AMÉLIORATION DE L’APPROCHE PROJET DANS LA MISE EN PLACE DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT : UN ENJEU DE L’EFFICACITÉ DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT INTRODUCTION
Comme nous le rappelle Rist (2013 : 132-138), la théorie du développement et du sous-développement des pays prend sa source au point quatre du discours d’investiture du président américain Truman du 20 janvier 1949. Ce dernier lançait l’idée d’un nouveau programme audacieux qui va mettre les avancées scientifiques et industrielles des États-Unis au service de l’amélioration et de la croissance des pays sous-développés. Il invitait aussi les autres pays industrialisés et les milieux d’affaires à apporter leurs contributions pour la concrétisation de cette idée. Il s’agit d’une approche du développement des pays pauvres basée sur la logique d’apporter à ces derniers le savoir scientifique et des capitaux en vue d’améliorer la productivité agricole, les échanges commerciaux et les conditions de vie des populations de ces pays.
Cette approche du développement a sous-tendu la politique étrangère des États-Unis après la Deuxième Guerre Mondiale et a motivé aussi les autres pays industrialisés ainsi que les institutions internationales de financement de l’investissement à intervenir dans les pays du Sud à travers des projets de développement. Les apports des donateurs, en dehors du savoir en termes d’assistance technique, sont constitués de dons et prêts à des conditions favorables appelés communément l’aide publique au développement (APD) (Youker, 2003; Ika, 2012).
Ces dons et prêts sont mis en place dans les pays bénéficiaires à travers des projets (Diallo et Thuillier, 2005 : 237). L’identification des projets de DI financés par l’aide devrait découler d’un processus de planification stratégique du développement des pays, mais pendant longtemps elle relève du jugement des donneurs qui répond parfois à leurs objectifs stratégiques ou à un positionnement géostratégique plutôt que des priorités des pays (Youker, 2003).
La prise de conscience de cette insuffisance sur l’efficacité de l’aide pour l’amélioration des conditions de vie des populations cibles a motivé la communauté internationale à l’adoption, en septembre 2000 au sommet des Nations Unies à New York (États-Unis), des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) tirés de la Déclaration du millénaire. De plus, la concertation entre le système des Nations Unies et les institutions de Bretton Woods a permis la mise en place de mécanisme d’accompagnement des pays bénéficiaires de l’aide à élaborer leur propre Document de Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP) pour la réalisation des OMD (Lapeyre, 2006). Après la proclamation des OMD en 2000, les flux de l’ADP ont augmenté avec une prolifération des projets de DI (McEvoy, Brady, et Munck, 2016 : 529).
Mais, l’efficacité de ces projets suscite peu d’intérêt de la part de la communauté internationale contrairement aux préoccupations relatives à la coordination des canaux d’acheminement de l’aide. L’objectif de ce chapitre est de montrer comment l’amélioration des approches classiques de gestion des projets de DI en tant que mécanisme de mise en place de l’aide publique au développement (APD) est peu considérée par la communauté internationale comme un enjeu de l’efficacité de l’APD au détriment de l’amélioration des mécanismes de l’acheminement de l’APD et de la coordination des donateurs.
Aide publique au développement : acteurs et mécanismes de sa mise en place
L’aide publique au développement est définie par l’OCDE (2010 : 291) comme « l’ensemble des dons et des prêts accordés aux pays et territoires figurant dans la liste des bénéficiaires d’APD établie par le CAD et aux organisations multilatérales, par le secteur public, à des conditions financières libérales (dans le cas des prêts, l’élément de libéralité doit être d’au moins 25 %) dans le but principalement de faciliter le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans des pays en voie de développement ». Il faut noter que l’appel de 1949 du Président Truman a été entendu. Cela se justifiait par l’afflux du financement des projets de développement initiés par les pays du nord pour les pays moins avancés du sud. À partir des années 1960, l’Organisation des Nations Unies (ONU) a décrété « la décennie du développement » avec la création d’organismes internationaux spécialisés dans la gestion du développement international. La plupart des pays occidentaux et le Japon ont suivi cet élan en se dotant d’un organisme de développement international pour assurer la mise en place technique et financière de leur APD dans les pays en voie développement (Ika, 2005 : 134).
C’est le cas des agences multilatérales de développement telles que la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque africaine de développement (BAD), la Banque ouest africaine de développement (BOAD), la Banque asiatique de développement (BAD). Il y aussi les agences bilatérales telles que l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID), l’ex Agence Canadienne pour le Développement International (Ex-ACDI), l’Agence Française pour le Développement (AFD), l’Agence Allemande pour la coopération internationale (GIZ) (Youker, 2003; Diallo et Thuillier, 2005 : 237). Aux côtés de ces agences d’exécution de l’aide bilatérale et multilatérale, interviennent aussi des Organisations internationales non gouvernementales (ONG). Ces agences et ONG internationales sont souvent désignées comme des partenaires techniques et financiers (PTF) pour le développement des pays qu’ils aident.
La plupart de leurs aides sont fournies aux pays à travers des projets ou des programmes de développement qui constituent ainsi les outils privilégiés de mise en place de l’aide (Diallo et Thuillier, 2005 ; Golini, Kalchschmidt, et Landoni, 2015). L’objectif principal des donateurs ou des partenaires techniques et financiers (PTF) en finançant les projets de développement est d’accompagner les pays en voie de développement (PED) à améliorer leur croissance économique et les conditions de vie de leurs populations (Youker, 2003). Mais, le bilan de l’aide publique au développement et des projets de développement restent globalement peu satisfaisant, même si certains projets présentent des résultats encourageants (Ika, 2005 : 129).
Ce constat d’échec partagé par tous les acteurs à différentes étapes de l’histoire du développement des pays du Sud justifiait les grands débats sur l’efficacité de l’aide publique au développement (APD) depuis les années 1980. Des critiques à l’encontre de l’approche de projets développement pour la mise en place de l’APD ont conduit successivement à des initiatives alternatives tels que les programmes d’ajustement structurel et l’approche programme suivant un nouveau paradigme entériné par la Déclaration de Paris.
Approche projet dans le domaine du développement international et la remise en cause du rôle de l’État L’approche projet dans le domaine de développement international est une démarche de concrétisation des politiques et des plans de développement avec des objectifs précis d’amélioration des conditions de vie des populations (Ika, 2011 : 25-26). Dans cette approche, l’aide publique au développement est mise en place à travers des projets de développement qui s’inscrivent dans une chaine de « Programmation – Planification – Budgétisation et Suivi » dont le but est de quantifier et de valoriser les besoins de financement des organisations et d’adapter les programmes d’investissement public aux ressources disponibles (Mahieu, 1994 : 853).
En d’autres termes, la modalité de mise en place de l’aide publique au développement se résume à l’aide-projet où le donateur vérifie les étapes de mise en oeuvre à travers des avis de non-objection et assure généralement le règlement des dépenses financières directement aux prestataires (Jacquemot, 2007 : 166). Ainsi, successivement au cours des années 1960 et 1970, l’essentiel de l’aide au développement a été orienté vers de grands projets de production ou d’infrastructure et des projets de taille plus modeste pour le développement rural et social (Dordain et Mogenet, 2012 : 14).
Mais, l’aide projet a fait l’objet de vives critiques au début des années 1980 au regard des échecs de la plupart des projets des secteurs du développement rural et d’infrastructures financés sur l’aide publique au développement, et au regard de la crise d’endettement des pays du Sud au cours de cette même période donnant lieu à des réformes structurelles à travers des programmes d’ajustement structurel (Dordain et Mogenet, 2012 : 14). L’analyse critique de certains auteurs sur l’échec de l’aide désignait les États bénéficiaires comme créateurs de distorsions et de conflits artificiels dans la sphère des relations marchandes privées (Azoulay, 2011: 57). En effet, la plupart des pays bénéficiaires se fondaient sur le consensus structuraliste des années 1950 qui défendait l’option interventionnisme des États du Sud pour mettre en place des structures productives. Mais, les critiques des théoriciens néoclassiques et néo-marxistes à la fin des années 1970 ont conduit à une remise en cause de toute forme d’interventionnisme étatique pour une nouvelle option de développement libéral à la fin des années 1980 et un nouveau consensus international dit « consensus de Washington » (Conte, 2003; Azoulay, 2011: 57).
Consensus de Washington et les programmes d’ajustement structurel : objectifs et effets de leur mise en œuvre sur le développement des pays bénéficiaires Le « consensus de Washington » constituait un ensemble de réformes ou de préceptes préconisés conjointement par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Il est mis en œuvre à travers des politiques d’ajustement structurel (PAS) et à pour objectif de surmonter les conséquences de la crise d’endettement des États du Sud au début des années 1980 caractérisées par le défaut de paiement du service de la dette et d’introduire une nouvelle orthodoxie de la pensée économique de développement fondée sur les principes du respect du marché et de l’État minimum (Conte, 2003; Berr et al., 2004 : 2; Azoulay, 2011 : 57).
Lesdites réformes pourraient être résumées en dix points, à savoir : la discipline budgétaire, la réorientation de la dépense publique, la réforme fiscale, la libéralisation financière, l’adoption d’un taux de change unique et compétitif, la libéralisation des échanges, l’élimination des barrières à l’investissement direct étranger, la privatisation des entreprises publiques, la dérégulation des marchés pour assurer l’élimination des principales barrières à l’entrée et à la sortie et la sécurité des droits de propriété (Conte, 2003).
A la fin des années 1980, le FMI et la Banque mondiale avec l’appui des États-Unis ont profité de l’éclatement soudain du bloc soviétique pour faire entériner par la communauté internationale la mise œuvre du « consensus de Washington » à travers des programmes d’ajustement structurel (PAS) dans les pays du Sud (Conte, 2003). En effet, les PAS faisaient déjà l’objet de vives critiques, de résistances partielles et circonstancielles. Mais brusquement, il apparaît à la fin des années 1980 le « consensus de Washington » qui devient le discours officiel des politiques de développement notamment dans les pays du Sud Sahara (Coussy, 2006 : 29-30). Ainsi, les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) ont imposé aux États du Sud, notamment aux pays africains des politiques d’austérité en termes de mesures de stabilisation.
Elles consistaient à réduire les dépenses publiques en vue de limiter la pression fiscale sur les citoyens, à réduire de nouveaux endettements des États, à favoriser le remboursement de la dette publique externe; à mener une politique monétaire orthodoxe (primauté du mécanisme du marché) en vue d’attirer des investissements directs étrangers (IDE), à dévaluer la monnaie en vue de favoriser les exportations (Berr et al., 2004 : 3). Les conséquences de cette austérité se traduisaient par une réduction drastique des dépenses sociales (éducation, santé, logement, infrastructures); ce qui a contribué dans le court terme à la dégradation des conditions de vie des populations (Berr et al., 2004 : 14).
S’agissant des réformes structurelles, elles se résumaient à des politiques de réduction des effectifs de la fonction publique et à la privatisation des entreprises pour restaurer l’équilibre budgétaire et limiter l’investissement public national; à des politiques de suppression des barrières tarifaires et non tarifaires pour promouvoir l’exportation; à la libéralisation des échanges commerciaux pour attirer les investissements directs étrangers (IDE); à des politiques d’élargissement de l’assiette fiscale par l’intermédiaire d’une généralisation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA); à la réduction de taux d’imposition marginaux pour favoriser l’épargne (de la classe riche) (Berr et al., 2004 : 3 et 14).
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