’émergence de comportements stratégiques (Miles et al. 1974 ; Miller, 1992).
La complexité de l’environnement
La complexité de l’environnement décrit le degré d’hétérogénéité et la dispersion des activités de l’organisation (Aldrich, 1979; Duncan, 1972; Starbuck, 1976). En introduisant le concept de « complexité organisée » en 1948, Weaver a ouvert de nouvelles voies à « l’intelligence de la complexité » qu’il définie comme « une intelligible imprévisibilité essentielle ». Edgard Morin, à partir de 1977 établit le « Paradigme de la complexité » qui assure désormais le cadre conceptuel dans lequel peuvent se développer les exercices de modélisation des phénomènes perçus comme complexes : une complexité à la fois organisée et « organisante ». Le paradigme de la complexité conteste le réductionnisme scientiste et mécaniste en affirmant qu’il y a une limite au savoir car il y a de l’incertain et de l’imprédictibilité. Cette conception tend vers la notion d’incertitude, car elle repose sur l’échange d’informations entre systèmes. C’est ainsi que Duncan (1972), à la suite de Terreberry (1968), va envisager la dimension complexe de l’environnement. Sa définition de cette dimension repose sur le degré selon lequel les facteurs environnementaux, pris en considération dans une décision, sont nombreux et hétérogènes. Pour prendre une décision, les membres de l’unité de décision peuvent envisager une grande variété de facteurs à la fois dans l’environnement interne et externe. Ils peuvent, par exemple, se concentrer sur les facteurs environnementaux internes des supports marketing et services, de la composante des unités fonctionnelle et personnelle de l’organisation. Dans le même temps, ils peuvent se concentrer sur les facteurs environnementaux externes de la demande des clients, de la composante clientèle, de la disponibilité des matières premières, des composantes production et fournisseur, du contrôle réglementaire de l’État sur l’industrie, de la composante sociopolitique, dans la formulation des programmes et des plans d’action de l’organisation (Duncan, 1972). Pour certains auteurs (Marchesnay, 2002 ; Ingham, 1997), la nature du marché est devenue plus complexe. La complexité se manifeste sous les traits de masse de situations, d’événements, de phénomènes que nous n’arrivons ni à comprendre ni à maîtriser (Genelot, 2001). Selon l’auteur, admettre la complexité c’est d’abord admettre que certains aspects de la réalité échappent à notre entendement (représentation, limitation de l’information et des connaissances, incertitudes…). C’est ainsi qu’il estime que la complexité correspond à tous phénomènes qui échappent en partie à la compréhension et à la maîtrise. Ceci peut être le cas avec l’environnement de l’entreprise. L’auteur poursuit en pensant que dire « c’est très complexe », c’est se résigner à l’incapacité de décrire, à l’incapacité de sortir d’une confusion de l’esprit, de constater un mélange non analysable et c’est avouer enfin son incertitude devant l’objet reconnu complexe. Nous aborderons dans le même sens que la pensée de Le Moigne (1999) en reconnaissant dans le cadre de ce travail qu’un environnement incertain, est un environnement complexe. C’est ainsi que Kalika (1995 : 394), fait remarquer que la complexité technologique est positivement liée à l’efficacité économique des entreprises. Ce constat nous permet de souligner que l’impact de la complexité concerne des sphères différentes de l’environnement de l’entreprise. La maîtrise de la complexité entraîne, selon l’auteur, une diminution de la vulnérabilité des entreprises. Luo (1999) constate que la complexité est positivement liée avec un comportement proactif et innovateur de la part des petites entreprises lorsque celles-ci sont dans un contexte d’incertitude environnementale. En effet, la difficulté à obtenir des informations précises émanant du marché va réduire l’efficacité des décisions. Mais, en même temps, cette difficulté de compréhension qui n’est pas l’apanage des seules PME peut entrainer le développement de stratégies volontaristes. Nous allons à présent analyser les différentes relations entre nos variables.
Les relations hypothétiques envisageables
Nous allons utiliser les dimensions de l’incertitude environnementale et les comportements stratégiques évoqués précédemment pour préciser nos mesures. La méthode de recherche que nous utilisons va chercher à mesurer l’influence de l’incertitude environnementale perçue sur les comportements stratégiques et sur le niveau de performance des entreprises de petite taille d’une part, et le rôle modérateur de l’incertitude environnementale perçue sur la relation entre les comportements stratégiques et la performance des PME d’autre part. Ensuite, comme nous ambitionnons de donner un caractère cross-culturel à notre recherche, nous allons également mesurer l’influence des variables culturelles sur les comportements stratégiques et la performance des petites entreprises, avant de mesurer le rôle modérateur des variables culturelles sur la relation entre les comportements stratégiques et la performance des PME. Ces différentes analyses vont nous permettre de confirmer ou d’infirmer notre thèse selon laquelle les comportements stratégiques des PME peuvent influencer la performance dans un contexte d’incertitude.
Analyse de la relation entre les comportements stratégiques et la performance
En partant de la définition de Ansoff (1987), qui considère la stratégie comme étant le processus permettant à l’entreprise d’identifier ses actions futures à travers son passé, de joindre la gestion opérationnelle et la gestion stratégique et d’intégrer l’entreprise dans son environnement, on constate que la notion de performance de l’entreprise dans son environnement, est l’essence même de la stratégie, par conséquent la performance se mesure par les décisions stratégiques. Dans la recherche sur la prise de décision stratégique, certains auteurs traitent de la performance organisationnelle (par ex., Goll et Rasheed, 1997), tandis que d’autres considèrent la décision comme une mise au point au sein de l’organisation et examinent les résultats des décisions stratégiques, tels que l’efficacité (par ex., Butler et al., 1993) ; le succès (Rodrigues et Hickson, 1995) et la qualité (par ex., Amason, 1996). Un corps important de recherches empiriques sur les résultats organisationnels traite de la performance organisationnelle (Elbanna et Child, 2007). La recherche en stratégie a concerné des questions au sujet de l’importance, le caractère distinctif et l’impact de la stratégie sur la performance des performances et la stratégie. Les stratégies ont des probabilités de succès en fonction de la nature de la baisse et de la force concurrentielle (Harrigan, 1980). Des associations significatives ont également été observées entre la rentabilité de l’industrie et la performance organisationnelle (Beard et Dess, 1984; Lieberson et O’Connor, 1972). Compte tenu de ces résultats, il semble que l’influence de l’environnement n’est pas le seul déterminant de la stratégie et la performance obtenue. Jauch, Osborn, et Glueck (1980), en utilisant une analyse de régression indiquent que les changements de l’environnement ont peu de rapport avec la performance mais que les décisions stratégiques concernant les changements financiers et l’efficacité de la production ont été statistiquement significativement liés à la performance. Romanelli et Tushman (1986) ont trouvé que les entreprises qui sélectionnent et mettent en œuvre des stratégies efficaces de la concurrence selon le modèle du choix stratégique, ont une haute performance. D’autres études montrent que dans un environnement d’affaires, la stratégie des entreprises a un effet significatif sur la performance (Porter, 1980; Scherer, 1980; Hambrick et Lei, 1985). Les variables stratégiques de la manufacture, à leur tour, influencent la performance des affaires (Swamidass et Newell, 1987). Le comportement stratégique de la manufacture est analysé comme une utilisation effective des points forts de la manufacture, comme une arme concurrentielle pour la réalisation des objectifs corporatifs et d’affaires. La stratégie de la manufacture reflète l’objectif et la stratégie de l’entreprise et permet à la fonction de fabrication de contribuer à la compétitivité à long terme et à la performance de l’entreprise (Skinner, 1969 ; Wheelwright et Hayes, 1985).