Adoption, implantation et generalisation d’une nouvelle technologie

L’adoption d’une nouvelle technologie au sein d’une organisation est fréquemment pensée comme source d’un avantage concurrentiel durable (Foster, 1986 ; Nonaka, Takeuchi, 1995 ; Powell, Dent-Micallef, 1997). Cette idée s’est notamment renforcée avec le développement récent des sociétés de l’information et de la connaissance et d’une forme de capitalisme de l’innovation intensive (Hatchuel, Weil, 1999), qui accordent une place de plus en plus considérable aux nouvelles technologies présentant la caractéristique d’accélérer la diffusion de l’information et de la connaissance au sein des entreprises. Les technologies de l’information (TI) tendent à être de plus en plus considérées comme un facteur clé de croissance et de performance organisationnelle, et de moins en moins comme un simple support engendrant des coûts pour l’entreprise considérée (Venkatraman, Henderson, 1999). Il devient ainsi nécessaire pour les entreprises qui souhaitent développer de nouvelles opportunités productives, tout en conservant leur avantage concurrentiel, d’intégrer les TI dans leurs stratégies globales (Scott-Morton, 1991 ; 1995). La composante technologique est ainsi devenue essentielle non seulement à la prospérité de l’organisation, mais aussi à son développement stratégique au sein de son environnement concurrentiel. C’est en raison de la prise en compte de cet environnement, qu’il semble alors approprié de parler d’organisation et non plus d’entreprise au sens réduit de structure, puisque la réussite du changement est un facteur de compétitivité et de performance (Pesqueux, Triboulois, 2004 : 14). Pourtant, si le choix d’une nouvelle technologie peut être un facteur considérable de performance organisationnelle, son processus de mise en œuvre constitue une condition nécessaire au succès de son adoption. En s’inscrivant dans cette thématique, notre travail de thèse se propose de mieux comprendre les conséquences de l’adoption d’une nouvelle technologie, en s’intéressant tout particulièrement à sa mise en place au sein de l’organisation. Plus précisément, ce travail de recherche se concentre sur les facteurs qui conditionnent la mise en place d’une technologie au sein de son groupe d’utilisateurs. En ce sens, nous choisissons d’étudier uniquement une catégorie particulière de technologies « majeures » qui engendre du changement « fondamental ». En particulier, les technologies « majeures » constituent des technologies dont l’introduction et la mise en œuvre au sein de l’entreprise bouleversent son organisation, notamment en remplaçant les routines existantes associées à l’environnement de travail et en transformant le partage des domaines de responsabilité au sein de l’entreprise et souvent ses métiers. Nous ne souhaitons donc pas nous intéresser aux technologies « mineures» considérées comme une source lente de progrès technique, mais exclusivement à celles dites « majeures » qui provoquent des changements drastiques et qui nécessitent ainsi de redéfinir l’environnement organisationnel au sein duquel elles opèrent. En ce sens, le projet de notre travail est de contribuer à une meilleure compréhension de l’adoption de nouvelles technologies par les entreprises et de leurs conséquences organisationnelles.

L’hypothèse de travail principale de cette thèse est fondée sur l’idée selon laquelle les performances des technologies ne peuvent pas être réduites à leurs déterminants intrinsèques, mais dépendent aussi très largement du contexte ou de l’environnement dans lequel celles-ci sont mises en œuvre (Benghozi, Cohendet, 1999). La technologie n’est donc pas considérée ici comme un élément structurant prédéfini, mais comme un outil co-évoluant avec le développement de l’organisation et tenant compte des anticipations et des stratégies individuelles ou collectives des agents aussi bien que des rapports de pouvoir que ceux-ci entretiennent. En ce sens, la mise en œuvre d’une technologie au sein d’une organisation ne peut s’appréhender autrement que comme un processus qui se déroule en plusieurs phases (depuis celle de l’adoption jusqu’à celle de sa généralisation complète) puis se répète. Dans une large mesure, cette perspective n’est pas contradictoire avec celle des travaux de Andrew Van de Ven et de Marshall Scott Poole (1995), ainsi que ceux, plus récents, de Robert Reix (2002), qui considèrent le processus de changement organisationnel comme une « séquence d’événements entraînant l’apparition d’une différente forme, qualité ou état d’une caractéristique de l’organisation ou de l’un de ses composants (travail d’un individu, groupe, organisation (…)) ; cette séquence se déroule dans un certain intervalle de temps » (Reix, 2002 : 2). Nous lui préférons cependant celle qui découle de la définition d’un processus proposée par Alain Bouvier. L’auteur décrit, à son tour, le processus comme « un ensemble d’activités, de ressources et de compétences plus ou moins indépendantes, organisées autour de la mise en œuvre d’un objectif stratégique, pour fournir à travers une série d’interactions entre les acteurs, les groupes et les sous-systèmes, un service (formation, expertise, projet, audit,…) ou un produit (industriel, technique, culturel, informatique,…) » (Bouvier, 2007 : 69). Poursuivant cette perspective conceptuelle, notre travail de thèse retient une unité de changement qui dépasse les cloisonnements entre les niveaux d’analyse, en proposant une approche multi-niveaux (acteur, groupe, organisation) et propose d’étudier le processus dans son ensemble, en considérant que l’organisation est un système construit socialement et cognitivement par des entités individuelles.

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A priori, le thème du changement technologique et organisationnel n’est pas nouveau au sein des Sciences de Gestion. En effet, une multitude de travaux s’y est déjà intéressée et regroupe des démarches diverses à dominante théorique sur le sujet (Barley, 1986 ; Roberts, Grabowski, 1995 ; Griffith, 1999 ; Cadix, Pointet, 2002 ; Shapiro, 2003 ; Pesqueux, Triboulois, 2004). L’étude des liens qui existent entre l’adoption d’une nouvelle technologie et les structures organisationnelles n’est pas nouvelle non plus, et a suscité toute une série de travaux au sein de la littérature dans le domaine de la Gestion (Barley, 1986 ; Orlikowski, 1992, Roberts, Grabowski, 1995 ; Griffith, 1999 ; Orlikowski, 2000 ; Fortune, Peters, 2005). La caractéristique commune de ces travaux est qu’ils se situent dans certains cas dans le champ des travaux sur les organisations (Barley, 1986 ; Orlikowski, 1992), sans avoir de lien particulier et plus précis avec des théories relatives aux technologies et notamment aux TI ; ou, au contraire, dans d’autres cas, dans le domaine des systèmes d’information (SI) (Lucas, 1978 ; Markus, Tanis, 2000; Ward, Peppard, 2002 ; Fortune, Peters, 2005 ; Oz, Jones, 2008), négligeant alors souvent les enjeux plus vastes qui les lient aux problèmes du management stratégique.

En revanche, l’objet choisi comme domaine d’application de la thèse relève du champ des SI. Si les technologies génératrices de changement fondamental ont été privilégiées dans ce travail comme domaine d’application au sens large ; les études de terrain conduites au cours de la recherche ne s’intéresseront cependant qu’à une technologie particulière afin de mieux analyser sa mise en place au sein d’études qui privilégient des cas multiples. La préoccupation première a été de choisir une technologie suffisamment complexe pour que celle-ci suscite un intérêt analytique, tant au niveau de son apprentissage qu’à celui de son utilisation au sein d’une communauté d’utilisateurs. En d’autres termes, la perspective générale de notre étude s’inscrit dans le champ prédominant du management stratégique et le domaine des SI ne représente ici qu’un point d’application particulier. Ce positionnement particulier de notre travail de thèse entraîne donc des différences de démarches entre notre recherche et les travaux purement SI, ancrés dans une tradition anglophone de perspective d’ingénierie ex-ante et de nature proactive de création de méthodes et d’outils (Desq et al., 2007 : 70). Ainsi, notre objet de recherche nous conduit davantage à comprendre des phénomènes de changement et de transformation des processus, induits par l’adoption d’une nouvelle TI, qu’à fournir des méthodes de gestion de projet dans une perspective d’évaluation des risques. En outre, si notre réflexion s’apparente davantage, dans une certaine mesure, à cette tradition SI francophone, plutôt attachée à l’étude de phénomènes d’appropriation, nous ne désirons pas non plus y inscrire notre analyse, qui s’intéresse surtout aux problématiques de l’apprentissage, de la généralisation d’une TI, et de la transformation des processus. Toutefois, comme nous l’aborderons tout au long de la thèse et le justifierons ci-après, la démarche souvent suivie par les travaux sur l’appropriation (Desanctis, Poole, 1994 ; Proulx, 2002 ; de Vaujany, 2005a) s’inscrit en complémentarité avec celle proposée par notre étude.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE PRELIMINAIRE – DE L’OBJET AUX CONCEPTS
PREMIERE PARTIE – POSITIONNEMENT DE LA RECHERCHE
CHAPITRE I – FONDEMENTS CONCEPTUELS : ANALYSE INTRA-PHASES
CHAPITRE II – FONDEMENTS CONCEPTUELS : ANALYSE INTERPHASES ET INTERPRETATION DES ECHECS
CHAPITRE III– METHODOLOGIE DE LA THESE
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE – DYNAMIQUE DE CHANGEMENT ET PROCESSUS DE MISE EN PLACE D’UNE NOUVELLE TECHNOLOGIE
CHAPITRE IV – PHASE DE PRE-ADOPTION ET DECISION D’ADOPTION D’UNE NOUVELLE TECHNOLOGIE
CHAPITRE V – PHASE D’IMPLANTATION D’UNE NOUVELLE TECHNOLOGIE
CHAPITRE VI – PHASE DE GENERALISATION D’UNE NOUVELLE TECHNOLOGIE
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE

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