Coup d’œil préliminaire sur la distribution et l’échange (suite)
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§ 1. – Comme nous l’avons indiqué au commencement du précédent chapitre, nous devons maintenant compléter l’étude de l’influence de la demande sur la distribution par une étude de l’influence réflexe de la rémunération sur l’offre des différents agents de la production. Il nous faut les combiner toutes deux dans un exposé préliminaire des rôles que jouent le coût de production et l’utilité ou la désirabilité en ce qui concerne la distribution du dividende national entre les différentes sortes de travail et les détenteurs du capital et de la terre.
Ricardo et les hommes d’affaires habiles qui marchaient à sa suite considéraient l’action de la demande beaucoup trop comme admise, comme une chose qui n’a besoin d’aucune explication; ils n’y insistent pas et ils ne l’étudient pas avec une attention suffisante. Cette négligence a provoqué une grande confusion et a contribué à obscurcir des vérités importantes. Dans la réaction qui a suivi, on a insisté beaucoup trop sur le fait que les salaires de tout agent de production proviennent de la valeur du produit que cet agent contribue à produire et sont, pour le moment, gouvernés en grande partie par cette même valeur, son gain étant ainsi gouverné par le même principe que la rente du sol ; certains ont même pensé qu’il serait possible d’édifier une théorie complète de la Distribution sur de multiples applications de la loi de la rente. Mais ils ne sauraient y réussir. Ricardo et ses disciples semblent avoir été bien guidés par leurs intuitions lorsqu’ils ont admis tacitement que les forces de l’offre sont celles dont l’étude est le plus urgente et offre les plus grandes difficultés.
Lorsque nous recherchons par quoi est gouvernée l’efficacité (limite) d’un facteur de production, que ce facteur consiste en une sorte quelconque de travail ou de capital matériel, nous nous apercevons que la solution immédiate exige une connaissance de l’offre utilisable de ce facteur. En effet, si l’offre augmente, il sera employé à des usages pour lesquels il est moins nécessaire et dans lesquels il produit des effets moindres. Quant à la solution dernière, elle exige aussi une connaissance des causes qui déterminent cette offre. La valeur nominale de tout objet, que cet objet soit une sorte particulière de travail, de capital ou de toute autre chose, demeure, comme la clef de voûte d’une arche, en parfait équilibre entre les pressions rivales qui s’exercent sur ses deux faces opposées : les forces de demande pressent d’un côté, et celles d’offre de l’autre.
La production de tout objet, que cet objet soit un agent de production ou une marchandise prête pour la consommation immédiate, est portée jusqu’à la limite ou marge à laquelle se produit l’équilibre entre l’offre et la demande. ‘La quantité de l’objet et son prix, les quantités des divers facteurs ou agents de production employés dans la fabrication de cet objet et leurs prix – sont autant d’éléments qui se gouvernent mutuellement, et si une cause externe vient à altérer quelques-uns de ces éléments, l’effet de cette perturbation s’étend à tous les autres.
C’est ainsi que lorsque plusieurs billes sont réunies au fond d’un bassin, leurs positions respectives se gouvernent mutuellement ; c’est ainsi encore que lorsqu’un corps pesant est suspendu par plusieurs cordes élastiques de force et de longueur différentes attachées à des points différents du plafond, les positions d’équilibre de toutes les cordes et du corps pesant se gouvernent mutuellement. Si l’une des cordes déjà tendue est raccourcie, tout sera changé dans la position des autres, leur longueur et leur tension se trouveront aussi modifiées.
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§ 2. – Nous avons vu que l’offre effective d’un agent quelconque de production à un moment quelconque dépend, en premier lieu, de l’approvisionnement qui en existe, et, en second lieu, du désir qu’ont ceux à la charge desquels il se trouve de l’employer
à la production. Ce désir ne vient pas uniquement du rendement immédiat que l’on en attend, quoiqu’il puisse exister une limite inférieure, qui dans certains cas peut être présentée comme un prix coûtant, au-dessous de laquelle il ne sera effectué absolu-ment aucun travail. Par exemple, un manufacturier n’hésite pas à refuser de mettre ses machines en mouvement pour exécuter une commande qui ne couvrira pas l’augmen-tation immédiate de ses déboursés en monnaie nécessitée pour la production de ce travail, en même temps que l’usure de l’outillage ; des considérations analogues peuvent aussi se présenter en ce qui concerne l’usure de la force propre de l’ouvrier, la fatigue et les autres incommodités résultant de son travail. Et, quoique en ce moment nous nous occupions du coût et de la rémunération dans des conditions normales plutôt que du coût direct pour un individu donné d’une fraction particulière du travail qu’il exécute, il peut être utile néanmoins de faire ici un exposé succinct de ce sujet, afin d’éviter certaines erreurs 1. Nous avons déjà fait remarquer 2 que lorsqu’un homme est frais et dispos et qu’il fait un ouvrage de son choix, cet ouvrage, en réalité, ne lui coûte rien. Car, comme l’ont soutenu certains socialistes avec une exagération très excusable, peu de gens savent à quel point ils se plaisent à un travail modéré, jusqu’à ce qu’un événement les mette dans l’impossibilité absolue de travailler. Mais, à tort ou à raison, bien des gens croient que la plus grande partie de l’ouvrage qu’ils font pour gagner leur vie ne leur procure aucun surplus de jouissance, mais, au contraire, leur coûte. Ils voient avec plaisir arriver l’heure du repos ; peut-être oublient-ils que les premières heures de travail leur ont moins coûté que les dernières ; ils sont tout près de penser qu’un travail de neuf heures leur coûte neuf fois plus que la dernière heure ; et il leur arrive rarement de se dire qu’ils touchent un surplus de producteur, on rente, par le fait même que chaque heure de travail leur est payée à un taux suffisant pour les indemniser de la dernière heure, la plus pénible de toutes 3. Dans les récentes discussions relatives à la journée de huit heures, on ne S’est souvent que très peu occupé de la fatigue résultant du travail ; et il est vrai qu’il existe bien des travaux comportant si peu d’activité soit physique, soit mentale, que cette activité compte plutôt comme un remède à l’ennui que comme une fatigue. Un homme est par devoir tenu d’être là lorsqu’on a besoin de lui, mais peut-être n’accomplit-il pas journellement une heure de travail effectif ; et néanmoins, il fera valoir aux yeux de bien des gens ses longues heures d’assujettissement à raison de ce qu’elles enlèvent à eu vie toute variété, l’empêchent de goûter les plaisirs de la société et de la famille et peut-être le forcent à renoncer à d’agréables réunions et à un agréable repos.
Si un homme est libre de cesser son travail quand bon lui semble, il cesse lorsque l’avantage qui résulte pour lui de la continuation du travail paraît ne plus en contrebalancer les inconvénients. S’il doit travailler avec d’autres, la longueur de sa journée de travail est souvent fixe pour lui, et dans certaines professions, le nombre de journées de travail qu’il doit faire dans une année est, en fait, fixe aussi pour lui. Mais il n’y a peut-être pas de professions où la somme d’activité que l’ouvrier met dans son travail soit absolument fixe. S’il ne veut pas ou s’il ne peut pas accomplir le minimum de travail qui lui incombe dans l’emploi qu’il occupe, il lui est, en général, possible de trouver à s’employer dans une autre localité où le niveau du travail est moindre. D’ailleurs, le niveau du travail dans chaque localité dépend de la balance entre les avantages et les inconvé-nients des diverses intensités du travail telle qu’elle est faite par les populations industrielles qui y sont établies. C’est pourquoi les cas où la volonté individuelle d’un homme ne contribue en rien à la détermination de la quantité de travail que cet homme fait dans une année, sont des cas aussi exceptionnels que ceux où un homme doit vivre dans une maison d’une dimension très différente de la dimension qu’il préfère, simplement parce qu’il n’en existe pas d’autre disponible. Il est vrai qu’un homme qui aimerait mieux travailler huit heures par jour que de travailler neuf heures au même taux de dix pence par heure, mais qui est forcé de travailler neuf heures ou de ne pas travailler du tout, supporte un préjudice par suite de la neuvième heure, c’est-à-dire retire une rente négative de cette neuvième heure ; que dans des cas semblables, il faut prendre la journée pour unité. Mais la loi générale du coût n’est en rien affectée par ce fait, pas plus d’ailleurs que la loi générale de l’utilité n’est affectée par le fait qu’un concert ou une tasse de thé doivent être pris pour unité et qu’une personne qui aimerait mieux payer cinq shillings pour un demi-concert que dix shillings pour un concert entier, on deux pence pour une demi-tasse de thé que quatre pence pour une tasse entière, peut subir un préjudice du fait de la deuxième moitié. Il semble donc que l’on soit mai fondé à prétendre, comme l’a fait von Böhm-Bawerk (La mesure dernière de la valeur, § IV, article publié dans la Zeitschrift für Volkswirthchaft, vol. 11, de même que dans les Annals of American Academy, vol. V), que la valeur doit, d’une manière générale, être déterminée par la demande, sans qu’il y ait lieu de se rapporter au coût, parce que l’offre effective de travail est une quantité fixe.
Plus un homme travaille longtemps, ou même plus longtemps il reste à sa tâche, et plus grand est son désir de répit, à moins qu’il ne soit comme engourdi par son travail ; en même temps chaque heure additionnelle de travail augmente sa rémunéra-tion et le rapproche davantage du point où ses besoins les plus urgents seront satisfaits ; et plus la rémunération est élevée et plus tôt ce point est atteint. Il dépend alors de l’individu de choisir entre deux partis: à mesure que sa rémunération croît, laisser s’augmenter ses besoins et son désir d’assurer un avenir confortable à d’autres ou à lui-même ; ou bien se montrer vite rassasié des satisfactions que le travail procure, aspirer à se reposer davantage et à ne se livrer qu’à des travaux qui soient par eux-mêmes agréables. Il est impossible de formuler une règle générale, mais l’expérience semble démontrer que les individus et les races les plus flegmatiques et les plus ignorantes, surtout si ces races et ces individus vivent sous un climat méridional, restent moins de temps à l’ouvrage et s’y appliquent moins longtemps lorsque le taux du salaire s’élève assez pour leur procurer les mêmes jouissances qu’auparavant en échange d’un travail moindre. Mais ceux dont l’horizon mental est moins étroit et qui sont doués de plus de vigueur et d’élasticité de caractère, travaillent d’autant plus ardemment et d’autant plus longtemps que le salaire auquel ils peuvent prétendre est plus élevé ; à moins que, cependant, ils ne préfèrent tourner leur activité vers des buts plus élevés que le travail exécuté en vue d’un bénéfice matériel. Mais c’est là un point qu’il sera nécessaire de discuter plus longuement au chapitre qui traitera de l’influence du progrès sur la valeur. En attendant, nous pouvons conclure qu’une augmentation de salaire provoque une augmentation immédiate dans l’offre du travail utile, en règle générale ; et que les exceptions à cette règle, quoique n’étant pas dénuées d’importance, existent rarement sur une vaste échelle 1.
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§ 3. – Lorsque cependant nous passons de l’influence immédiate exercée par une élévation des salaires sur le travail fait par un individu aux effets qui en résultent définitivement après une génération ou deux, le résultat es moins incertain. Il est vrai, sans doute, que, si une amélioration temporaire fournit à bien des jeunes gens l’occasion qu’ils attendaient depuis longtemps, de se marier et de créer un foyer, néanmoins un accroissement permanent de prospérité a autant de chance de faire baisser que de faire hausser le taux de la natalité. Mais, d’un autre côté, une élévation des salaires a pour résultat presque certain de diminuer la mortalité, à moins qu’elle n’amène les mères à négliger leurs devoirs envers leurs enfants. Et le fait est bien plus frappant si nous considérons l’influence exercée par des salaires élevés sur la vigueur physique et mentale de la génération future.
Il existe, en effet, un certain niveau de bien-être qui est strictement nécessaire pour chaque genre de travail, dans ce sens que, si on en retranche quelque chose, le travail devient moins productif ; les adultes peuvent, sans doute, prendre soin d’eux-mêmes aux dépens de leurs enfants, mais cela ne fait que reculer d’une génération lit baisse de la productivité. De plus, il existe des nécessités conventionnelles qui sont si rigoureusement exigées par les mœurs et par les habitudes que, en fait, plutôt que de se passer de la plupart d’entre elles, les gens renoncent plutôt à ce qu’on peut appeler des objets de nécessité stricte. Troisièmement, il existe un certain confortable courant auquel quelques-uns, sinon tous, ne veulent; pas renoncer entièrement même si la nécessité les presse fortement. Beaucoup de ces objets de nécessité conventionnelle et de confort courant sont le résultat du progrès moral et matériel et leur étendue varie d’une époque à l’autre et d’un lieu à un autre. Plus ils ont d’importance et moins l’homme est économique en tant qu’agent de production. Mais s’ils sont choisis avec discernement, ils réalisent au plus haut point le but de toute production, car ils élèvent le niveau de la vie humaine.
Tout accroissement dans la consommation qui est strictement nécessaire au maintien de l’activité compense sa propre dépense et ajoute au dividende national autant qu’elle lui prend. Mais un accroissement de consommation qui n’est pas néces-saire à ce point de vue, ne peut être rendu possible que par une augmentation du pouvoir que l’homme possède sur la nature : or, celle-ci peut provenir soit des progrès de la science et des arts de production, soit d’une organisation plus perfectionnée et d’un accès plus facile à des sources plus riches et plus considérables de matière première, soit, enfin, du développement du capital et des procédés matériels permet-tant d’atteindre des résultats désirés d’un genre quelconque.
Ainsi, la question de savoir jusqu’à quel point l’offre de travail répond à la deman-de de travail, se ramène dans une large mesure à la question de savoir quelle place dans la consommation actuelle de la population dans son ensemble tiennent les objets de nécessité, dans le sens strict, indispensables à la vie et à l’activité des jeunes et des vieux ; quelle place tiennent les objets de nécessité conventionnelle dont on peut théoriquement se passer, mais qui, en pratique, sont préférés par la majorité des gens à certains des objets vraiment nécessaires à l’activité ; et quelle place tiennent les objets qui sont en réalité superflus lorsqu’on les regarde en tant que moyens de production quoique bien entendu une partie d’entre eux puissent avoir une importance capitale si on les considère en soi comme une fin.
Les anciens économistes anglais et français, comme nous l’avons fait remarquer au commencement du précédent chapitre, rangèrent presque toute la consommation des classes ouvrières sous le premier chef. Ils le firent d’abord par nécessité, ensuite parce que ces classes étaient, en ce moment, pauvres en Angleterre et très pauvres en France ; et ils en inféraient que l’offre de travail correspond aux changements qui se produisent dans la demande effective de travail, de la même façon, quoique, bien entendu, pas tout à fait aussi promptement, que l’offre des machines. Et c’est par une réponse très peu différente de la leur qu’il faudrait répondre même de nos jours à la question pour les pays les moins avancés. En effet, dans la plus grande partie du monde, les Classes ouvrières ne peuvent se permettre que très peu d’objets de luxe et même que très peu d’objets de nécessité conventionnelle ; et tout accroissement de leurs salaires a pour conséquence un si grand accroissement de leur nombre que très rapidement les salaires sont ramenés à peu près à l’ancien niveau, au niveau de leurs strictes dépenses d’entretien. Dans une grande partie du monde, les salaires sont gouvernés ou à peu près par ce que l’on a appelé la loi de fer ou d’airain, loi qui les maintient étroitement au niveau des frais nécessaires pour élever et entretenir une classe de travailleurs peu productifs.
En ce qui regarde les pays occidentaux modernes, la réponse est matériellement différente : Cela est dû aux progrès qu’ont faits à notre époque la science et la liberté, la force physique et la richesse ainsi qu’aux facilités d’atteindre des régions lointaines riches en objets d’alimentation et en matières premières. Mais, même de nos jours, il est encore vrai, même en Angleterre, que la plus large part de la consommation de la grande masse de la population est destinée à l’entretien de la force et de la vie, et cela non pas peut-être de la manière la plus économique, mais cependant sans grand gaspillage. Sans doute certaines satisfactions que l’on s’accorde sont positivement nuisibles, mais elles sont en diminution par rapport au reste, la principale exception étant peut-être celle du jeu. La plus grande partie des dépenses qui ne sont pas stricte-ment économiques en tant que moyens d’accroître l’activité contribuent cependant à former des habitudes d’initiative et de ressource et elle donne à la vie cette variété sans laquelle les hommes tombent dans la stupidité et dans l’inaction et ne mènent presque rien à bien tout eu travaillant beaucoup. Et il est bien reconnu que, même dans les pays occidentaux, le travail qualifié est généralement le meilleur marché là où les salaires sont le plus élevés. On peut admettre que le développement industriel du Japon tend à nous prouver que quelques-uns des objets les plus coûteux de nécessité conventionnelle peuvent être supprimés sans qu’il en résulte une diminution correspondante de la puissance productrice ; mais quoique cette expérience puisse être féconde en résultats importants dans l’avenir, néanmoins elle n’a que peu d’importance pour le passé et pour le présent. Il demeure vrai que, si l’on prend l’homme tel qu’il est, et tel qu’il a été jusqu’ici, les salaires obtenus dans les pays occidentaux, pour un travail efficace, ne sont pas beaucoup au-dessus du minimum nécessaire pour couvrir les dépenses qu’exigent l’éducation et l’apprentissage d’ouvriers capables et pour soutenir et mettre en activité toute leur énergie 1.
Nous concluons donc qu’une augmentation des salaires, à moins que ces salaires ne soient gagnés dans des conditions malsaines, amène presque toujours un accrois-sement de la force physique, mentale et même morale de la génération suivante, et que, toutes autres choses étant égales, une augmentation des gains que procure le travail amène un accroissement de son taux de développement; ou, en d’autres termes, qu’une hausse de son prix de demande amène un accroissement de son offre. Étant donné un certain état de la science et des habitudes sociales et domestiques, on peut dire que la vigueur de la population dans son ensemble, sinon son nombre, comme aussi le nombre et la force des travailleurs dans chaque industrie particulière, ont un prix d’offre dans ce sens qu’il existe un certain niveau du prix de demande qui les maintient stationnaires, tandis qu’un prix plus élevé en amènerait l’accroissement et qu’un prix moins élevé les ferait décroître.
De même encore nous voyous que l’offre et la demande exercent des influences coordonnées sur les Salaires ; ni l’une ni l’autre ne prétend à la prédominance, pas plus que s’il s’agissait des lames d’une paire de ciseaux ou des piles d’une arche. Les salaires tendent à égaler le produit net du travail ; la productivité limite du travail règle son prix de demande; et d’un autre côté, les salaires tendent à conserver une relation étroite, quoique indirecte et complexe, avec les frais nécessaires pour élever, instruire des travailleurs productifs et maintenir leur énergie. Les divers éléments du problème se déterminent (au sens de se gouvernent) réciproquement ; et, accidentelle-ment, cela fait que le prix d’offre et le prix de demande tendent à l’égalité ; les salaires ne sont gouvernés ni par le prix de demande ni par le prix d’offre, mais par tout l’ensemble des causes qui gouvernent l’offre et la demande 1.
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§ 4. – Dans le paragraphe précédent, il a été souvent question du taux général des salaires, ou des salaires du travail en général. De telles façons de parler ont leur raison d’être dans un large exposé de la distribution et en particulier lorsque nous considé-rons les rapports généraux du capital et du travail. Mais, en fait, dans la civilisation moderne il n’existe pas de taux général des salaires. Chacun des nombreux groupes d’ouvriers a son propre problème des salaires, sa série particulière de causes spéciales, naturelles et artificielles gouvernant le prix d’offre et limitant le nombre des membres du groupe ; chacun aussi a son propre prix de demande gouverné par le besoin que les autres agents de production ont de ses services.
Le cas est un peu différent en ce qui concerne le capital en général. Il est vrai que certaines formes du capital sont plus étroitement spécialisées que les formes du travail et qu’elles sont même plus sujettes à de violentes variations de valeur à la suite de changements économiques. Mais les hommes que ces changements affectent le plus, sont précisément ceux dont le rôle spécial consiste à supporter le choc des vicissi-tudes et des risques économiques, et à retirer à la longue un bénéfice de cette manière de vivre ; et quelque importants que soient ces changements pour la suite de nos recherches, nous pouvons les négliger en ce moment. Aucune question sociale et éco-nomique ayant une importance vitale pour le but que nous nous proposons maintenant ne se trouve obscurcie par le fait que l’on néglige l’influence exercée par les changements économiques sur les valeurs relatives des différentes sortes d’outillage et ainsi de suite.
Le montant des ressources employées en vue de satisfaire des besoins futurs se compose de deux courants. Le plus faible consiste en additions nouvelles au stock accumulé ; le plus considérable ne fait simplement que remplacer ce qui est détruit, que cette destruction provienne de la consommation immédiate comme lorsqu’il s’agit de matières premières, de combustibles, etc. ; qu’elle provienne de l’usure, comme lorsqu’il s’agit des rails de chemins de fer ; du temps, comme lorsqu’il s’agit de toits de chaume, ou de prospectus commerciaux ; ou qu’elle provienne de toutes ces causes réunies. Le montant annuel de ce deuxième courant n’est probablement pas inférieur au quart de la masse totale du capital, même dans un pays où les formes dominantes du capital sont aussi durables qu’en Angleterre. Il n’est donc pas déraisonnable d’admettre pour le moment que les détenteurs du capital dans son ensemble ont réussi, en général, à adapter ses formes aux conditions normales de leur temps de façon à retirer un revenu net de leurs placements aussi élevé dans une voie que dans une autre. Dans cette hypothèse, nous pouvons dire que le capital en général a été accumulé dans l’attente d’un certain intérêt net qui est le même, quelles que soient les formes de ce capital 1.
Mais nous devons rappeler que nous ne pouvons, en réalité, parler du taux de l’intérêt pour les placements de capitaux, exception faite pour les nouveaux place-ments, que dans un sens très limité. Par exemple, nous pouvons peut-être admettre qu’un capital industriel d’environ sept milliards de livres est placé dans les différentes industries de notre pays à environ 3 % d’intérêt net. Mais une telle façon de parler, quoique commode et justifiable à bien des points de vue, n’est pas exacte. Ce qu’il faudrait dire, c’est que, si l’on admet que le taux de l’intérêt net sur les placements de capital nouveau dans chacune de ces industries (à savoir sur les placements limites) soit d’environ 3 %, alors l’ensemble du revenu net produit par la totalité du capital placé dans les diverses industries, est telle que s’il est capitalisé de façon à reconstituer le capital en 33 ans (c’est-à-dire à un taux d’intérêt de 3 %), A s’élèverait à environ 1 milliard de livres. En effet, le capital déjà placé en améliorations du sol, en constructions d’édifices, comme aussi en construction de chemins de fer et en machines, a une valeur déterminée par le revenu net (ou quasi-rente) qu’il produit ; et si son pouvoir de produire du revenu diminue dans l’avenir, sa valeur baissera en conséquence et sera constituée par la valeur capitalisée de ce revenu amoindri, défalcation faite pour les dépréciations 2.