Adaptation sociale au cours de la période scolaire

ADAPTATION SOCIALE AU COURS DE LA PÉRIODE SCOLAIRE 

Reconceptualisation de l’inhibition à l’âge scolaire 

Les travaux de Kagan et Moss (1962) rapportent que les enfants inhibés durant les trois premières années présentent une forte timidité sociale entre six et dix ans. Les données de l’équipe de Rubin et al. (1989) et Rubin, Hymel, Mills et RoseKrasnor (1991) suggèrent que le retrait social (surtout la solitude passive) des enfants de la maternelle et de deuxième année est un facteur prédictif de problèmes internalisés (estime de soi négative, solitude, dépression) en quatrième et cinquième années. Les travaux de l’équipe de Kagan (Garcia-Coll, Kagan et Reznick, 1984; Kagan, Reznick et Gibbons, 1989) prévoient également des problèmes ultérieurs de mésadaptation pour les enfants qui sont très inhibés à deux et trois ans.

Concept de timidité 

D’un point de vue motivationnel, le comportement de timidité suscite un conflit d’approche-retrait (Asendorpf, 1989, 1990). Un enfant est motivé à approcher les autres mais cette tendance d’approche est inhibée par une tendance simultanée d’évitement. Comme les conflits d’approche-retrait surviennent chez plusieurs enfants lorsqu’ils rencontrent des pairs non-familiers, ceux-ci arrêtent de jouer et observent les pairs. Plus tard, ils s’engagent dans des jeux en proximité et ils intègrent rapidement l’activité des partenaires (Asendorpf, 1993b). Les enfants extrêmement timides sont caractérisés par une tendance stable et forte d’évitement dans des situations sociales particulières. La tendance d’évitement interagit simultanément avec une tendance d’approche, produisant de longues phases de « comportements ambivalents » (e.g. observer les autres à distance), « comportements d’oscillation » (hésitant à proximité d’un groupe de pairs), « compromis  comportemental » (engagement dans le silence, jeu parallèle), ou résolution de conflit par un « retrait calme vers un jeu solitaire » (Asendotpf, 1991).

Au plan émotionnel, les enfants timides tendent à éviter les autres parce qu’ils les craignent. La timidité est une forme particulière de crainte dans des situations sociales. Les recherches sur la timidité adulte ont identifié deux types différents de crainte qui peuvent être appliqués aux enfants: la crainte des étrangers et la crainte de l’évaluation sociale. Cette différence prend tout son sens dans une perspective développementale. La crainte des étrangers émerge autour de huit mois (Sroufe, 1977) et n’implique pas de conscience de soi. La crainte de l’évaluation sociale sousentend l’évaluation des autres (soi, vu par les autres), et reflète une conscience de soi qui se développe à partir de 18 mois (voir Lewis, Sullivan, Stanger et Weiss, 1989, pour une démonstration empirique).

L’inhibition face à la non-familiarité est un concept plus général que la timidité envers les étrangers parce qu’elle inclut l’inhibition envers des stimuli nonsociaux, non-familiers. Quoique les recherches de Kagan et son équipe suggèrent que les réactions des enfants extrêmement inhibés soient aussi fortes lorsqu’ils sont en présence d’étrangers que face à une situation non-familière, la consistance entre les situations sociales et non-sociales nouvelles pourrait être moins forte si l’inhibition est étudiée en considérant l’ensemble de l’échantillon plutôt que ses extrêmes (Kochanska et Radke-Y arrow, 1992). Finalement, la timidité envers les étrangers apparaît se développer dès le jeune âge, elle est un trait modérément stable et démontre une consistance à travers les contextes sociaux des partenaires. Il apparaît donc approprié, pour Asendotpf (1993), d’appeler cette catégorie « trait de timidité ».

Retrait social et isolement social 

Perspective du développement normal
Plusieurs études développementales s’intéressent au retrait social, non pas en mettant l’accent sur la signification des comportements de solitude ou du manque d’interaction sociale durant l’enfance, mais plutôt sur l’importance des échanges sociaux pour la croissance et le développement normal. Les recherches des années 1960 et 1970 ont utilisé le construit d’égocentrisme afin d’expliquer pourquoi les plus jeunes enfants du préscolaire apparaîssent plus agressifs, moins altruistes, et moins coopératifs que leurs pairs de l’école primaire (Shantz, 1983). De nos jours, les psychologues affirment que les différences individuelles dans les comportements sociaux peuvent être attribuables à des déficiences au niveau de la compétence à: 1) comprendre les idées, sentiments et intentions des autres et 2) à considérer les conséquences de ses comportements sociaux pour soi et pour les autres (Dodge, 1986; Rubin et Krasnor, 1986; Selman, 1985; Shantz, 1983).

Des considérations théoriques supportent l’hypothèse voulant que les interactions sociales, et particulièrement celles impliquant les pairs, contribuent fortement à développer la pensée sociale. Il est également proposé que le développement de la pensée sociale devient une base essentielle dans la production de comportements sociaux adaptés (Rubin et Asendorpf, 1993). Cette conviction est fondée sur des recherches empiriques effectuées au cours des années 1970. Pendant cette période, nombre de chercheurs ont tenté d’établir un lien empirique entre les interactions avec les pairs, les compétences langagières, et le développement de comportements socialement adaptés et inadaptés. Ainsi, on a pu démontrer expérimentalement que les échanges verbaux et non verbaux contribuent à une atténuation de la pensée égocentrique. La relation entre un faible niveau de langage et des comportements inadaptés au plan social a également été démontrée à partir des travaux expérimentaux publiés dans les années 1970 (Chandler, 1973). De plus, les recherches ont démontré que la compétence langagière pourrait être améliorée par l’entremise des expériences d’interaction avec les pairs, particulièrement les expériences impliquant le jeu de rôle ou le sociodrame (ces derniers favorisent la capacité de se représenter le point de vue d’autrui). La qualité de la communication verbale tend à faciliter la manifestation de comportements prosociaux (Iannotti, 1978) et à contraindre l’apparition des comportements agressifs (Chandler, 1973).

Perspective du développement atypique
Un autre aspect des études sur le retrait social concerne le développement atypique. Le terme « retrait social » est utilisé dans la plupart des volumes traitant de la psychologie clinique ou anormale (v.g. Achenbach, 1982; Quay et Werry, 1986; Rosenberg, Wilson, Maheady, et Sindelar, 1991; Wicks-Nelson et Israel, 1989). Le concept du retrait social, dans une perspective du développement atypique, est associé à un désordre de « surcontrôle » (v.g. Lewis et Miller, 1990) ou à un problème « internalisé » (Achenbach et Edelbrock, 1981). De plus, le retrait social est contrasté avec l’agression comme l’une des deux dimensions majeures les plus couramment identifiées en ce qui concerne les troubles de comportements durant l’enfance (v.g. Moscowitz, Schwartzman, et Ledingham, 1985; Parker et Asher, 1987). Le manque d’interaction sociale constitue un critère de diagnostic de psychopathologie du DSM III-R (v.g. désordre d’ajustement impliquant le retrait; désordre de personnalité évitante).

La confusion dans les classifications sociométriques
La littérature dans le domaine de la sociométrie révèle que les termes suivants ont souvent été interchangés: retrait social, isolement social, l’enfant négligé et l’enfant rejeté au plan sociométrique, timidité, inhibition, et réticence sociale (Rubin et Asendorpf, 1993). Depuis les années 1970, les recherches utilisant des procédures sociométriques ont contribué à augmenter la confusion autour de la définition des concepts d’enfants retirés, négligés ou isolés. Ainsi, il est difficile de déterminer si l’isolement social est issu des caractéristiques individuelles ou des contraintes de groupe. Pourtant, les études observationnelles permettent de distinguer les enfants isolés et retirés au niveau des interactions (v.g. Asher, Markell, et Hymel, 1982).

Ces spécifications ont amené les chercheurs à inférer une équivalence entre les statuts sociométriques et leurs corrélats comportementaux. Les enfants rejetés ou non aimés seraient plus agressifs, tandis que les négligés seraient plus retirés (Rubin et Asendorpf, 1993). Cette équation du statut de négligé au plan sociométrique et du retrait comportemental, lorsque mise en parallèle avec les recherches rapportant que ces enfants diffèrent rarement sur des mesures comportementales d’inadaptation, donne davantage de poids aux hypothèses cliniques traditionnelles stipulant que les enfants retirés socialement ne représentent pas un groupe à risque de difficultés ultérieures. Deux visions mettent en valeur cette position. Premièrement, les recherches empiriques actuelles supportent la vision selon laquelle l ‘enfant qui  interagit rarement avec les pairs est sociométriquement négligé. En effet, il y a une évidence grandissante à suggérer qu’avec l’augmentation de l’âge, les enfants ayant été décrits comme passifs, sédentairement solitaires sont plus enclins à être activement rejetés plutôt que passivement négligés par les pairs. Deuxièmement, la voie du retrait social est généralement analysée sans référer à la réputation des pairs. Le retrait social réfère plutôt à l’ action de demeurer seul, de ne pas interagir avec les autres (Rubin et Asendorpf, 1993).

Le retrait social est une classification comportementale qui ne devrait pas porter confusion avec 1′ ensemble des classifications sociométriques. De plus, le retrait social ne devrait pas être confondu avec le terme « isolement social ». L’enfant peut s’isoler lui-même du groupe de pair ou il peut être isolé par le groupe. Le retrait social est caractérisé par le fait que 1 ‘enfant demeure à distance du groupe de pairs tandis que l’isolement est caractérisé par le fait que le groupe demeure à distance de l’enfant (Rubin et Asendorpf, 1993).

Sur le plan empirique, les chercheurs ont démontré que les indices de retrait du groupe de pairs est significativement associé aux indices d’isolement, spécialement vers la fin de l’enfance (v.g. Hymel et Rubin, 1985; Rubin et Mills, 1988). Cependant, les évaluations et les observations de l’agressivité sont significativement associées à l’isolement induit par les pairs (Coie et Kupersmidt, 1983; Dodge et al., 1984). Il apparaît clair que le retrait social se définit davantage comme de la solitude. Afin de clarifier ce qu’est le retrait social, il importe de faire la distinction entre les différentes composantes du retrait social telles: le retrait passif, 1 ‘inhibition, et la timidité (Rubin et Asendorpf, 1993).

À la lumière des études sociométriques effectuées depuis les 25 dernières années, nous constatons que les spécialistes des groupes d’enfants en milieu scolaire ne s’entendent pas sur la définition des statuts d’enfants retirés, négligés et isolés. ll serait alors difficile, pour des enseignantes, de dégager ces types d’enfants à l’intérieur de leur classe. De plus, lorsque nous voulons établir des prédictions entre les comportements sociaux en bas âge et les statuts sociométriques en milieu scolaire, les enfants inhibés devraient être associés à l’isolement social. Pourtant, l’étude de Caron, Vitaro et Buisson (1994) démontrent que les statuts sociométriques ont peu de validité écologique puisque les différents statuts sociaux ne sont pas stables à travers différents contextes sociaux. À cet effet, il apparaît plus approprié à l’heure actuelle de concevoir l’inadaptation à partir d’une approche individuelle lorsqu’on s’intéresse à l’aspect prédictif des comportements sociaux en bas âge en fonction du phénomène d’inadaptation sociale en milieu scolaire.

Table des matières

CHAPITRE I CADRE THÉORIQUE 
1.1 Introduction
1.2 Problème de définition
1.2.1 Composantes de l’inhibition
1.3 Perspectives théoriques reliées à l’inhibition
1.3.1 Perspective biologique
1.3.2 Perspective développementale
1.4 Adaptation sociale au cours de la période préscolaire
1.5 Adaptation sociale au cours de la période scolaire
1.5.1 Reconceptualisation de l’inhibition à l’âge scolaire
1.5.2 Concept de timidité
1.5.3 Retrait social et isolement social
1.5.3.1 Perspective du développement normal
1.5.3.2 Perspective du développement atypique
1.5.3.3 La confusion dans les classifications sociométriques
1.5.4 La solitude chez les enfants
1.6 Problèmes de mesure
1. 7 Objectifs et questions de recherche
CHAPITRE II MÉTHODOLOGIE
2.1 Introduction
2.2 Sujets
2.3 Instrumentation
2.3.1 Période préscolaire
2.3.2 Période scolaire
2.4 Procédure
2.4.1 Période préscolaire
2.4.2 Période scolaire
CHAPITRE III RÉSULTATS
3.1 Introduction
3.2 La période préscolaire
3.2.1 L’index d’inhibition/sociabilité
3.2.2 Caractéristiques sociales des enfants à deux ans
3.2.2.1 Regroupement des caractéristiques sociales de l’enfant
3.2.2.2 Regroupement des enfants sur la base des trois composantes sociales
3.3 La période scolaire: mise en relation avec les profils sociaux en bas âge
3.3.1 Aspects prédictifs de l’index d’inhibition/sociabilité et de la typologie sociale sur l’adaptation sociale à la maternelle
CHAPITRE IV DISCUSSION ET CONCLUSION

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