Alimentation, Conduites alimentaires
Consommation alimentaire : le « poids » du milieu
En matière de consommation alimentaire, des différences significatives entre hommes et femmes ont déjà pu être observées1 . Cependant, si effet de genre il y a sur les différents types de régimes alimentaires, il n’en reste pas moins que le rapport à l’alimentation, allant de la nature même des produits ingérés jusqu’à la construction sociale du goût, reste traversé par des effets de classe qui sont hautement révélateurs de la dimension sociale, culturelle – et pas seulement économique – d’ un acte, celui de manger, qui pourtant paraît comme le plus « naturel » qui soit. Avant d’analyser les principes et les déterminismes qui régissent les conduites alimentaires, voyons d’abord la variation des types de consommation que l’on peut retrouver dans l’espace social – c’est-à-dire toute la diversité des aliments consommés en fonction de l’appartenance sociale – ainsi que les effets que ces pratiques peuvent avoir sur la santé.Les disparités en matière de consommation alimentaire, notamment entre groupes sociaux, ne sont évidemment pas un fait nouveau. Besoin primaire par excellence, indispensable à la survie de l’organisme et donc au maintien, à l’équilibre de la structure physique et psychique de l’individu2 , manger reste pourtant un acte fondamental devant lequel les hommes ne sont pas égaux. Historiquement d’abord, on se souvient à quel point les gens de petite condition – le « menu peuple » – éprouvaient parfois de grandes difficultés à se nourrir convenablement, sans ingérer des substances d’une grande toxicité pour leur santé. Les pauvres, s’ils ne mourraient pas de faim en période de crise de subsistance ou de disette, succombaient toutefois largement aux effets de la malnutrition. On a cependant aussi vu combien les excès, la « goinfrerie » des riches pouvaient occasionner quantité de décès prématurés chez eux. La relation, profondément inégalitaire, que nouent les hommes avec ce besoin primaire qu’est l’alimentation a longtemps été marquée, dans le passé, par des inégalités de fortune3 . L’argent, en effet, permet de satisfaire les besoins fondamentaux – manger, se loger, dormir, se vêtir, se soigner, etc. -, alors que l’indigence prive les individus de ces ressources indispensables à leur propre conservation. Bien que cette règle, qui veut que le capital économique, ou plus exactement l’argent, détermine en premier lieu la qualité du rapport à l’alimentation, soit certainement encore en vigueur dans certains pays en « voie de développement », il semblerait toutefois que les différences de régimes alimentaires entre catégories sociales, au sein de notre société, ne soient pas seulement le produit de contraintes financières, même si celles-ci pèsent encore lourdement dans l’accès aux besoins les plus élémentaires.
Catégories sociales : qui mange quoi ?
Dès lors que l’on s’intéresse d’un peu plus près à la variété des modes de consommation alimentaire suivant l’origine sociale des individus, on réalise combien l’alimentation – des produits achetés et consommés jusqu’au rapport à la nourriture, à l’acte de manger – est traversée par des effets de culture, qui contribuent à faire de cet acte naturel qu’est manger un fait social comme un autre, s’organisant, différemment selon les milieux, en fonction d’un « champ des possibles » qui définit les limites, c’est-à-dire les freins économiques, socioculturels à la mise en place de tel ou tel type de consommation. Il faut d’abord souligner que l’alimentation dans son ensemble (c’est-à-dire l’alimentation à domicile, bien sûr, mais également les repas pris à l’extérieur et l’autoconsommation) reste, en 2006, l’un des principaux postes de dépense des ménages.6 Cependant des disparités sociales apparaissent déjà si l’on prend en compte le niveau de vie : en effet le poids de l’alimentation est d’autant plus élevé que le niveau de vie des ménages est faible7 . Parmi les marqueurs des inégalités de consommation entre catégories socioprofessionnelles figure notamment la part respective du budget qu’accordent les ménages aux repas pris à l’extérieur ou au domicile. Concernant les repas à l’extérieur, entre 2001 et 2006, l’écart entre les familles les plus modestes et les autres se maintient, voire s’accentue : ainsi, chez les premières, la part de ce poste dans le budget alimentaire total recule ou reste pratiquement inchangée tandis qu’elle s’accroît, parfois de manière très visible, dans les foyers ou le niveau de vie est plus élevé8 . En 2006, les ménages ayant un niveau d’études inférieur au CEP consacrent 84% de leur budget à l’alimentation à domicile contre 63% pour les plus diplômés. Les titulaires d’un diplôme au moins équivalent à bac + 3 consacrent ainsi une part de leur budget alimentaire au repas à l’extérieur très importante (37%) – il faut aussi ne pas sous évaluer l’importance des facteurs générationnels dans les comportements de consommation alimentaire, même si ceux-ci demeurent sous l’emprise constante et profonde des déterminants socio-économiques et culturels9 . Finalement, le poids des repas à l’extérieur dans la dépense alimentaire totale est bien fonction de la position sociale : 34% chez les cadres et 22% chez les ouvriers.
Des inégalités de consommation alimentaire aux inégalités nutritionnelles
Ces données de consommation d’aliments relativement à l’appartenance sociale mettent en relief des écarts, entre catégories, qui ne sont pas neutres sur le plan nutritionnel. Plus que de mettre en avant la variété et l’hétérogénéité sociale des régimes alimentaire, une sociologie des pratiques alimentaires doit aussi se donner pour mission de lever le voile sur les inégalités de santé que peuvent générer certaines habitudes de consommation.
Qu’entend-on par « alimentation équilibrée »?
La détermination du caractère équilibré d’une alimentation peut évidemment être discutée, toutefois il semblerait qu’un consensus se soit établi, entre spécialistes, sur la base des recommandations actuelles du « guide alimentaire pour tous » du Programme National Nutrition Santé considérant qu’il convient de manger : – Cinq fruits et légumes par jour sous toutes leurs formes. – Trois produits laitiers par jour. – Un aliment du groupe viande/volaille/poisson/œuf une à deux fois par jour.