Instabilité chronique de la cheville
Les blessures du ligament latéral de la cheville qui surviennent suite à une ELC peuvent amener de nombreux symptômes et comorbidités résiduels, comme la CAl, et affecter les individus pour une longue durée. La CAl est caractérisée par une instabilité mécanique (MAI) et/ou fonctionnelle (F AI) de la cheville ainsi que des symptômes résiduels post-ELC tels que des épisodes d’ inversion soudaine et involontaire de la cheville, une sensation d’instabilité et des ELC récurrentes plus d’un an après la blessure initiale (Delahunt, Coughlan, et al., 2010). Hertel (2002) a publié un modèle explicatif suggérant que les individus atteints d’une CAl ont un continuum de déficits associés à la MAI et à la F AI. Selon ce modèle, quand les deux conditions sont présentes, les individus atteints d’une CAl auront des ELC récurrentes (voir Figure 1.3). La MAI est caractérisée par une laxité excessive de l’ articulation talo-crurale dans les plans frontal et sagittal associée à une amplitude articulaire au-delà de la normalité physiologique (Delahunt, Coughlan, et al., 2010).
Elle est causée par un étirement ou une déchirure (partielle ou totale) des ligaments latéraux de la cheville lors de l’ELC initiale (Hertel, 2002). D’autres déficits mécaniques peuvent être présents seuls ou en combinaison lorsqu’un individu est atteint de MAI, soit une hyperlaxité ligamentaire, des restrictions arthro-cinématiques, des changements synoviaux et dégénératifs de la cheville (Hertel, 2002; Hubbard & Hertel, 2006). Lors d’une inversion soudaine de la cheville, l’hyperlaxité ligamentaire crée une augmentation de l’amplitude de mouvement de cette articulation (Hubbard & Hertel, 2006). Ainsi, lors de la locomotion, l ‘hyperlaxité ligamentaire rend la cheville plus susceptible d’aller en inversion excessive pouvant causer une ELC (Hertel, 2002). De plus, le changement arthro-cinématique le plus commun chez les individus avec une MAI est le déplacement antérieur et inférieur de l’axe de rotation de l’articulation talo-crurale causé par la disruption du ligament latéral de la cheville (Wikstrom & Hubbard, 2010). Ce changement arthro-cinématique de l’articulation talo-crurale cause une diminution de la dorsiflexion maximale de la cheville pouvant prédisposer les individus avec une MAI à subir de nouvelles ELC (Leanderson et al., 1993; Wiesler et al., 1996). La diminution de la dorsiflexion de la cheville empêche la partie antérieure de la trochlée du talus d’être en contact avec les surfaces articulaires des malléoles et ainsi diminue la stabilité articulaire lors de mouvements dynamiques (Hertel, 2002).
Finalement, les individus avec une MAl peuvent être atteints de changements synoviaux et dégénératifs de la cheville. Les changements synoviaux les plus communs sont une inflammation synoviale causée par un pincement du tissu synovial hypertrophié entre les os de la cheville (Di Giovanni et al., 2000) tandis que les changements dégénératifs de la cheville les plus communs sont la présence d’ostéophytes et de sclérose sous-chondrale (Gross & Marti, 1999). La FAl est caractérisée par des épisodes fréquents d’ inversion soudaine et involontaire de la cheville ainsi que d’une sensation sévère d’ instabilité (De lahunt , Coughlan, et al., 2010) due à des dommages aux mécanorécepteurs des ligaments latéraux et de la capsule articulaire de la cheville (Hertel, 2002). D’autres déficits fonctionnels peuvent être présents seuls ou en combinaison lorsqu ‘un individu est atteint de FAl, soit une diminution de la proprioception et de la stabilité posturale, une faiblesse musculaire localisée et une altération du contrôle neuromusculaire (Thompson et al., 2018). Une description plus exhaustive de ces déficits est présentée dans les sous-sections 1.2.1 à 1.2.4
Proprioception et contrôle postural
La proprioception peut être définie comme l’habileté d’une personne à intégrer les signaux sensoriels de différents mécanorécepteurs de façon à déterminer la position du corps ou les mouvements des segments dans l’espace (Han et al., 2016). Elle implique la perception consciente ou non, de la position d’une articulation (joint position sense), du mouvement (kinesthésie) ainsi que de la force et de l’effort perçu (force sense) (Riemann & Lephart, 2002). Les mécanorécepteurs responsables de l’information proprioceptive se retrouvent entres autres dans les muscles, tendons, ligaments et capsules articulaires. Ils convertissent les changements mécaniques des tissus humains en signal neuronal pour interprétation par le système nerveux central (Riemann & Lephart, 2002). Lors de tâches dynamiques, la proprioception joue un rôle crucial pour le contrôle réactif (feedback), le contrôle prédictif (feedforward) et la modulation de la rigidité musculaire (muscle stiffness). Elle permet ainsi de produire des mouvements précis et coordonnés, d’avoir des articulations stables et un contrôle postural adéquat (Riemann & Lephart, 2002). Des informations proprioceptives de toutes les parties du corps contribuent au contrôle postural, notamment la vision (Lee & Aronson, 1974). Par contre, dans le cas d’une ELC, les déficits proprioceptifs surviennent majoritairement de façon localisée au ligament latéral de la cheville et aux structures musculotendineuses adjacentes (Hertel, 2002).
Quatre types de récepteurs sont retrouvés dans les tissus ligamentaires et capsulaires : les récepteurs de Ruffini, les corpuscules de Pacini, les organes tendineux de Golgi et les terminaisons nerveuses libres (Riemann & Lephart, 2002; Wu et al., 2015). Les récepteurs de Ruffini agissent comme récepteurs dynamiques et statiques tandis que les corpuscules de Pacini agissent seulement comme récepteurs dynamiques. Au niveau de la cheville, les quatre types de mécanorécepteurs ligamentaires sont retrouvés, mais les corpuscules de Pacini sont fortement prédominants (Wu et al., 2015). Ainsi, le rôle principal des mécano récepteurs du ligament latéral est de percevoir la vitesse de mouvement de l’articulation de la cheville (Wu et al., 2015). Pour ce qui est des récepteurs dans les tissus musculo-tendineux, on retrouve les organes tendineux de Golgi et les faisceaux neuromusculaires (muscle spindles). Les organes tendineux de Golgi se situent à la jonction musculo-tendineuse. À travers chacun d’eux passe un paquet de fibres tendineuses s’attachant aux fibres musculaires. Ces récepteurs ont comme rôle de fournir l’ information sur l’état d’étirement musculaire au système nerveux central (Riemann & Lephart, 2002). Les faisceaux neuromusculaires, quant à eux, sont localisés dans le tissu musculaire.
Ils sont responsables d’envoyer au système nerveux central, l’information sur la longueur des fibres musculaires et la vitesse de changement de longueur (Riemann & Lephart, 2002). Dans le cas d’une instabilité causée par une ELC, les déficits sont majoritairement situés au niveau des structures ligamentaires, capsulaires et musculotendineuses (Hertel, 2002; Hiller, Nightingale, et al., 2011 ; Holme et al., 1999). Après avoir subi une blessure comme une ELC, les mécanorécepteurs sont endommagés, ce qui affecte négativement la fonctionnalité du système somatosensoriel (Riemann & Lephart, 2002). Quand les informations proprioceptives afférentes des mécanorécepteurs du ligament latéral de la cheville et des structures musculo-tendineuses adjacentes sont altérées, le système nerveux des individus blessés se fiera plus fortement à d’ autres sources d’ informations afférentes, telle que la vision (d.Riemann & Lephart, 2002). Cette réorganisation du système sensorimoteur influence les mouvements, les contraintes articulaires et l’activation musculaire du membre inférieur lors d’activités fonctionnelles comme des tâches de stabilité posturale, de marche ou d’atterrissage d’un saut. Ces changements seront décrits dans cette section ainsi que dans les sections 1.2.2 à 1.2.4.
Altérations biomécaniques d’individus avec une CAl lors de la marche
La marche est l’activité physique la plus fréquente chez l’être humain avec une moyenne d’environ 9448 pas par jour chez des individus sains (Bohannon, 2007). Un cycle de marche consiste en un déplacement à appui alterné sur les jambes qui débute avec le contact d’un talon au sol et se termine au contact successif du même talon (Kirtley, 2006; Mi chaud, 20 Il). Pour chaque jambe, le cycle de marche est constitué de deux phases : la phase de support (0 à 62%) qui se déroule lorsque le membre inférieur est en contact avec le sol et la phase d’envol (62 à 100%) qui survient lorsque le membre inférieur ne touche pas au sol et se prépare pour le prochain contact (voir Figure 1.6) (Kirtley, 2006; Michaud, 2011). La phase de support est subdivisée en trois: la phase de contact, la phase de mi-support et la phase de propulsion. La phase de contact débute avec le contact du talon au sol et se termine lorsque la totalité de l’ avant-pied est en appui avec le sol (0 à 18% du cycle de marche) (Michaud, 20 Il). La phase de mi-support commence à la fin de la phase de contact jusqu’à ce que le talon quitte le sol (18 à 42% du cycle de marche) (Michaud, 2011). Finalement, la phase de propulsion débute à la fm de la phase de mi-support et se termine lorsque les orteils quittent le sol (42 à 62% du cycle de marche) (Michaud, 2011). Afin de permettre la transition antérieure optimale du centre de masse lors de la marche, il est essentiel d’avoir une organisation spatiotemporelle efficace et coordonnée du système locomoteur (Perry & Burnfield, 2010). La coordination de l’activation musculaire et des mouvements des membres inférieurs permet le déplacement efficace et énergétiquement économique (Perry & Burnfield, 2010). Par contre, dans les cas de pathologies musculosquelettiques, telle que la CAl, il est fréquent que les individus développent des déficits biomécaniques tels qu’une altération de l’activation musculaire, de la cinématique ou cinétique du membre inférieur. Ces déficits rendent la locomotion moins efficace et prédisposent les individus avec une pathologie musculosquelettique à subir de nouvelles blessures ou empêchent la guérison (Mills et al., 2010; Moisan et al., 2017; Murley et al., 2009).
Résumé |