Stratégies métacognitives
Dans un premier temps, le lecteur a besoin de recourir à des processus cognitifs pour lire un texte et accéder au sens. Un ouvrage sur la lecture propose trois axes principaux relatifs aux stratégies cognitives. Il s’agit de la « compréhension à l’oral, du vocabulaire et des connaissances sur le monde » (Giasson, 2012, p. 228-229). D’un point de vue plus technique, l’auteur parle des stratégies cognitives nécessaires à la compréhension d’un texte. Il s’agit de : « la discrimination visuelle, du balayage gauchedroite, de l’organisation spatio-temporelle, …» (op. cit., p. 61) notamment. Un autre auteur rejoint les éléments précédemment cités en exposant la nécessité pour le lecteur de puiser dans ses expériences vécues afin de comprendre un texte. Il fait référence à Piaget et à la notion d’« assimilation » puis expose que : …la prise d’information opérée par le sujet dépend non seulement de la nature et de l’organisation des stimuli, mais aussi des connaissances antérieures qui, structurées en réseaux sémantiques (Lemaire, 1999, cité par Crahay et Dutrévis, 2010, p. 30) agissent en tant que schèmes (ou schémas) remplissant une fonction de cadrage (Crahay et Dutrévis, 2010, p. 30). Dans un deuxième temps, le lecteur a besoin de développer des stratégies métacognitives afin de réfléchir sur ses actes cognitifs et ainsi vérifier si les informations tirées du texte correspondent véritablement à ce qui est écrit.
Dans le cas échéant, ces stratégies métacognitives permettent à l’élève d’ajuster ces actions cognitives. La métacognition pourrait être définie comme le regard qu’un élève peut porter sur ses propres manières de penser (raisonnement, liens entre plusieurs facteurs). Les stratégies métacognitives permettent l’ajustement des actions cognitives en fonction des réflexions opérées. D’un point de vue historique, la définition du concept de métacognition a évolué en deux temps. Si on remonte dans le passé, un chercheur issu du domaine de la métacognition « … désigne la connaissance qu’un sujet a de son propre fonctionnement cognitif et celui d’autrui, la manière dont il peut en prendre conscience et en rendre compte » (Flavell, 1976, cité par Doudin et Martin, 1999, p. 125). Un autre auteur ajoute à cette définition l’idée de « mécanismes de régulation ou du contrôle du fonctionnement cognitif » (Brown, 1987, cité par Doudin et Martin, 1999, p. 125). Le concept précité fait allusion à des « mécanismes ou fonctions métacognitives » visant l’ajustement des actes cognitifs ainsi que de l’ajustement des apprentissages. Il s’agit notamment de « la planification, la révision et du contrôle des résultats » (op. cit.).
Adolescents ayant une déficience intellectuelle légère
La population que j’ai choisie pour ce travail est composée d’adolescents ayant une déficience intellectuelle 1 légère 2 . Les définitions de la déficience intellectuelle sont multiples. Elles ont évoluées en fonction des auteurs et des époques. L’organisation Mondiale de la Santé (OMS) et plus particulièrement la Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) (2002), met en exergue la singularité de l’élève ainsi que l’importance d’aménager un environnement propice à son évolution. Je rejoins le concept précité dans le manuel de la CIF en ce qui concerne la prise en compte de l’élève dans son individualité ainsi que l’importance de recourir à des moyens pédagogiques adaptés aux besoins spécifiques de ce dernier. J’ai opté pour une première définition qui me semble la plus détaillée et complète. La déficience intellectuelle se définit comme étant « …une incapacité caractérisée par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif qui se manifeste dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques. Cette incapacité survient avant l’âge de 18 ans » (Association Américaine du retard mental, AARM, 2002, cité par Wehmeyer___ et Obremski, 2010, p. 2)___ (site consulté le 2 mai 2014).
De plus, l’ouvrage mentionne que la déficience intellectuelle se manifeste par « des difficultés intellectuelles, de raisonnement, de planification, de résolution de problèmes, de pensée abstraite, de compréhension d’idées complexes, d’apprentissage rapide et d’apprentissage par expérience …» (op. cit.). J’expliciterai dans les points suivants de quelle manière j’ai adapté l’environnement de mes élèves de façon à ce qu’il corresponde au plus près de leurs besoins spécifiques. La deuxième définition que j’ai choisie est proposée par le DSM-IV 3 (2003). Les explications issues de ce manuel rejoignent quelque peu celles tirées de la AARM. L’ouvrage définit la déficience intellectuelle comme étant : […] un fonctionnement intellectuel significativement inférieur à la moyenne, qui s’accompagne de limitations significatives du fonctionnement adaptatif dans au moins deux des secteurs d’aptitudes suivants : communication, autonomie, vie domestique, aptitudes sociales et interpersonnelles, mise à profit des ressources de l’environnement, responsabilité individuelles, utilisation des acquis scolaires, travail, loisir, santé et sécurité. Le début doit survenir avant l’âge de 18 ans (p. 210).
Adolescents ayant une déficience intellectuelle légère et des difficultés de compréhension en lecture Les études mentionnées ci-dessous mettent en lien les difficultés de compréhension de textes des élèves ayant une déficience intellectuelle ainsi que l’utilisation de stratégies métacognitives. Les compétences relevées pour comprendre un texte font miroir avec les difficultés récurrentes chez les élèves ayant une déficience intellectuelle. Ils ne parviennent que difficilement à développer leurs compétences «…stratégiques et métacognitives » (Courbois et Paour, 2007, cités par Cèbe et Paour, 2012, p. 3). Ils éprouvent également de la peine à appliquer des « processus de contrôle » ainsi que des « processus d’autorégulation cognitive » (op. cit., p. 10). De plus, deux auteurs avancent que, fort souvent, des élèves en grandes difficultés ont de la peine à trouver des stratégies adéquates, notamment pour des tâches complexes (Crahay et Dutrévis, 2010). Les élèves ayant des difficultés de compréhension de textes connaissent parfois « les stratégies appropriées à l’accomplissement de la tâche, » mais « ne les mobilisent pas » (Crahay et Detheux-Jehin, 2005, cités par Crahay, 2010, p. 35).
Ce problème de mobilisation peut provenir de la surcharge de stratégies et procédures à utiliser en lien avec une tâche complexe. Un autre facteur peut être parfois la cause des difficultés de compréhension en lecture. Il s’agit de situations dans lesquelles « …les élèves ne sont pas conscients que la stratégie peut leur être utile » (Giasson, 2007, p. 29). Parallèlement, les stratégies adéquates varient en fonction du type de texte proposé. En effet, les stratégies propres au texte injonctif ne seront pas les mêmes que pour un récit à résumer. Cet élément rend l’exercice de la compréhension de texte d’autant plus difficile pour les élèves ayant des besoins spécifiques. Il s’agit donc pour l’élève de développer des capacités « à inhiber les automatismes acquis, …» (Crahay, Dutrévis, 2010, p. 29) et parvenir à choisir la stratégie en fonction du type de texte à comprendre. D’où l’importance pour l’enseignant de connaître les habiletés requises pour la compréhension du texte choisi. S’il les connaît, il sera plus à même de guider l’élève vers la stratégie adéquate. Pour cette étude, je me suis appuyée sur les rares articles ayant trait aux difficultés de compréhension de lecture rencontrées par les élèves ayant une déficience intellectuelle. D’ailleurs, le travail de recherche rédigé par Cèbe & Paour (2012) signale l’importance d’« apprendre à lire aux élèves avec une déficience intellectuelle », de « varier la nature des tâches …en les adaptant aux caractéristiques fonctionnelles des personnes DI,… » (Bray et al., 1997, cité par Cèbe et Paour, 2012, p. 3). J’ai choisi divers moyens d’interventions permettant d’adapter l’environnement pédagogique des élèves.
Contexte professionnel et population
Je travaille deux jours par semaine dans une institution spécialisée du canton de Fribourg avec des adolescents ayant une déficience intellectuelle légère. J’exerce comme enseignante spécialisée dans une classe de huit élèves âgés de treize et quatorze ans, en neuvième et dixième année Harmos. J’ai réalisé une recherche mixte. En effet, j’ai utilisé une méthode quantitative pour mesurer les performances en compréhension de texte (scores) et une méthode qualitative pour mesurer l’utilisation de stratégies. J’ai effectué la recherche avec trois élèves : Joelo, Cendro et Sam4. Ils sont âgés de quatorze ans. Ils ont tous les trois reçu un diagnostic de déficience intellectuelle légère. Le médecin a attribué un diagnostic relatif aux TED (troubles envahissants du développement) à Sam, plus spécifiquement d’autisme atypique. Il lit et comprend des phrases simples relatant un fait concret. Par contre, il ne parvient pas à inférer des informations à partir de ce qu’il lit. De plus, il présente des difficultés notoires à comprendre une consigne écrite et à démarrer une tâche. Cendro a reçu un diagnostic de TDAH (troubles avec déficit d’attention et hyperactivité) sévère.
Depuis la révélation de la maladie par son médecin, le jeune prend quotidiennement des médicaments (Méthylphénidate). Cendro ne parvient pas à saisir une consigne écrite. Il la lit furtivement et démarre la tâche sans avoir réellement saisi ce qu’il doit faire. La logopédiste qui suit Cendro remarque son faible bagage lexical ainsi que sa difficulté à planifier la lecture des consignes écrites. Ces éléments pénalisent l’élève pour la compréhension de données écrites notamment. Joelo éprouve d’importantes difficultés, selon la logopédiste, à se créer des représentations mentales lorsqu’il lit. De là découle ses difficultés à mettre en lien les éléments du texte. De plus, il applique des stratégies de compréhension de lecture (relecture) sans comprendre son action et sa fonction. La thérapeute dit également que Joelo se bloque lorsqu’il se trouve en surcharge cognitive (Crahay, 2005) (consulté le 7 juillet 2014). Cela signifie que lorsqu’il est face à plusieurs éléments composant la consigne, il ne parvient plus à réfléchir, submergé par trop d’informations.
1. Introduction |