L’étude prend lieu au Centre jeunesse du Saguenay–Lac-Saint-Jean (CJSLSJ). Constitué en 1996 par le regroupement de quatre établissements, le CJSLSJ a pour mission d’offrir des services d’adaptation, de réadaptation et d’intégration sociale aux jeunes et à leur famille. Il est régi par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) et certaines dispositions du Code civil (CJSLSJ, 2006).
Mon intérêt de recherche porte spécifiquement sur les adolescents qui font l’objet d’une mesure d’hébergement en centre de réadaptation sous le couvert de la LPJ.
Ces jeunes se retrouvent hébergés en contexte d’aide contrainte par le fait que les mesures de prévention et le soutien de la communauté (services d’aide de première ligne en centre local de services communautaires (CLSC), milieu scolaire, organismes communautaires, réseau familial élargi, etc.) se sont avérés inefficaces ou insuffisants pour enrayer les problématiques qui compromettent leur sécurité et leur développement. Par la LPJ, la société donne une autorité formelle au directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) et au tribunal de la jeunesse, pour imposer des mesures d’aide aux jeunes et à leur famille, qu’ils soient volontaires ou non à y collaborer. On parle alors d’une aide en contexte d’autorité, d’une aide contrainte, puisqu’à l’origine il n’y a habituellement pas de demandeur d’aide, pas de demande d’intervention de la part des personnes concernées, ni de volonté d’y souscrire. Par ailleurs, l’intervention sous contrainte crée un cadre d’intervention différent de la relation dyadique habituelle entre un client demandeur d’aide et un professionnel, puisqu’elle s’articule autour d’une triade composée du jeune et de sa famille, de la Direction de la protection de la jeunesse, ainsi que des dispensateurs de services. Des amendements apportés à cette loi en 2007 enjoignent toutefois les intervenants à privilégier les approches consensuelles et à prendre tous les moyens possibles pour favoriser la participation active et l’implication des parents et des jeunes aux décisions et aux mesures qui les concernent (Leblanc, 2010).
Une aide contrainte pour des situations d’exception
La Loi sur la protection de la jeunesse s’applique exclusivement dans les situations de mineurs de moins de dix-huit ans, dont la sécurité ou le développement est, ou peut être compromis . Elle se veut une loi d’aide, non punitive, qui vise la bientraitance pour assurer la protection du jeune. Elle a comme objectifs de mettre fin à la situation de compromission et d’en éviter la récurrence par des mesures de contrôle, de surveillance et d’aide. Cette exigence constitue l’une de ses prémices et inscrit l’intervention sociale dans un rapport d’autorité qui délimite la nature, la durée et la portée de l’aide pouvant être apportée. Il s’agit d’une aide sous contrainte ayant « comme objectif, non seulement d’écarter, de supprimer les dangers, de réparer les éventuelles cassures dans les trajectoires de vie, mais aussi de prévenir la réapparition des conditions qui ont favorisé les actes délétères » (Goldbeter-Merinfeld, 2011, p. 8).
Le signalement fait office d’élément déclencheur. Les mesures sont déterminées soit par une entente sur des mesures volontaires convenues entre le directeur de la protection de la jeunesse, les deux parents et le jeune de quatorze ans et plus, soit par une ordonnance du tribunal. Dans les deux cas, c’est le directeur de la protection de la jeunesse, en l’occurrence la personne qu’elle délègue à cette fin, qui voit à l’exécution de l’entente ou de l’ordonnance et à la dispensation des services d’aide (ACJQ, 2015b; MSSS, 2010a).
Annuellement, ce sont approximativement 2500 enfants et leur famille qui reçoivent des services du Centre jeunesse du Saguenay–Lac-Saint-Jean (CJSLSJ, 2015a). Près de la moitié de ces situations concerne des enfants victimes de négligence ou en risque sérieux de négligence. Dans les autres cas, les mauvais traitements, les troubles du comportement, les abus sexuels et les situations d’abandon représentent, dans des proportions moindres, les motifs d’intervention (ACJQ, 2008, 2009a, 2010a, 2011, 2012, 2013, 2014a, 2015a; CJSLSJ, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015a). En outre, pour la majorité des familles de ces jeunes, la préoccupation de la survie économique tient lieu de priorité, ce qui complique gravement leur situation et limite la capacité de changement. Le mandat de protection s’avère, d’autre part, très balisé et permet difficilement de corriger l’ensemble des problèmes (Guay, 2009, 2010). L’intervention du directeur de la protection de la jeunesse, en l’occurrence de l’État, doit prendre fin une fois la situation de compromission corrigée, et ce, même si d’autres besoins ou difficultés subsistent (MSSS, 2010a).
Bien que toute décision prise en vertu de la LPJ doit tendre à maintenir le jeune dans son milieu familial (MSSS, 2010a), il arrive qu’un tel maintien ne soit pas possible et qu’il faille recourir à son placement dans un milieu substitut. Les placements sont le plus souvent transitoires et de courte durée. Lorsque le retour du jeune dans le milieu familial ne peut être envisagé, un projet de vie alternatif dans un milieu stable, en mesure d’assurer la continuité des soins, la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge, doit alors être actualisé . Pour les adolescents hébergés en centre de réadaptation qui approchent de la majorité, ce projet de vie peut également prendre la forme d’une meilleure préparation vers l’accès à son autonomie fonctionnelle, faisant ici référence à sa propre prise en charge comme jeune adulte à l’atteinte de ses 18 ans (ACJQ, 2009b).
Dans les faits, c’est plus de la moitié des jeunes suivis dans le cadre de la LPJ qui fait l’objet d’un retrait du milieu familial pour être confiés, soit à une ressource de type familial (RTF), une ressource intermédiaire (RI), un milieu institutionnel (centre de réadaptation, foyer de groupe) ou encore à une personne significative (ACJQ, 2011, 2012, 2013, 2014a, 2014 b; CJSLSJ, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015a). Quant à la clientèle qui se retrouve dans les ressources de réadaptation (ressource intermédiaire, centre de réadaptation et foyer de groupe), elle représente approximativement 12 % de la population hébergée en milieu substitut (ACJQ, 2015a). « Ils constituent celle présentant les plus graves difficultés d’adaptation chez les jeunes référés aux centres jeunesse » (Comité de travail sur la santé mentale des jeunes suivis par les centres jeunesse, 2007, p. 8). Par conséquent, les ressources de réadaptation en internat dans les centres jeunesse ont dû se spécialiser au fil des ans pour offrir une programmation mieux adaptée aux besoins des jeunes qui s’y retrouvent hébergés (MSSS, 2013).
INTRODUCTION |