Interprétation des séries temporelles altimétriques
sur la calotte polaire Antarctique
Fonctionnement d’un altimètre radar
L’altimètre radar embarqué sur satellite est un instrument actif à visée verticale ; l’instrument émet une onde en direction de la surface terrestre et mesure le temps mis par cette onde pour parcourir la distance aller-retour séparant le satellite de la surface terrestre. L’onde émise par le satellite se propage à travers les 800 km d’atmosphère traversant ainsi l’ionosphère et la troposhère avant d’atteindre la surface de la Terre. La composition de l’atmosphère peut retarder plus ou moins la propagation de l’onde, mais la présence de nuage ne va pas invalider les observations faites, comme c’est le cas pour les images optiques. Cette non-sensibilité à la couverture nuageuse constitue un précieux atout en faveur de cet instrument pour l’étude de certaines régions, et notamment les régions polaires. Les altimètres ont de nombreuses applications en sciences de la Terre. L’altimétrie spatiale permet en effet de suivre l’évolution de la hauteur de la surface des océans dans l’espace et dans le temps. De telles observations rendent possible la cartographie de la topographie moyenne des océans, le suivi des courants océaniques, des structures tourbillonaires, des amplitudes de marées en fonction des différentes régions du globe, des hauteurs de vagues ou encore de l’évolution du niveau moyen des mers. Les précisions atteintes sont de l’ordre du millimètre ou de quelques centimètres selon les applications, ce qui est extraordinaire compte tenu de l’altitude (800 km) à laquelle se situe le satellite. Cela est permis par une très grande précision des instruments de géo-localisation (système DORIS dans le cas d’ENVISAT), permettant de connaître la position exacte du satellite. Ainsi, on estime actuellement grâce aux techniques d’altimétrie satellitaire que le niveau des océans s’est élevé de 3.1 +/- 0.7 mm/an entre 1993 et 2003 (Cazenave et Nerem, 2004). Les performances atteintes par l’altimètre concernant l’observation des océans viennent du fait que les surfaces océaniques sont spatialement homogènes, et réfléchissent totalement l’onde altimétrique en provenance du satellite. Le signal qui parvient au satellite a subi des processus de réflexion, absorption et émission à la surface des océans et va être modulé par le gain de l’antenne radar réceptrice. On enregistre alors l’énergie retournée vers le satellite en fonction du temps (voir figure 1.1), et c’est de l’analyse de ce signal, appelé forme d’onde, que l’on déduit la hauteur
L’Altimétrie Radar
La forme d’onde présente classiquement un front de montée (l’énergie enregistrée croît), un plateau plus ou moins marqué, suivi d’un flanc descendant (de moins en moins d’énergie parvient au satellite). On estime que le temps correspondant à la demie largeur du front de montée représente le temps mis par l’onde pour parcourir la distance séparant le satellite de la surface, et revenir. Une fois la vitesse de propagation de l’onde à travers l’atmosphère déterminée, la distance séparant le satellite de la surface est connue. La hauteur de la surface par rapport à un niveau de référence (ellipsoïde de référence) est calculée à partir de la connaissance de la position du satellite. La vitesse de propagation de l’onde est un paramètre crucial en altimétrie, or cette vitesse évolue en fonction de la composition de l’atmosphère. La présence d’un radiomètre à bord du satellite va permettre de mesurer la quantité de vapeur d’eau présente dans la troposphère, tandis que le retard entre des ondes émises dans des bandes de fréquence différentes (Bande S et Bande Ku dans le cas d’ENVISAT) permet de reconstituer la vitesse de propagation dans l’ionosphère. Ainsi, la vitesse de propagation de l’onde altimétrique à travers l’atmosphère va être estimée. L’exploitation des observations altimétriques sur les surfaces continentales présente des différences notables avec l’étude de ces données sur les océans. Sur une surface océanique, seule la surface contribue à retourner un signal vers le satellite. Dans le cas des surfaces continentales telles que les calottes polaires, l’onde dans les fréquences utilisées en altimétrie spatiale pénètre sous la surface. Le signal enregistré dépend alors non seulement des propriétés de surface, mais également de la subsurface qui apporte parfois une contribution importante. La détermination de la hauteur de la surface dépend de la compréhension que l’on a de ces mécanismes d’interaction entre l’onde et le type de surface rencontré. L’estimation de la profondeur de pénétration sous la surface constitue le problème clef. Lorsque la nature du terrain varie sur de faibles distances le problème est d’autant plus complexe : les propriétés de la surface varient au sein de l’empreinte au sol d’une même impulsion. Il faut alors développer des algorithmes spécifiques pour exploiter les mesures. Ce cas de figure se présente par exemple en régions côtières, sur les larges rivières (seuls les très grands fleuves peuvent être observés par altimétrie) ou dans l’étude des glaces de mer. Pour la plupart des surfaces, le rayonnement incident est absorbé, une partie 24 Chapitre 1 – Contexte et Outils Figure 1.2 – Devenir des ondes électromagnétiques lors d’interactions avec un milieu tel que la neige. Sur cette figure les principaux processus affectant la propagation d’une onde en surface et subsurface sont schématisés est transmise vers la subsurface, une autre est réémise et se propage de nouveau en direction du satellite à travers l’atmosphère (voir figure 1.2). On va essentiellement distinguer la proportion de rayonnement qui sera réémise au niveau de la surface (appelée signal de surface), par opposition à celle qui aura pénétré en subsurface (signal de volume) avant d’être de nouveau dirigée vers l’atmosphère. L’estimation de la profondeur de pénétration revient alors à pouvoir distinguer la contribution du signal de surface du signal de volume dans la forme d’onde altimétrique (Partington et al., 1989). Les impulsions micro-ondes envoyées par le satellite en direction de la surface se propagent vers la surface et du fait de l’ouverture d’antenne, l’empreinte au sol n’est pas ponctuelle mais couvre un disque d’environ 15 km de diamètre dans le cas d’ENVISAT. Une surface océanique sera homogène à cette échelle, alors que les surfaces terrestres comme les calottes polaires peuvent varier notablement au sein d’une même empreinte (changement de rugosité, présence de végétation…) ce qui affecte bien évidemment la précision de la mesure. Les impulsions sont émises régulièrement, avec un taux de répétition égal à 1795 Hz dans le cas d’ENVISAT (à ne pas confondre avec la fréquence des ondes émises). L’antenne fonctionne alternativement en mode émission (ce que l’on vient de décrire), et en mode réception, ou phase d’enregistrement. Pour réduire le bruit, les mesures sont enregistrées et moyennées au niveau de l’antenne toutes les 0.05 secondes, ce qui correspond à une mesure au sol tous les 300 mètres. L’enregistrement correspond à la mesure de la puissance restituée au satellite en fonction du temps précédemment mentionnée et appelée forme d’onde. La forme d’onde altimétrique évolue en fonction de l’interaction de l’onde et de la 1.1. L’Altimétrie Radar 25 Figure 1.3 – Evolution de l’empreinte au sol de l’onde altimétrique. Cas d’une surface rugueuse surface mais dépend également des propriétés de l’antenne. Quand celle-ci fonctionne en mode réception, un signal de faible puissance est enregistré en continu, qui est dû à des réflections parasites de l’onde au sein de l’atmosphère, auxquelles s’ajoute le bruit de l’antenne. Le front de montée correspond à la rencontre de l’onde avec la surface. Ainsi dans le cas d’une surface plane, l’impact au sol est d’abord ponctuel (voir figure 1.3), puis forme un disque de rayon croissant jusqu’à ce que ce rayon atteigne une valeur maximale, correspondant au rayon du disque d’intersection entre le cône d’émission de l’onde et la surface.
Les paramètres de la forme de l’écho radar, ou paramètres de forme d’onde
Afin d’étudier la surface des calottes glaciaires par altimétrie, Martin et al. (1983) a étudié les formes d’onde enregistrées par SEASAT, et établi différentes catégories de formes d’onde, correspondant à différents types de surface. Les propriétés des régions pour lesquelles aucun écho n’était enregistré ont également été analysées. Par la suite, il est devenu clair que la forme de l’écho dépendait des propriétés de la surface et de la topographie locale de celle-ci, et que des algorithmes spécifiques (comme ICE-2 utilisé pour ENVISAT) étaient nécessaires afin d’enregistrer correctement et systématiquement les signaux provenant des calottes polaires. Ainsi, l’ensemble de la forme d’onde contient des informations concernant la surface des calottes polaires, et il est donc important d’étudier minutieusement les trois paramètres qui servent à la décomposer (front de montée, pente du flanc descendant et puissance rétrodiffusée, voir tableau 1.3 pour les abbréviations utilisées par la suite). Par la suite, 28 Chapitre 1 – Contexte et Outils les dépendances de ces paramètres en fonction de la fréquence d’observation et des propriétés de la surface glacée des calottes polaires ont été analysées. En particulier, Legrésy et al. (2005) ont cartographié ces paramètres de forme d’onde pour les trois premiers cycles exploitables des observations effectuées par ENVISAT, et en ont déduit certains aspects de la dépendance des paramètres de forme d’onde aux propriétés de surface. Lacroix et al. (2007) ont réalisé un modèle électromagnétique afin d’étudier la sensibilité des paramètres de forme d’onde dans chacune des fréquences à diverses caractéristiques de surface, telles que la taille des grains, la rugosité, la stratification du manteau ou encore les modifications de température. Leur travail s’appuie sur de nombreuses études ayant mis en évidence les liens entre les signaux radar et les propriétés de la neige ci-dessus mentionnées. 1.1.5 Sensibilité de la mesure altimétrique aux propriétés du manteau neigeux Le modèle électromagnétique de Lacroix et al. (2007) reconstitue, à partir de diverses propriétés de surface variant dans une certaine gamme en accord avec des valeurs observées in situ, les paramètres caractéristiques de la forme de l’écho radar, et ce, pour les deux bandes S et Ku. Cela permet de caractériser les différences de sensibilité entre les deux fréquences. Les propriétés de la surface ne sont en effet pas perçues de la même façon dans chacune des fréquences. La surface parait toujours plus lisse à grande longueur d’onde, de même que les grains sont vus plus petits. La profondeur de pénétration n’est pas la même, les ondes de plus grande longueur d’onde étant moins diffusées par les grains de neige, elles pénètrent plus profondément. Des ondes à très basse fréquence sont ainsi exploitées pour sonder la topographie du socle rocheux. Dans le signal enregistré par le satellite, on distingue deux contributions : le signal de surface correspond au signal réfléchi ou émis par la surface, sans qu’il y ait eu pénétrétation en subsurface (voir la figure 1.5 qui met en évidence le rôle de la rugosité). Par opposition on appelle signal de volume la part de signal qui a pénétré en subsurface et qui, à l’issue de processus de diffusions et de réflexions au sein de la subsuface a donné un signal se propageant de nouveau en direction du satellite. La forme de l’écho radar correspond alors à la résultante de ces deux contributions, et l’on cherche souvent à identifier la part de signal provenant de la surface uniquement, notamment pour en déduire sa hauteur. Le rapport entre signal de surface et signal total évolue en fonction de nombreux paramètres tels que rugosité de la surface (qui agit directement sur le signal de surface), taille des grains (qui contrôle les processus de diffusion et agit donc sur le signal de volume), stratification (à l’origine de réflexions en subsurface). Les deux fréquences vont réagir relativement différemment à ces différentes caractéristiques, permettant ainsi d’isoler ou de mieux identifier certaines contributions. Le modèle électromagnétique développé par Lacroix et al. (2007) tient compte d’une échelle de rugosité de surface homogène sur l’ensemble de la surface couverte par la mesure, une loi de variation de la densité en fonction de la profondeur, un paramètre de stratification, une taille de grains caractéristique, la température du milieu et la pente moyenne de la surface. Ce modèle permet donc d’étudier l’influence sur la forme de l’écho radar d’un certain nombre de paramètres, connus pour varier à l’échelle de la calotte polaire Antarctique. Si les variations de ces paramètres avec la profondeur est bien prise en compte, ce n’est pas le cas pour les éventuelles variations horizontales qui pourraient intervenir au sein de l’étendue de la surface sondée par le satellite. Par exemple, ce modèle ne permet pas d’expliquer l’influence des mégadunes sur la forme des échos radar. Nous détaillons maintenant les principaux résultats obtenus sur la sensibilité de la forme d’onde aux propriétés de surface et subsurface grâce à ce modèle, que nous complétons par des observations établies par ailleurs, notamment par Legrésy et al. (2005).
Les Réanalyses de Modèles Atmosphériques Globaux
Spécificités de l’Antarctique
Les réanalyses atmosphériques globales (ou régionales) constituent les meilleurs candidats existant pour obtenir des informations sur les conditions météorologiques pour une période donnée à l’échelle de l’Antarctique. Un modèle atmosphérique fonctionne à partir d’équations et de paramétrisations représentant les processus physiques régissant l’atmosphère, d’observations (données in situ ou de produits issus des techniques spatiales…) qui sont assimilées par le modèle, de sorties d’autres modèles qui servent de conditions initiales et limites. La physique du modèle, ainsi que les informations qui lui sont injectées doivent le contraindre à évoluer de façon réaliste. Or, sur le continent Antarctique, les mesures, hormis celles effectuées par des satellites, sont éparses, irrégulièrement réparties, et forment des séries temporelles brèves en comparaison à d’autres régions du globe (Bromwich et al., 2004). De ce fait, la modélisation de l’évolution des variables météorologiques se complexifie dans ces régions. Les modèles atmosphériques globaux disponibles présentent des biais entre eux, notamment durant la saison hivernale où le continent Antarctique est isolé et lorsque les bateaux ne peuvent fournir d’observations de l’Océan Austral du fait de l’englacement de celui-ci. Ce manque de connaissance se fait d’autant plus sentir que la physique de l’atmosphère en Antarctique est particulière : l’air y est plus froid que partout ailleurs dans l’atmosphère terrestre, la présence de glace modifie la thermodynamique, et la formation des précipitations répond dans ces conditions à des mécanismes peu connus et se produisant uniquement sur ce continent, comme par exemple la formation de cristaux de neige par temps clair (King et Turner, 1997). Actuellement, le manque de mesures météorologiques au sein du continent persiste, et rend difficile l’évaluation de la justesse des modèles atmosphériques (par exemple Genthon et al. 2003 ou Bromwich et al. 2007). Il est établi (Bromwich et al., 2004) qu’avant l’apparition des observations spatiales, les modèles sont très peu fiables, notamment durant l’hiver austral. L’arrivée des satellites a ainsi entraîné, à partir des années 70, une nette amélioration des connaissances et de la compréhension des mécanismes de nombreuses disciplines concernant l’Antarctique, dont la météorologie fait partie. La comparaison des modèles entre eux (Bromwich et al., 2004), ou la confrontation de leurs simulations avec les données des quelques stations automatiques présentes sur le continent, aux cartes établies par compilation de données in situ (Genthon et Krinner, 2001) permet d’évaluer la fiabilité des modèles, et d’avoir une certaine confiance dans leurs résultats. Il faut toutefois garder à l’esprit que les différents modèles partagent des biais (Genthon et Krinner, 2001). En raison des conditions climatiques qui règnent sur le continent Antarctique, de la présence des glaces de mer qui le rendent inaccessible durant l’hiver austral, les observations in situ sont clairsemées et peu répétitives. King et Turner (1997) évaluent quelques uns des critères essentiels à la bonne modélisation des variables météorologiques sur le continent Antarctique. Tout d’abord, la paramétrisation des échanges d’énergie en surface et des échanges radiatifs à grande longueur d’onde dans la basse atmosphère doivent être réalistes car ces processus contrôlent la structure de la couche d’inversion qui à son tour agit sur les écoulements catabatiques. La couche d’inversion correspond à la couche d’atmosphère en proche surface pour laquelle la température augmente avec la distance à la surface. Cette couche est plus ou moins épaisse, et surtout plus ou moins stable en fonction des échanges radiatifs ayant lieu au niveau de la surface. Ensuite, la résolution horizontale doit permettre de reproduire correctement l’activité cyclonique qui évolue des moyennes aux hautes latitudes de l’hémisphère sud ainsi que la topographie, particulièrement abrupte à la périphérie du continent Antarctique. Selon King et Turner une résolution horizontale de l’ordre de 300 km est ainsi nécessaire. La résolution verticale doit également être suffisamment fine, notamment dans la couche limite en surface, car les modèles doivent être apts à résoudre les écoulements catabatiques qui se situent dans les cent premiers mètres au-dessus de la surface. King (1990) estime ainsi que le premier niveau vertical d’un modèle doit se situer à un maximum de 10 m au-dessus de la surface. Enfin, la dynamique atmosphérique à laquelle le continent Antarctique est soumis, accueillant les dépressions déclinantes des moyennes latitudes, est tributaire de la position, de la force et des variations saisonnières de la zone de basse pression circumpolaire, dont la simulation doit par conséquent être bonne.
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