ANALYSE DE LA LONGEVITE D’UN CLUB SPORTIF
LE MANAGEMENT ASSOCIATIF
Etant donné que l’objet du présent travail porte sur l’étude de la longévité d’un club sportif (le S.O.E), il nous paraît essentiel, voire évident de nous focaliser sur les paramètres éventuels à considérer pour essayer de comprendre cet aboutissement. En effet, nous sommes convaincus que la pérennité d’une entité associative n’est possible qu’à travers un management efficace et efficient, sachant marier les exigences économiques avec la dimension psychosociale (nous avons évoqué dans le chapitre II que l’association sportive est le théâtre d’un champ conflictuel permanent). 1. Le management Pour les organisations, sous quelques formes qu’elles soient, le management (souvent confondu dans bon nombre d’ouvrages avec la gestion) revêt une importance capitale. La publication américaine Forbes, après plusieurs années d’études des firmes commerciales nord-américaines, conclut que le succès des entreprises est presque toujours fonction de la qualité de leur gestion. Le management est ainsi à la fois la cause des échecs et des succès d’une organisation (lucrative ou non lucrative, marchand ou non marchand). 1.1. Constat Le management est un dérivé d’un vieux mot français « ménagement », qui, jusqu’au 18ème siècle, signifiait « avoir la responsabilité de quelque chose dont on n’est pas propriétaire ». Mais le sens de cet anglicisme soulève quelques ambiguïtés dans son usage en français. D’une part, on lui attribue souvent le terme de gestion qui a une connotation trop 36 quantitative, et d’autre part, le terme d’administration15 qui s’apparente à la sphère publique. Pourtant, ces deux mots risquent de présenter une vision réductrice de la réalité. Le management « rassemble tous les concepts, techniques, outils, recettes ou expériences qui permettent de gérer au quotidien le fonctionnement effectif d’une organisation ». Au début du 20ème siècle, Fayol, théoricien mais aussi praticien français, cite les composantes de la fonction administrative (qui correspond au concept d’administration au sens anglosaxon) : prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler. Ainsi, le rôle du dirigeant ou du manager est d’assurer ces fonctions précédemment citées, sans être obligatoirement propriétaire de l’organisation qu’il dirige.
Définitions
Les définitions qui suivent indiquent effectivement un « domaine d’intervention » très large de la part des dirigeants. « À partir d’une connaissance rigoureuse des faits économiques, sociaux, humains (…), le management est une façon de diriger et de gérer rationnellement une organisation (entreprise, organisme public, association), d’organiser les activités, de fixer les buts et les objectifs, de bâtir des stratégies. Il y parviendra en utilisant au mieux les hommes, les ressources matérielles, les machines, la technologie, dans le but d’accroître la rentabilité et l’efficacité de l’entreprise » (Crener et Monteil, 1979). Pour ce qui est du rôle de la gestion et du gestionnaire, sa mission est de « créer ou maintenir un environnement où les individus qui travaillent en groupe sont encouragés à collaborer de façon efficace et dynamique à la réalisation d’objectifs communs préétablis »16 . 15 Utilisé par les anglo-saxons dans le « Master of Business Administration », principal diplôme de management des universités de langue anglaise 16 (Koontz et O’Donnell, 1980) cités par Christine Marsal (Management des organisations et économie d’entreprise : quelles différences ?) sur www.educnet.education.fr/ecogest 37 On constate que cet ensemble de définitions montre bien l’élargissement du champ d’étude : il s’agit de s’intéresser au phénomène organisationnel dans son ensemble, ce qui inclut toutes les formes d’organisations possibles. Le management de ces structures concerne essentiellement les problèmes de coordination des ressources internes (et plus seulement l’allocation de celles-ci). Les ajustements qui en résultent ne sont plus optimisés : à la pluralité des organisations répond la pluralité des ajustements. De fait, ce n’est plus l’ajustement en lui même qui est important (Combien allons-nous investir ? Quel matériel choisir ?), mais le processus de prise de décision qui domine (Qui intervient dans le choix de l’investissement ? Quels sont les facteurs qui influencent ce choix ? Avec quelle mise en place et dans quelles conditions ?). La suprématie technique ne conditionne pas la réussite d’un « bon » management. A contrario, l’importance du facteur humain, en particulier dans l’activité de coordination, met en avant la nécessaire maîtrise des phénomènes de pouvoir et des ressorts de l’implication et de la motivation.
Rationalisation économique
« Le club sportif est désormais une entreprise de type éducatif » écrivait un président de Comité national olympique, avant d’ajouter ce qui constitue un corollaire ; « le dirigeant responsable doit être un éducateur doublé d’un bon gestionnaire (…) capable de fixer des objectifs clairs et de savoir les confronter aux moyens »17. Au-delà de la formule entrepreneuriale en vogue, il faut voir, dans ce discours, le dessein de rationaliser ce qui constituait jusqu’à présent un des derniers bastions de l’amateurisme ; c’est-à-dire du travail hors marché finalisé par la réalisation d’un idéal humaniste. Rationaliser signifie organiser la combinaison optimale des moyens dont on dispose pour atteindre un objectif défini. Cela suppose, d’une part, que l’objectif humaniste soit quantifiable ou pour le moins identifiable, et, d’autre part, que les moyens (essentiellement humains) ne soient pas hors de portée managériale (comment impliquer des bénévoles dans l’action collective ?). On le constate, l’ambition de rationaliser l’entreprise de sport amateur devient embarrassante à partir du moment où l’on cherche à dépasser le slogan unanimiste (« il faut plus d’efficacité !» Qui soutiendrait le contraire ?) pour entrer dans sa réalisation concrète (quels objectifs ? quels moyens ?). Ce projet de « normalisation» du club sportif, même s’il reste très flou quant à ses modalités, nous questionne d’autant plus bruyamment qu’il fait écho à des projets analogues dans d’autres domaines comme le non-marchand culturel ou la santé. Quel sens donner à l’idée de rationaliser un club sportif ? Le sens universel de l’efficience taylorienne (être économiquement rentable), celui de la logique communicationnelle (être socialement efficace), ou faut-il y voir un nonsens inconcevable pour l’esprit sportif ?
Le modèle classique de rationalisation économique
Le principe de la gestion taylorienne repose sur la négation de l’événement imprévisible auquel il faudrait réagir, pour lui substituer l’opération parfaite, scientifiquement élaborée et méthodiquement ordonnancée. La rationalisation taylorienne est disciplinaire parce que légitimée par la raison scientifique. Dès lors, nul besoin d’un consensus « raisonnable » autour d’un « one best way » qui exclurait toute négociation. 39 Cette rationalité objective est celle de l’ingénieur, non pas de l’homme ingénieur mais de l’expert déshumanisé appliquant une logique d’action collective en dehors de toute morale sociétale. Il reste qu’optimaliser n’est ni bien ni mal en soi. Il apparaît donc difficile de séparer la rationalisation technico-économique du travail d’une certaine forme de rationalisation sociale de type finaliste ponant sur le sens à donner à l’action économique. La rationalisation des moyens, par le contrôle de gestion analytique qui en assure l’efficience, contribue ainsi à une rationalisation subjective et seconde, qui prend la forme d’une certaine efficacité de réponse au marché18 . Le modèle classique taylorien perdure parce qu’il est cohérent. Il permet, en effet, en l’absence de tout système d’échanges intra organisationnel – communication inutile, voire inefficiente – d’assurer, à la fois, la probabilité de l’entreprise (son intérêt privé) et le bien-être collectif (l’intérêt général). Et malgré certaines raisons de son échec (complexité, historicité, incertitude de l’environnement conduisant à l’inefficacité, aliénation, réification du travail), il n’en demeure pas moins un modèle de management attractif du fait de la simplicité de ses principes opératoires (gagner du temps est un principe accessible à tous), auquel l’entreprise non marchande peut faire référence. 2.2. Application du modèle à l’entreprise de services sportifs non marchands Toute association n’est point à l’abri du risque qu’à chaque assemblée générale, un jeune bénévole, plein de fougue entrepreneuriale, et sous prétexte d’«efficacité», propose la mutation du club amicaliste en « entreprise associative » concurrentielle. Si l’imaginaire de la culture d’entreprise emprunte à la mythologie sportive (Erhenberg, 1991), force est de reconnaître que celui de l’association est sous le charme sémantique des nouveaux slogans du management. Analyse concurrentielle, stratégies marketing, En sciences de gestion, il est convenu d’appeler efficience d’une organisation économique sa capacité à minimiser ses coûts directs de production (maximiser sa productivité) et efficacité, sa capacité à optimiser sa réponse au marché. Ainsi, fabriquer un produit plus coûteux que techniquement possible, mais « juste à temps » et présentant la qualité recherchée par la demande, c’est être efficace au prix d’une certaine inefficience. 40 flexibilité dynamique, qualité totale, voire gestion des ressources humaines, tous ces termes participent aujourd’hui au discours des présidents de fédérations quand ce n’est pas les présidents de clubs. Le président d’association, promu chef d’entreprise, risque de ne retenir de son recyclage accéléré de gestion que les quelques mots d’ordre faciles du modèle classique, et l’inexpérience aidant, d’en exagérer l’application. L’argument gestionnaire est cependant fondé. Un club sportif perçoit des cotisations dont il doit gérer rationnellement l’allocation, compte tenu des nombreuses charges auxquelles il doit faire face, afin de répondre au mieux à la demande des pratiquants. A cette gestion financière, s’ajoute l’action sur la fonction de production de services : politique de gestion des ressources humaines et politique d’investissement, ainsi que l’action sur le marché (politique marketing). On le constate, il s’agit d’une rationalité purement instrumentale liée à la gestion optimale des moyens (financiers surtout, et secondairement humains, techniques, commerciaux) destinés à atteindre un objectif. Et il faut dire que celui-ci est très particulier dans la mesure où, comme le disait Marc Guillaume (Guillaume, 1987, p. 141), « il y aurait dans la pratique sportive, dans l’imaginaire et le mythe sportif, quelque chose qui est très opposé aux représentations dominantes de l’économie et, plus profondément, plus abstraitement, opposé à une vision utilitaire du monde ». Ce n’est pas l’esprit de lucre qui anime l’association (la loi impose d’ailleurs une vocation non lucrative). Est-ce à dire, pourtant, que son objet soit désintéressé et allocentrique ? L’idéal d’une économie humaniste, basée essentiellement sur le mode du refus éthique de l’«économie de l’avarice» (Perroux, 1961), trouve-t-il un terrain d’accueil dans le domaine particulier de l’économie du sport qui véhicule des valeurs humanistes très prégnantes ?
INTRODUCTION |