À l ‘heure où les « changements » climatiques préoccupent la population mondiale, les composantes atmosphériques et océanographiques du milieu arctique, intimement liées, apparaissent comme des éléments clés dans la compréhension des variations climatiques passées, contemporaines et à venir (2004). La tendance actuelle au réchauffement, accompagnée par des inégalités croissantes dans les régimes de précipitations, se manifeste à l’échelle globale (GIEC 2007). C’est cependant dans l’Arctique que le réchauffement anticipé par les modèles climatiques globaux sera le plus prononcé (hausse de 5°C ou plus au pôle d’ici 2100) et que les changements environnementaux sont les plus préoccupants (Manabe et al. 1992, Mitchell et al. 1995, Serreze et al. 2003, McBean et al. 2004).
Le cas du couvert de glace de mer pérenne en est un exemple frappant: les récentes mesures satellitaires indiquent que l’étendue minimale de la glace de mer observée le 14 septembre 2007 était de 38% inférieure aux moyennes historiques (1978-2000 AD; Comiso 2002, Comiso et al. 2008). La diminution de l’étendue des glaces altère le bilan radiatif de la planète par un mécanisme de rétroaction positive dû à l’albédo plus faible de l’eau de mer par rapport à une surface de glace et de neige (Holland and Bitz 2003). Par ailleurs, une décharge d’eau douce plus importante de l’Océan Arctique vers l’Atlantique Nord tend à ralentir la circulation thermohaline, ce qui affecte le climat au niveau planétaire (Hâkk:inen 1999, Alley and Agustsdottir 2005). Cet exemple illustre bien la position centrale de l’Arctique vis-à-vis du réchauffement global.
Cependant, notre connaissance de la variabilité naturelle du climat de l’Arctique demeure extrêmement limitée. Jusqu’au début des années 1990, l’Arctique était communément considéré comme un milieu relativement stable (Macdonald et al. 2005). De nos jours, cette vision a été remplacée par celle d’ un milieu où des changements majeurs peuvent survenir en un laps de temps très court. La variabilité à court terme des conditions climatiques et hydrographiques semble répondre aux variations naturelles du champ de pression atmosphérique associées à l’Oscillation arctique (Rigor et al. 2000, 2002, Steele et al. 2004, Darby et al. 2006, Houssais et al. 2007). L’Oscillation arctique explique en effet 20% de la variance du champ de pression (Thompson and Wallace 1998); elle explique aussi la moitié des variations de températures de l’air en surface (Rigor et al. 2000). Elle est définie comme le premier mode de variabilité d’une fonction orthogonale empirique (FOE) des pressions atmosphériques au niveau de la mer en hiver (octobre à mars) de l’hémisphère Nord (Thompson and Wallace 1998). L’Oscillation arctique (ou plus rigoureusement «Northern-hemisphere Annular Mode ») présente une structure annulaire associée au vortex polaire (Macdonald et al. 2005). L’Anomalie Dipolaire (second mode de variabilité de la FOE; – 13% de la variance) présente une structure davantage méridionale (Wu et al. 2006). Dans la mer de Béring et le sud de la mer de Beaufort, les modes de variabilité climatique du Pacifique Nord exercent aussi une certaine influence en raison de leur proximité géographique et de l’advection de masses d’eau pacifique par le détroit de Béring. C’est le cas de la Pacific Decadal Oscillation (Niebauer and Day 1989, Bjornsson et al. 1995) et du phénomène El Niiio-Southern Oscillation (ENSO; Liu et al. 2004). Mais ces modes de variabilité climatique sont-ils apparus récemment ou ont-ils au contraire gouverné le climat arctique depuis sa stabilisation?
Afin de comprendre la tendance actuelle au réchauffement du climat global, ainsi que pour fournir une base solide aux simulations climatiques, il est essentiel de documenter la variabilité naturelle de l’Arctique à plus long terme. Le manque de données instrumentales historiques antérieures à 1950 AD ne permet pas d’étudier les variations climatiques aux échelles séculaires et millénaires; selon McBean et al. (2004), elles permettent à peine de distinguer si l’Arctique connaît actuellement des « variations» ou des « changements» climatiques. Pour accéder à de plus longues séries temporelles, il faut donc se tourner vers des indicateurs indirects capables d’ enregistrer les variations climatiques passées. Les compositions isotopiques de formations minérales (e.g., (5l3C des spéléothèmes, (51 80 des carottes de glace groenlandaises et antarctiques) ou de restes fossiles d’ organismes vivants (e.g., (51 80 des récifs coralliens, des cernes d’ arbres) peuvent être utilisées à cette fin. En milieu aquatique, les sédiments accumulés sur les fonds lacustres et marins offrent une grande variété de traceurs minéralogiques, géochimiques et micropaléontologiques. Le prélèvement de carottes sédimentaires à des endroits clés permet alors l’ accès à des séries temporelles pouvant atteindre des millions d’années (cas d’un faible taux de sédimentation) ou très détaillées (cas d’ un taux d’accumulation sédimentaire élevé).
Chronologie
La chronologie des carottes de la station 803 a été estimée à partir de quatre âges AMS- 14C et de mesures d’activité du 210Pb sur les 20 centimètres supérieurs de la carotte à boîte. Les modèles d’âge indiquent que la séquence composite couvre les 4600 dernières années, avec un taux de sédimentation élevé . Un tel taux d’accumulation confirme que la station 803 se trouve sous l’influence de la plume du Mackenzie (Backman et al. 2004, Richerol et al. 2008a) et permet des reconstitutions paléocéanographiques à haute résolution. Les carottes à gravité et à piston ont été sous-échantillonnées aux 10 cm (résolution temporelle de ~ 70 ans) et la carotte boîte à chaque centimètre (~7 ans).
De tels modèles d’âge représentent bien entendu une approximation de la réalité. En effet, un taux de sédimentation constant sur les 4600 dernières années peut apparaître contradictoire avec les interprétations d’ apports d’ eau douce variables via le Mackenzie . Nous avons tout simplement appliqué le principe de parcimonie (en accord avec Barletta et al. 2008) qui permet une interprétation simple des signaux présents dans notre séquence sédimentaire.
À noter que la carotte à gravité (dans laquelle aucun matériel datable n’ a pu être échantillonné) a été corrélée stratigraphiquement avec la carotte à piston grâce à des mesures de densité (wet bulk density) et de susceptibilité magnétique sur les deux carottes (Barletta et al. 2008). Cet exemple illustre bien l’utilité des études paléomagnétiques dans la détermination de chronologies problématiques.
La technique des meilleurs analogues modernes
Les reconstitutions des paramètres océanographiques de surface (température et salinité de surface en août, durée du couvert de glace) sont établies sur la base des assemblages fossiles de dinokystes à l’aide de fonctions de transfert (de Vernal et al. 2005b). La méthode utilisée est une technique de similarité directe appelée technique des analogues modernes (modern analogue technique: MAT; Guiot and de Vernal 2007). À ce sujet, certains éclaircissements s’imposent.
À l’inverse des techniques de calibration (e.g., WA-PLS: Weighted averaging – Partial least-square, ANN: Artificial neural network), les techniques de similarité n’utilisent pas d’équations établies empiriquement entre des assemblages et un paramètre environnemental; elles ne nécessitent pas de calibration (Guiot and de Vernal 2007).
Cependant, l’utilisation de la technique « MAT » repose sur le postulat qu’un assemblage donné se développe sous une combinaison de conditions environnementales identiques à celles qui caractérisent son analogue moderne (Guiot and de Vernal 2007). On considère donc que l’écologie des espèces n’ a pas changé au cours de la période étudiée, ce qui est raisonnable dans le cas de l’Holocène récent.
Le choix du nombre d’ analogues est également à justifier. Kucera et al. (2005) considèrent que plus la base de données de référence est grande (et représentative des différents environnements), plus on peut utiliser d’analogues pour les reconstitutions. Selon Peros and Gajewski (2009) qui travaillent sur des assemblages polliniques avec de vastes bases de données de référence, un nombre supérieur à trois analogues comporte l’inconvénient d’ augmenter l’intervalle de confiance des reconstitutions. Nous avons donc limité le nombre d’ analogues à cinq, ce qui est généralement le cas dans les études utilisant les dinokystes comme paléoindicateurs (e.g., de Vernal et al. 2005a, b, McKay et al. 2008, Ledu et al. 2008).
CHAPITRE I INTRODUCTION ET DISCUSSION GÉNÉRALES |