AMORCER UNE CARRIÈRE DANS L’ENSEIGNEMENT
Dans le domaine de l’éducation, un bon nombre de nouveaux enseignants amorcent chaque année leur carrière en manifestant une attitude positive et un fort enthousiasme. Étant enfin le maître de sa propre classe, le nouvel enseignant s’engage avec dynamisme et motivation, la tête remplie de projets à concrétiser pendant l’année scolaire. Pour l’enseignant débutant, l’entrée dans la profession entraîne non seulement cette énergie positive, mais aussi une panoplie d’émotions, lorsqu ‘il fait face à la complexité de la tâche qu’il doit assumer.
Le passage du statut d’étudiant à celui d’ enseignant est fréquemment vécu par le novice comme une période où les rêves font place à la réalité. Alors qu’il s’était imaginé une vision exemplaire de l’enseignement, voilà que le débutant se trouve souvent précipité dans le milieu de pratique, embauché à la dernière minute, récoltant des tâches fragmentées, responsable d’enseigner des matières avec lesquelles il est parfois peu ou pas familier et souvent assigné aux groupes les plus difficiles (Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant (COFPE), 2002; Fédération du syndicat des enseignants (FSE), 2003; Mukamurera, 2005). Dans un court délai, il doit alors s’adapter à une multitude de facteurs nouveaux: le milieu de travail, les collègues, les élèves, l’équipe-école, ainsi qu ‘à toutes les composantes de sa tâche.
Dans l’agitation de la rentrée scolaire, l’enseignant manque souvent de temps pour se préparer adéquatement et peut ressentir de la nervosité devant la lourdeur de ses nouvelles fonctions. Il doit assister aux réunions, voir à l’accueil des élèves, maîtriser le contenu des différentes matières, préparer les cours qu’il dispensera, élaborer du matériel didactique, concevoir rapidement des activités pédagogiques et réfléchir aux stratégies d’apprentissage. Se trouvant seul dans sa classe et parfois démuni devant cette multitude de responsabilités à assumer, il peut être habité par la solitude, voire la vulnérabilité (Lamarre, 2003).
Lors de son insertion dans la profession enseignante, le débutant peut ressentir un tourbillon d’émotions pouvant passer de l’euphorie à l’angoisse (Lamarre, 2003). Souvent laissé à lui-même, l’enseignant peut être envahi par un sentiment d’insécurité devant les tâches complexes à accomplir. Il semble que l’excitation des premiers jours peut aussi faire place à de l’inquiétude devant l’ampleur de la tâche (COFPE, 2002; Mukamurera, 2005). Cette situation d’instabilité où le novice doit jongler avec plusieurs facteurs nouveaux et imprévus peut engendrer des difficultés diverses et même susciter une remise en question quant à son avenir dans l’enseignement (Mukamurera, 2005).
Alors que certains poursuivent leur carrière en enseignement et vivent l’étape de l’entrée dans la profession comme une expérience constructive dans leur développement , professionnel, celle-ci peut s’avérer pénible pour d’autres. Des études montrent qu’en l’absence d’accompagnement et de soutien adéquat, de plus en plus d’enseignants se découragent et abandonnent l’enseignement (COFPE, 2002).
Ce phénomène désolant d’abandon de la profession inquiète de plus en plus. Un nombre élevé de nouveaux enseignants quittent l’enseignement après leurs premières années de pratique, comparativement à d’autres professions où le taux de désertion est beaucoup plus bas . Au Canada, des sondages révèlent qu’entre 17 et 20 % des nouveaux enseignants quittent leurs fonctions avant d’avoir acquis cinq années d ‘ expérience (COFPE, 2002; FSE, 2008). Au Québec, plusieurs statistiques montrent qu ‘un enseignant sur cinq, soit près de 20 % des enseignants, décroche au cours des cinq premières années dans la carrière (FSE, 2008). Plusieurs chercheurs associent ce phénomène aux difficultés vécues par les nouveaux enseignants lors de l’ insertion professionnelle (Veenman, 1984; Huberman, 1989), aux conditions d’embauche précaires et instables (Mukamurera, 1998, 2005) ou encore aux modalités d ‘accompagnement peu présentes dans les milieux scolaires (Gervais, 1999; COFPE, 2002).
Si nous tenons compte des statistiques évoquées précédemment, nous ne pouvons laisser sous silence qu’il y a tout de même au-delà de 80 % des enseignants québécois qui persistent dans la profession, et ce, malgré les conditions difficiles lors de l’entrée en fonction. Devant ce pourcentage plus rassurant, n’y a-t-il pas lieu de nous interroger sur les éléments qui motivent les novices à s’engager et à poursuivre dans la profe~sion enseignante? Au cours des dernières décennies, les études portant sur l’insertion professionnelle des enseignants ont davantage abordé les difficultés vécues lors de l’entrée dans la profession. À notre connaissance, peu de chercheurs se sont intéressés aux éléments favorisant une insertion professionnelle harmonieuse chez les enseignants débutants. En effet, «plus souvent, les rapports soulignent les difficultés rencontrées par les novices au détriment de dévoiler les éléments qui les motivent à persévérer et à s’engager dans leur travail malgré les péripéties parfois déroutantes » (Lamarre, 2003, p. 3). Peu importe le domaine de travail, le fait de commencer une carrière entraîne son lot d’insécurité et de difficultés à surmonter. Toutefois, si nous tenons compte des statistiques, il est important de souligner que les enseignants ayant réussi à traverser les obstacles rencontrés lors de leur entrée dans la profession sont nombreux. C’est, entre autres, une des raisons pour laquelle il convient de nous préoccuper de comprendre ce qui motive les enseignants à s’engager et à poursuivre leur carrière dans l’enseignement et ce qui contribue à les aider à surmonter les obstacles qu ‘ils rencontrent.
II est ainsi pertinent de nous intéresser, non pas à ceux qui quittent l’enseignement pour différents motifs, mais plutôt à ceux qui choisissent de poursuivre leur carrière dans ce domaine. Le fait d’explorer la situation des enseignants lors de leurs premières années d’expérience permettra de déterminer les indicateurs de motivation qui poussent les enseignants à poursuivre leur carrière, à s’engager activement et à demeurer dans la profession. L’exploration des indicateurs de motivation permettra de cibler les facteurs de réussite favorisant l’insertion professionnelle des enseignants débutants ainsi que la rétention de ceux-ci dans l’enseignement.
Pour mieux saisir la problématique de l’entrée dans la profession, les sections suivantes clarifient l’état de la situation des enseignants débutants. Plus précisémenr, il est question de trois dimensions souvent abordées dans les études sur le sujet, à savoir la situation de l’entrée dans la profession enseignante, les difficultés rencontrées par les novices et les dispositifs d’accompagnement mis en œuvre pour les soutenir.
L’entrée dans la profession enseignante
Depuis plus de cinquante ans, le phénomène de l’entrée dans la profession enseignante a attiré l’attention de nombreux chercheurs provenant de différents pays (V onk, 1988; Huberman, 1989; Gold, 1996; Moir, 1999; Baillauquès, 1999; Weva, 1999). Plus près de nous, au Québec, des chercheurs ont fait leur marque en réalisant d’importantes études sur le sujet : Nault (1993), Mukamurera (1998), Hétu et Lavoie (1999), Boutin (1999,2002), Gervais (1999), Lamarre (2003), Martineau, Presseau et Portelance (2005).
Dans la documentation scientifique, la notion d’entrée dans la profession enseignante est souvent associée à l’expression insertion professionnelle. Cette première étape dans la carrière est décrite comme un moment crucial, puisque des études ont montré que c’est souvent au cours de cette période que la manière dont l’expérience est vécue détermine chez le novice le choix de rester ou de quitter l’enseignement (Veenman, 1984; Huberman, 1989; Nault, 1993; Lamarre, 2003). Devant ce constat, nous pouvons présumer que la manière dont l’expérience est vécue par le novice peut avoir un impact sur la qualité de l’engagement de l’enseignant dans son travail et sur sa motivation à demeurer ou non dans la profession.
La période d’ entrée dans une profession est un moment très stimulant chez la personne qui termine sa formation. Pour l’enseignant, le fait d’amorcer sa carrière en enseignement représente une expérience particulière, entremêlée par différents sentiments qui vont de l’ excitation à l’angoisse (COFPE, 2002; Lamarre, 2003). Habité par l’enthousiasme d’ être enfin reconnu comme un professionnel de l’enseignement (Lamarre, 2003), l’enseignant doit rapidement s’adapter à diverses situations d’incertitude engendrées par la complexité de son nouveau rôle (Huberman, 1989; Perrenoud, 1996; Nault, 1999, COFPE, 2002) et ce, souvent seul, et sans bénéficier d’un accompagnement adéquat (COFPE, 2002).
Actuellement au Québec, l’entrée dans la profession enseignante représente un long parcours sinueux, marqué par des conditions d’embauche difficiles (Mukamurera, 2005) et un stress ressenti devant la tâche qui ne cesse de se complexifier au fil des ans (Cossette, 1999; COFPE, 2002). Avant d’obtenir la permanence, l’enseignant doit, la plupart du temps, faire de la suppléance et réaliser plusieurs contrats occasionnels (Mukamurera, 1998; COFPE, 2002). Durant ses premiers pas dans la profession, une multitude de tâches et de responsabilités lui sont confiées et celui-ci se trouve souvent laissé à lui-même. TI doit alors faire preuve d’une habilité d’adaptation et d’autonomie pour vivre paisiblement cette phase tumultueuse de l’ entrée dans la carrière en enseignement (Lamarre, 2003).
Il convient également de souligner qu’au cours des premières expériences en enseignement, le novice se voit responsable des mêmes tâches complexes que celles de ses collègues plus expérimentés (Huberman, 1989; CEQ, 1993; Baillauquès et Breuse, 1993; Nault, 1993, COFPE, 2002). Comme le souligne Nault (1993), cette situation serait jugée inacceptable dans le domaine de la médecine, du droit ou de l’ingénierie, où les tâches professionnelles sont assumées progressivement, sous l’œil vigilant de personnes chevronnées.
Si nous tenons compte des constats qui précèdent, il n’est pas étonnant que plusieurs chercheurs qualifient l’entrée dans la carrière en enseignement comme un choc ou une période de survie pour le novice (Huberman, 1989; Nault, 1993; Gold, 1996; Moir, 1999; Baillauquès, 1999; COFPE, 2002). Cette période d’entrée dans l’enseignement est décrite par plusieurs chercheurs (Huberman, 1989; Nault, 1993; Gervais, 1999; COFPE, 2002) en trois étapes distinctes: l’étape de survie ou le choc de la réalité, la phase de découverte et la période de consolidation des acquis. La première étape, celle de survie, correspond au moment où l’enseignant est confronté pour la première fois à la réalité de la profession. li s’ initie à son nouveau travail et évolue par essais et erreurs. li vit des périodes de tâtonnement, des remises en questions étant donné l’écart entre ses idéaux et la réalité quotidienne et il ressent un découragement devant l’ampleur de sa tâche. La deuxième étape est la phase de découverte, décrite plus positivement comme une période d’enthousiasme à débuter dans la profession enseignante, à devenir maître de sa classe, à avoir enfin son groupe d’élèves et à mettre en pratique diverses stratégies pédagogiques. L’enseignant fait des expériences, explore différentes méthodes d’enseignement, fait face à différents défis et s’épanouit petit à petit. La troisième étape, celle de la consolidation pédagogique, est la période où l’enseignant prend de plus en plus confiance en lui, se sent plus à l’aise devant les situations complexes et imprévues, est plus attentif aux élèves et ose s’affilmer davantage devant ses collègues et au sein de son école (Huberman, 1989; Nault, 1993; Gervais, 1999; COFPE, 2002).
INTRODUCTION |