Analyse de la formation continue « Initiation à la logique »
Depuis 2010, l’IREM de Paris propose dans le cadre de la formation continue des enseignants un stage « Initiation à la logique » 1 . René Cori a été l’initiateur de cette formation, je l’ai rejoint dès la première édition du stage en janvier 2010. À la suite de cette première édition, nous avons proposé la constitution d’un groupe de travail, « le groupe Logique », à l’IREM de Paris, et d’autres membres de ce groupe, notamment professeurs du secondaire, sont intervenus dans les éditions suivantes de la formation. Les besoins de formation mis en évidence montrent la nécessité d’un double apport théorique et pratique dans une formation d’enseignants à la logique. Le choix fait pour cette formation est de ne pas aborder le contenu disciplinaire sous la forme d’un cours de logique mathématique, mais de le faire à travers l’étude du langage mathématique, la logique mathématique servant de référence pour expliciter les nombreuses façons de dire des mathématiciens, qui ne sont pas toujours entendues par les élèves comme nous le souhaiterions (et qui comportent parfois des ambiguïtés malheureuses). Ces apports théoriques ont donc également un aspect pratique puisqu’ils s’appuient sur le langage, notamment celui utilisé dans la classe de mathématiques. Présentations d’activités proposées en classe, analyses des programmes et des manuels viennent compléter l’apport pratique en préparant le travail de transposition dans la classe. Dans un premier temps je présente le scénario de la formation 2013, qui correspond au projet complet de la formation et inclut : – les objectifs de la formation, présentés dans leurs grandes lignes, et tels qu’annoncés aux stagiaires, – les modalités de la formation, – le contenu et l’organisation. Je compare ensuite ce scénario aux besoins de formation concernant l’enseignement de notions de logique, et propose ainsi une analyse a priori de la formation. J’analyse ensuite la formation effectivement proposée, à la manière d’une analyse a posteriori qui permet de confronter la réalisation aux prévisions. Le planning général du stage est donné en annexe page 545. Nous pouvons y voir la mise en place effective de différentes séquences alternant exposés théoriques, présentations d’activités, comme cela est décrit dans le scénario. La première journée du stage est représentative de cette alternance puisqu’elle comporte trois séquences (en plus du moment d’accueil et d’un test de début de stage) : un exposé théorique de R. Cori sur l’analyse du langage mathématique, un exposé théorique de T. Joly sur la dialectique démonstrateur/utilisateur dans le raisonnement mathématique, des présentations d’activités par G. Notter et C. Huet. Elle commence par un moment d’accueil dans lequel nous pouvons voir comment la formation est présentée aux stagiaires et les motivations de ceux-ci pour s’y inscrire. Il y a ensuite un test que j’ai analysé notamment pour les renseignements qu’il donne sur les connaissances des stagiaires. Je présenterai une analyse détaillée du premier exposé. J’y cherche d’éventuelles traces de la constitution d’un savoir de référence : quelles sont les notions étudiées ? Qu’est-ce qui est institutionnalisé et comment ? Je cherche également à évaluer la pertinence du choix de l’entrée dans la logique par l’étude du langage mathématique. Je regarde donc comment les formateurs amènent les stagiaires à s’intéresser à ce pilier de la logique, qui est peut-être pour eux moins évident que le pilier raisonnement. Je présenterai également une analyse des autres séquences de cette première journée, essentiellement pour montrer la mise en œuvre du scénario de la formation. Cette analyse est également guidée par une attention aux connaissances en logique qui sont en jeu, et aux effets du choix de privilégier le langage. Je considère que la représentativité de cette première journée est suffisante pour qu’il ne soit pas nécessaire de présenter ce même travail d’analyse sur les autres journées, qui s’en différencient essentiellement par les contenus abordés. L’analyse s’appuie sur les vidéos du stage. L’intégralité des échanges de l’exposé de R. Cori et des extraits des autres séquences de la journée sont retranscrites en annexe K.1 page 549.
Le scénario de la formation
Objectifs
Le stage est publié chaque année depuis 2010 aux Plans Académiques de Formation des académies de Paris (sauf en 2013), Créteil et Versailles. Voici la façon dont il est annoncé : Objectifs : Familiariser les participants avec quelques notions de base de logique ne figurant que rarement dans les cursus des universités françaises. Initiation prenant en compte les nouveaux programmes de lycée, où des éléments de logique figurent explicitement. Contenu du stage : Langage mathématique naïf. Variables muettes/parlantes. Mutifications explicites/implicites. Connecteurs, quantificateurs. Syntaxe/sémantique. Théories axiomatiques. Preuves. Cardinalité. Logique et pratique des mathématiques en classe. Méthodes : Exposés théoriques et exercices d’application. Étude de manuels, de productions d’enseignants et d’élèves. Réflexion sur la manière de présenter à des élèves de lycée quelques outils utiles à une meilleure appréhension du langage et du raisonnement mathématiques. Élaboration avec les stagiaires de scénarios qu’ils pourront expérimenter dans leurs classes avant la dernière journée bilan. Dans cette annonce, l’accent mis sur le langage apparaît dans le contenu et non dans les objectifs. La place qui lui est accordée dans le stage, nous verrons cela dans l’analyse du contenu, permet pourtant de dire qu’à côté de cet objectif affiché de transmettre des connaissances en logique mathématique, il y a un objectif directement lié aux pratiques des enseignants : faire prendre conscience de nos façons de nous exprimer en mathématiques (les pratiques langagières de la communauté) qui sont complexes, des ambiguïtés et des implicites qui sont de nature à gêner la communication avec les élèves.
Modalités de la formation
Le stage se déroule en présentiel sur trois journées de six heures de formation. C’est une durée qui semble nécessaire pour qu’il y ait place à la fois pour les apports théoriques et pour des propositions pratiques. Les deux premiers jours du stage sont consécutifs, et ont lieu au mois de janvier. Un temps long est ensuite volontairement laissé pour que les stagiaires puissent tester une activité dans leurs classes, et en faire le récit lors de la troisième journée qui a lieu en mars Huit formateurs interviennent dans le stage et il y en a souvent trois ou quatre présents en même temps. Ainsi, chaque séquence du stage est prise en charge par l’un d’entre eux, mais avec des interventions des autres présents. L’organisation globale des différentes séquences est décidée à l’avance, et pour chaque séquence, des grandes lignes du contenu sont fixées. S’y ajoutent des commentaires plus « improvisés » et les réponses à des questions des stagiaires.
Contenu
Dans cette section 8.1.3, pour la description du contenu du stage, ma position de formatrice me permet de rendre compte des intentions de l’équipe des formateurs, à laquelle le texte a été soumis, sans avoir recours à un entretien. Des éléments de logique mathématique à partir de l’analyse du langage mathématique Dans ce stage, la logique mathématique est abordée à travers l’analyse du langage mathématique. Il s’agit d’une approche que l’on peut qualifier de « naïve » au sens où certains objets et certaines relations n’y sont pas mathématiquement définis, contrairement à ce qui est fait dans un cours de logique mathématique (et qui est exposé dans l’annexe A page 445). Une des ambitions du stage est de rendre les stagiaires sensibles à certains points dans leur façon de s’exprimer. Le choix de ses concepteurs est donc de consacrer un temps conséquent à cette analyse du langage mathématique, et notamment de lui consacrer la première demi-journée du stage. À partir de phrases qui leur sont familières, les stagiaires sont amenés à analyser certaines formulations à partir d’idées intuitives. Un itinéraire est conçu pour rencontrer différentes notions de logique mathématique qui permettront de reformuler ces intuitions dans des termes plus précis : – dans un premier temps, les stagiaires sont amenés à prendre conscience de la quantification universelle implicitement associée à l’implication. Cet exemple a une fonction de sensibilisation : il montre qu’il y a lieu de s’interroger sur une formulation dont nous usons très fréquemment sans y faire attention, et crée le besoin d’éléments d’analyse pour expliciter ce phénomène. – La notion de proposition est ensuite abordée. L’objectif n’est pas d’en donner une définition mathématique, mais d’arriver à circonscrire la notion de proposition aux énoncés qui ne concernent que les objets mathématiques, et d’exclure les énoncés qui mettent en jeu un locuteur. Les propositions constituent une catégorie des expressions mathématiques, l’autre catégorie étant constituée par les noms des objets mathématiques. – Les connecteurs logiques sont d’abord présentés sous leur aspect syntaxique : ils permettent de construire une nouvelle proposition à partir d’une ou plusieurs autres prpositions. Cet aspect syntaxique est moins connu que l’aspect sémantique qui est vu à travers les tables de vérité – Les variables sont considérées comme la caractéristique du langage mathématique, qui le différencie ainsi du langage courant. Le point essentiel est la distinction entre variable libre et variable liée. Les signes mutificateurs sont ensuite présentés comme des indicateurs infaillibles du fait qu’une variable est liée. – Les quantificateurs sont vus comme des mutificateurs. Dans plusieurs expressions mathématiques, les quantifications sont implicites, signalées par d’autres mots que les quantificateurs (un, avec. . .), ou même pas signalées du tout (dans les formulations en si. . ., alors. . .). – Un temps spécifique est consacré à l’implication : table de vérité du connecteur, différence entre implication et déduction. Le langage des prédicats est utilisé comme référence pour exhiber la structure logique des propositions. Quelques tâches de type « thème » sont proposées aux stagiaires sur des formulations à traduire dans ce langage (par exemple, écrire l’expression « il existe exactement un x tel que . . . », en utilisant les quantificateurs universel et existentiel), ainsi que quelques tâches de « manipulation » du langage des propositions (sont alors définies les notions de propositions logiquement équivalentes et de tautologie) et du langage des prédicats (distributivité ou non des quantificateurs sur les connecteurs ET et OU par exemple).
Une partie pratique : analyse de manuels et tâches pour les élèves
Les considérations sur le langage mathématique ne sont pas propres à l’activité d’enseignement. Les formateurs les ancrent dans le terrain de la classe en prenant en exemples des formulations possiblement utilisées par les professeurs. Ils laissent aussi la place à des interventions ou questions des stagiaires sur des façons de dire d’eux mêmes ou de leurs élèves. Un autre lien est fait avec la classe par l’utilisation d’extraits de manuels, dont il est fait une lecture critique. Les notions de logique exposées à travers l’étude du langage mathématique sont utilisées pour l’analyse de ces extraits (par exemple pour expliciter les quantifications dans des énoncés de théorèmes, ou signaler certaines confusions dans des exercices comme celles mises en évidence dans l’analyse des manuels). La conception de tâches pour les élèves est également abordée dans le stage. Des tâches élaborées dans le groupe Logique de l’IREM de Paris sont présentées. Les formateurs (des professeurs qui ont testé l’activité dans leur classe) exposent aux stagiaires l’historique de l’élaboration de la tâche, ce qui permet d’en faire une sorte d’analyse a priori, puis le déroulement en classe, parfois accompagné de réponses d’élèves, et enfin les éventuelles modifications envisagées après un premier essai.