Amélioration de l’efficacité des sources bétatrons
Il n’est pas forcément nécessaire d’avoir une interaction laser-plasma pour produire un rayonnement bétatron dans un plasma. Un faisceau d’électrons relativistes (ou plus généralement de particules chargées) se propageant dans un plasma est également capable de repousser transversalement les électrons du plasma, par simple répulsion coulombienne, et de créer un sillage caractérisé par de forts champs électromagnétiques. La première observation expérimentale du rayonnement synchrotron émis par le mouvement bétatron des particules a ainsi été réalisée dans ce cadre en 2002, en utilisant un faisceau d’électrons accéléré à 28.5 GeV sur le SLAC [Wang et al., 2002]. Deux ans plus tard, elle était démontrée au LOA dans le cas d’un sillage créé par laser [Rousse et al., 2004]. Par la suite, cette thématique a été intensément étudiée, permettant de déterminer les principales caractéristiques d’une source bétatron. Une durée inférieure à 100 fs a été trouvée expérimentalement [Ta Phuoc et al., 2007], mais les mesures effectuées sur le faisceau d’électrons présagent d’une durée réelle plutôt de l’ordre de quelques femtosecondes [Lundh et al., 2011]. Une taille micrométrique a également été déterminée par différents groupes [Shah et al., 2006, Kneip et al., 2010], ainsi qu’une divergence de l’ordre de quelques dizaines de milliradians [Ta Phuoc et al., 2006]. Dans ces dernières années, l’amélioration des technologies expérimentales a permis d’augmenter la collimation des sources bétatrons, parfois inférieure à 10 mrad [Kneip et al., 2010], ainsi que la gamme d’énergie atteignable par les photons de cette source de quelques keV à la centaine de keV. La maîtrise de ces sources a augmenté à tel point qu’elles sont maintenant utilisées pour réaliser des radiographies dans divers domaines [Fourmaux et al., 2011a, Kneip et al., 2011]. De plus, la mesure du rayonnement bétatron permet d’accéder à une connaissance plus précise de l’évolution expérimentale du faisceau d’électrons dans l’accélérateur plasma, comme par exemple celle de son émittance transverse [Kneip et al., 2012, Plateau et al., 2012]. Pour de nombreuses applications, cependant, il est encore nécessaire d’augmenter le flux de photons émis par les sources bétatrons [Albert et al., 2014], afin de pouvoir s’approcher des sources synchrotrons des accélérateurs conventionnels. Cette augmentation se fait naturellement à mesure que des lasers plus puissants sont développés. Cependant, pour que cette technologie reste accessible (moindre coût, petite taille de l’installation, plus haute cadence de tir, etc.), il est intéressant de pouvoir augmenter le flux de photons à énergie laser constante. Ceci peut être réalisé expérimentalement en améliorant la tâche transverse du laser, comme vu dans la section précédente. Une autre piste consiste à complexifier le dispositif expérimental afin d’ajouter de nouveaux effets ayant pour but d’amplifier le mouvement bétatron. Par exemple, il est possible de faire interagir le faisceau d’électrons accéléré dans le sillage avec l’impulsion laser, le champ laser transverse amplifiant l’oscillation bétatron [Németh et al., 2008]. Ceci peut se produire lorsque les électrons rattrapent l’arrière de l’impulsion laser en déphasant [Cipiccia et al., 2011], ou bien en utilisant la technique d’injection par ionisation pour avancer la position d’injection [Huang et al., 2016]. Donnant de bons résultats expérimentaux, ces méthodes peuvent néanmoins être difficilement reproductibles par les simulations, car l’interaction de l’impulsion laser avec le faisceau d’électrons accélérés peut être difficile à modéliser correctement dans les codes PIC [Lehe et al., 2014]. De plus, ce couplage des électrons accélérés avec le laser est naturellement présent dans la plupart des expériences réalisées sur les sources bétatrons. Augmenter le flux passe donc soit par l’optimisation de ce phénomène, soit par la recherche d’autres méthodes. Une autre possibilité consiste à jouer sur le profil du plasma utilisé pour l’accélération, afin de soit augmenter l’énergie électronique atteinte, soit accentuer l’oscillation des électrons [Ta Phuoc et al., 2008b]. Dans cette partie, nous présentons tout d’abord deux méthodes basées sur des manipulations de ce profil afin d’augmenter le rayon d’oscillation des électrons dans l’onde de sillage. Dans la première, le laser est envoyé sur un gradient de densité montant avec un petit angle d’incidence. Ceci brise la symétrie du sillage et provoque une injection avec une grande impulsion transverse, conduisant à des oscillations bétatrons importantes. Dans le deuxième schéma, une marche de densité montante provoque un éclatement du faisceau d’électrons qui interagit avec des champs transverses défocalisants. En retournant à la densité initiale après la marche de densité, l’accélération reprend avec un rayon d’oscillation plus élevé pour les électrons ayant été défocalisés. Enfin, il est aussi possible d’utiliser cette marche de densité montante pour accélérer la déplétion du laser, et donc la transition vers un régime où le sillage est créé par le faisceau d’électrons. Dans ce régime, on a encore émission de rayonnement bétatron, similairement à l’expérience réalisée sur le SLAC en 2002 [Wang et al., 2002], et l’émission peut même être augmentée car bénéficiant d’une densité plasma plus élevée.
Gradient transverse
Présentation du schéma
La physique du sillage laser présente une symétrie axiale qui conduit généralement à l’accélération sur l’axe d’un faisceau très focalisé, dont les électrons effectuent des oscillations bétatrons d’amplitude petite devant le rayon de la bulle accélératrice. Il semble ainsi intéressant de ‘casser’ cette symétrie, afin de provoquer une oscillation sur une plus grande zone à l’intérieur de la bulle. C’est pourquoi il nous a paru prometteur d’envisager l’interaction d’un laser avec un gradient de densité transverse. On considère donc à présent une impulsion laser d’énergie fixe E0 = 1.5 J, de durée τ0 = 30 fs, de longueur d’onde λ0 = 800 nm, et de polarisation linéaire selon y se propageant dans une direction proche de celle de l’axe x. Ce laser est focalisé sur un waist de W0 = 13.5 µm en entrée de simulation, ce qui donne a0 = 2.86. On considère l’interaction de ce laser avec un plasma de densité 3.5 × 1018 cm−3 . De plus, on ajoute un gradient de densité transverse : la densité, qui est constante et égale à 3.5 × 1018 cm−3 pour y < 100 c/ω0 ∼ 13 µm, augmente linéairement pour les positions y > 13 µm. De tels gradients raides et courts peuvent être par exemple générés en insérant une lame en sortie de jet de gaz, ce qui crée un choc dans le jet de gaz [Schmid et al., 2010, Buck et al., 2013, Guillaume et al., 2015b]. Le laser est injecté en y = −75 c/ω0 avec un angle α petit par rapport à la direction x. Il arrive donc en incidence rasante sur le gradient transverse (cf fig. 41a). Une telle étude implique une asymétrie par rapport à la direction de propagation laser, on ne peut donc pas utiliser le code CALDER-Circ. Pour cette raison, on réalise des simulations 3D avec CALDER, et les paramètres numériques utilisés sont les mêmes que dans la partie précédente. La figure 41 présente l’évolution de la densité plasma au cours d’une simulation avec α = 3˚, et pour un gradient de densité de 0.42 × 1018 cm−3/µm (la densité est multipliée par 6 en 50 µm). Le laser se propage initialement vers la droite et vers le haut, selon l’angle α. Il est progressivement dévié dans le gradient avant de repartir vers le bas. Si on assimile le laser à une onde plane, il est en effet possible de montrer que celui-ci suit une trajectoire parabolique dans le gradient, et qu’il en sort en se propageant avec un angle −α. On peut voir également qu’un faisceau d’électrons a été injecté dans le gradient, clairement visible à partir de la figure 41d. Après la sortie du gradient, ces électrons oscillent fortement dans le sillage, occasionnant un rayonnement intense. Dans la suite nous allons étudier plus en détail comment se produit l’injection, et pourquoi les oscillation des électrons sont aussi marquées en sortie du gradient.
L’injection transverse
L’injection dans un tel gradient transverse est différente de l’injection dans un gradient longitudinal classique. Ceci est dû en particulier à l’asymétrie du sillage créé dans ce schéma : en figure 42, on peut voir que le sillage n’est symétrique à aucun moment de la propagation dans le gradient. En entrée de gradient (fig. 42a), la partie haute de l’impulsion laser se propage dans un plasma de densité plus élevée que sa partie basse. Ainsi, la longueur d’onde plasma associée y est plus courte (λp = 2πc/ωp dans le régime linéaire), et la bulle se referme plus rapidement que par le bas, ce qui crée cette forme de sillage asymétrique. Par la suite, l’asymétrie s’accroît : l’approximation du laser par un rayon optique est imparfaite. L’avant de l’impulsion laser se propage dans un plasma encore peu modifié, et suit donc une trajectoire parabolique dans le gradient, le gradient de densité provoquant une variation de l’indice optique. Au contraire, l’arrière de l’impulsion laser est situé dans la cavité ionique, zone quasiment vide d’électrons. Elle ne subit donc pas l’influence du gradient de densité, et n’est pas dévié de sa trajectoire rectiligne. En conséquence, l’impulsion laser se retrouve “tordue”, sa partie arrière étant déviée plus tardivement, elle se décale vers le haut par rapport à la partie avant du laser. Sur la figure 42b, l’impulsion laser semble ainsi présenter une inclinaison proche de −45˚, bien supérieure à l’angle maximal de −3˚attendu. L’arrière de l’impulsion laser n’est finalement déviée par le plasma que lorsqu’elle atteint le haut de la cavité laser. Cependant, une partie de l’énergie laser peut être perdue au cours du processus (pour de grands angles α, typiquement α > 3˚) car une partie de l’impulsion n’est alors pas déviée et se sépare lors de la propagation dans le gradient. En conséquence de l’asymétrie du sillage, l’injection provoquée est également asymétrique. On représente en figure 43, la position d’injection des électrons pour le cas où α = 3˚. Ce cas est comparé à un cas d’injection par gradient standard (i.e. gradient longitudinal), qu’on appellera dans la suite cas référence. Afin de pouvoir ensuite comparer les émissions de rayonnement à paramètres de faisceau d’électrons à peu près égaux, on n’utilise pas le même gradient dans les deux cas. Pour l’injection par gradient longitudinal, le gradient choisi dans les simulations est centré en 0.7 mm, avec des rampes d’entrée et de sortie linéaires de 70 µm (forme triangulaire), suivi par le plateau de densité. La densité maximale atteinte au sommet du triangle est de 1.5 fois la densité du plateau. Les paramètres laser et numériques sont inchangés, le laser se propageant maintenant avec un angle nul. On verra qu’ainsi, on obtient des charges et des énergies électroniques similaires. Dans le cas référence, l’injection est provoquée par le gradient longitudinal (qui entraîne un allongement de la première cavité du sillage), et présente surtout une symétrie de révolution autour de l’axe de propagation : tous les électrons sont originaires d’une région de faible épaisseur ∆r située en un rayon r ∼ R, où R est le rayon de la bulle (figure 43e). Ce résultat est conforme à ceux déjà présentés en détail dans plusieurs travaux [Pukhov & Meyer-ter Vehn, 2002, Kalmykov et al., 2010]. Dans le cas du gradient transverse, la symétrie est brisée dans la direction du gradient y, tandis qu’elle est conservée selon z. On distingue deux injections successives. Une première injection, représentée en noir dans la figure 43, prend place lorsque le laser est encore en train de pénétrer plus profondément dans le gradient, vers x = 0.7 mm (fig. 43a). Ces électrons ont en moyenne une position initiale en y inférieure à celle du laser. Ensuite, une deuxième injection, représentée en bleu dans la figure 43, se produit entre 0 et 0.2 mm après que le laser a atteint sa position maximale en y. Ces électrons semblent au contraire provenir d’une position initiale y supérieure à celle du laser, et sont tous originaires d’une zone située à une distance ∼ R du centre de la bulle, mais uniquement dans le plan (x, z), i.e. à y = yb et z = ±R, avec yb la position du centre de la bulle selon la direction y. Cette symétrie différente pour les positions initiales de ces deux groupes d’électrons laisse présager un mécanisme d’injection différent. Il a déjà été montré que l’asymétrie de l’injection pouvait provenir de l’asymétrie de l’impulsion laser expérimentale [Corde et al., 2013b], nous montrons dans la suite qu’elle trouve ici son origine dans l’asymétrie du sillage observée dans la figure 42.