Altération métabolique et déficit synaptique dans la
maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer
La démence affecte la mémoire, le raisonnement, le comportement des personnes ainsi que leur aptitude à réaliser des tâches quotidiennes. Aujourd’hui, plus de millions de personnes sont atteintes de démence dans le monde et, selon la plupart des études épidémiologiques, ce chiffre devrait tripler d’ici 2050 (World Alzheimer Report 2015, ADI). Cependant, un article récent regroupant plusieurs études épidémiologiques a reconsidéré la prévalence de développer une démence au sein des populations européennes. Les auteurs observent une stabilisation, voire une légère diminution de la prévalence des cas de démences en Europe au cours des vingt dernières années par rapport aux prédictions de l’époque (Wu et al., 2015). Ils mettent en avant les changements sociétaux (éducation, conditions de vie, moyens de prévention mis en place) qui impactent positivement la santé de la population. Cette stabilisation de la prévalence dans certains pays européens ne semble pas concerner les pays d’Afrique et d’Asie où, au contraire, une augmentation de la prévalence est prévue pour les années à venir. La maladie d’Alzheimer (MA) est la forme de démence la plus fréquente, représentant environ 70% des cas. Elle a été décrite pour la première par Alois Alzheimer, psychiatre et neuropathologiste allemand, en 1906 après la mort d’une patiente atteinte de démence. Alois Alzheimer procède à une analyse histologique de son cerveau ce qui lui permet d’identifier des lésions spécifiques (Graeber and Mehraein, 19). En 11, à la découverte d’un deuxième cas, le psychiatre Emil Kraepelin propose de désigner ce type de démence « maladie d’Alzheimer » (MA). 1) Les signes histopathologiques de la MA La majorité des cas de MA sont d’origine sporadique mais il existe des formes familiales se déclarant de façon précoce (avant ans). Il a été identifié trois gènes dont les mutations sont impliquées dans le développement de la forme familiale de la MA. L’identification de ces gènes et de la forme familiale de la MA a permis la génération des premiers modèles animaux, accélérant l’étude de cette maladie. A l’origine, la MA a été caractérisée par des études histologiques post-mortem qui ont révélé trois types de lésions : l’atrophie cérébrale, les plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires.
L’atrophie cérébrale
Les études de tissus post-mortem de patients atteints de la MA ont révélé une atrophie cérébrale de certaines zones du cerveau. Les régions les plus touchées par cette atrophie sont le cortex entorhinal, l’hippocampe ou encore l’amygdale (de la Monte, 1989). L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a permis l’étude longitudinale de l’atrophie cérébrale de personnes risquant de développer la MA (Figure 1). L’atrophie démarre dans les lobes temporaux, se poursuit dans les lobes pariétaux puis dans le lobe frontal (Whitwell, 2010). Cette atrophie cérébrale est causée par une perte importante de neurones et de synapses dans ces régions (Whitehouse et al., 19, Bondareff et al., 1989). 24 Figure 1. L’atrophie de l’hippocampe est un marqueur de la MA. Imagerie par résonance magnétique montrant A. un sujet sain et B. un patient atteint de la MA. L’hippocampe est entouré de blanc afin d’aider à la visualisation de son atrophie chez les patient MA. Figure modifiée à partir de (Mosconi, 2005).
Les dégénérescences neurofibrillaires
Les dégénérescences neurofibrillaires (DNF) sont des lésions composées d’agrégats de la protéine tau anormalement phosphorylée qui s’accumulent dans le corps cellulaire des neurones (Figure 2). La protéine tau appartient à la famille des protéines associées aux microtubules (MAP). Elle interagit avec les microtubules via ses domaines de liaison. Elle est fortement exprimée dans les neurones, particulièrement dans les axones (Binder et al., 1985). En plus des neurones, le cerveau est composé des cellules gliales regroupant les astrocytes, les cellules microgliales et les oligodendrocytes. Ces cellules gliales, au départ moins étudiées, sont maintenant reconnues comme étant des acteurs majeurs de la plupart des fonctions cérébrales. Leur rôle dans le cadre de la MA est de plus en plus étudié. Dans certaines tauopathies, la protéine tau est retrouvée dans les astrocytes et les oligodendrocytes (Nishimura et al., 19, Feany and Dickson, 15, Komori et al., 18). Cependant aucune étude n’a montré son expression dans les astrocytes de patients atteints de la MA. En condition physiologique, tau est une protéine soluble permettant la stabilisation des microtubules en promouvant l’assemblage de la tubuline (Cleveland et al., 19) et la régulation du transport axonal. Elle possède 84 sites potentiels de phosphorylation qui permettent de moduler son activité. En condition pathologique, la protéine tau est anormalement phosphorylée, perd sa propriété de solubilité et forme des structures filamenteuses (Figure 2). La protéine tau hyperphosphorylée n’interagit plus correctement avec les microtubules (Biernat et al., 19, Bramblett et al., 19) et s’accumule dans les compartiments somato-dendritiques pour former des agrégats puis des DNF (Kowall and Kosik, 19). Figure 2. La protéine tau et ses différents états d’agrégation. La protéine tau est associée aux microtubules (MT) et peut être phosphorylée par différentes kinases. Son hyperphosphorylation empêche son interaction avec les MT et conduit à son agrégation jusqu’à la formation de dégénérescence neurofibrillaire. Figure adaptée de (Gotz and Ittner, 2008, Santa-Maria et al., 2012).
Les plaques séniles
Les plaques séniles sont des dépôts extracellulaires dus à l’accumulation d’une protéine appelée amyloïde-β (Aβ) selon une conformation en feuillet β. La protéine Aβ dérive de la protéolyse de la protéine précurseur de l’amyloïde (APP). L’APP peut être clivée par deux voies impliquant différentes enzymes protéolytiques: la voie amyloïdogénique qui conduit à la formation d’Aβ et la voie nonamyloïdogénique (Figure 3) qui ne permet pas la production du peptide amyloïde (Haass and de Strooper, 19). Cette vision binaire du clivage de l’APP s’est récemment enrichie, notamment avec la découverte de la η-sécrétase. Alors que le peptide Aβ a été pointé du doigt depuis longtemps comme étant le peptide participant à la pathologie de la MA, cette η-sécrétase introduit la production d’un nouveau peptide à partir de l’APP : le peptide amyloïde-η. Ce peptide, présent dans les cerveaux des patients atteints de la MA, perturbe la transmission synaptique (Willem et al., 2015). Ces données récentes démontrent la complexité des mécanismes de « processing » de l’APP dans le cerveau. Nous ne savons pas encore si ces mécanismes diffèrent selon le type cellulaire (neurone, cellules gliales) et la région cérébrale observée. Figure 3. La voie amyloïdogénique : clivage de la protéine APP et production du peptide amyloïde-β. Les enzymes β- et γ-sécrétases sont à l’origine de la production d’amyloïde-β par la voie amyloïdogénique alors que l’enzyme α-sécrétase est impliquée dans la voie non-amyloïdogénique de clivage de l’APP. Une fois le peptide amyloïde-β formé, il peut s’agréger et former des plaques amyloïdes. Figure adaptée de (Gotz and Ittner, 2008, Wirths et al., 2010). 2) Les associations pangénomiques et les mutations génétiques associées à la MA La génétique a toujours joué un rôle important voire majeur dans la recherche sur la MA. Découverte des mutations des gènes de la protéine précurseur amyloïde (APP) et des présénilines-1 (PSEN1) et – 2 (PSEN2), associées à la forme familiale de la MA, puis association de l’allèle ε4 de l’apolipoprotéine E (APOE-ε4) avec le risque de développer la forme sporadique de la MA et, plus récemment, les études pangénomiques (Genome-Wide Association Studies (GWAS)) permettant l’analyse à grande échelle des variations génétiques des individus souffrant de la MA. Depuis 2003, l’initiative ADNI (Alzheimer’s Disease Neuroimaging Initiative) a été lancée pour réunir un grand nombre de données d’imagerie IRM et PET, génétiques, de résultats de tests cognitifs et d’échantillons de sang et de liquide céphalo-rachidien (LCR) provenant de patients atteints de la MA et de contrôles sains. L’analyse et le traitement de toutes ces données a permis l’identification de nouveaux biomarqueurs de la MA ainsi que le suivi de la progression de ces marqueurs relativement à l’avancement de la MA (http://adni.loni.usc.edu/). Cette formidable banque de données a été analysée par des chercheurs afin d’identifier des associations génétiques entre les patients développant la forme sporadique de la MA.
Le clivage de l’APP : PSEN1, PSEN2 et ADAM10
Des mutations dans la protéine précurseur de l’amyloïde (APP) (Goate et al., 19) ou bien dans les enzymes des présénilines-1 (PSEN1) (Mullan et al., 19) et -2 (PSEN2) (Sherrington et al., 15), ou encore des composants du complexe de la γ-sécrétases menant au clivage amyloïdogénique de l’APP (Figure 3), sont associées au développement de la forme familiale de la MA. Plus récemment, les GWAS ont permis l’identification d’un variant du gène ADAM10 (la principale enzyme α-sécrétase) impliqué dans le développement de la forme sporadique de la MA. Cette enzyme promeut le clivage non-amyloïdogénique de l’APP.
APOE et métabolisme du cholestérol
L’allèle ε4 du gène APOE est le facteur de risque le plus fort associé au développement de la MA (Corder et al., 19). Son rôle dans le transport du cholestérol, la neuroplasticité et l’inflammation en fait une protéine fortement impliquée dans la pathogénèse de la MA (Kim et al., 2009). Des variants des gènes CLU et ABCA7, codant respectivement pour une apolipoprotéine et un transporteur du cholestérol, ont été aussi associés à la MA (Lambert et al., 2013, Karch and Goate, 2015).
Réponse immunitaire
Certains variants des gènes CR1 (protéine du complément), CD (récepteur présent sur les cellules microgliales et médiant leur activation), MS4A (famille de récepteurs des cellules myéloïdes et des monocytes) et TREM2 (récepteur présent sur les cellules microgliales qui stimule la phagocytose et inhibe l’inflammation) sont associés avec le développement de la MA et plus particulièrement la réponse immunitaire dans la MA (Lambert et al., 2013, Karch and Goate, 2015). d) Endocytose Différents gènes impliqués dans l’endocytose ont été identifiés dans les GWAS comme associés à la MA. Ces gènes sont BIN1 (impliqué dans la régulation de l’endocytose), PICALM (protéine nécessaire à l’assemblage des protéines formant la membrane de certaines vésicules: les clathrines), CD2AP (cette protéine a un rôle dans le trafic intracellulaire et l’organisation du cytosquelette) et SORL1 (protéine impliquée dans le trafic des vésicules de la membrane plasmique au réticulum endoplasmique) (Lambert et al., 2013, Karch and Goate, 2015).
TABLE DES FIGURES |
