Activité d’éclairs et paramètres physiques issus de
l’observation radar dans les orages
Aperçu des relations entre éclairs et paramètres nuageux
Dans ce chapitre, le but n’est pas de lister de façon exhaustive l’ensemble des relations existant ou ayant été étudiées entre éclairs et paramètres nuageux, mais plutôt de donner un bref aperçu des travaux effectués sur le sujet. Une seconde partie est consacrée au développement de l’hypothèse des flux sur la base des travaux de Blyth et al. (2001).
Vue d’ensemble
Comme cela a été mentionné en introduction, les liens entre activité d’éclair et paramètres nuageux ont déjà fait l’objet de nombreuses études, l’électrisation du nuage étant directement liée à sa dynamique et sa microphysique. D’autre part, étant donné la tendance observée des précipitations et de l’activité d’éclair à connaître des évolutions similaires dans le temps, les relations entre taux d’éclairs et taux de précipitation ont également fait l’objet de plusieurs études qui montrent cependant une certaine sensibilité à de multiples facteurs. En effet, ces relations entre activité d’éclair et précipitation peuvent dépendre des conditions environnementales (un fort contraste peut apparaître entre les orages évoluant sur mer ou sur terre : Petersen et Rutledge, 1998; Takayabu, 2006), du cycle de vie de l’orage (Tapia et al., 1998), de la région dans laquelle se produit l’orage (Holle et al., 1994), du type d’éclairs considéré (Piepgrass et al., 1982; Soula et Chauzy, 2001). Cependant, dans le cas particulier des précipitations intenses la corrélation avec l’activité électrique semble meilleure (Petersen et Rutledge, 1998 ; Katsanos et al., 2007). Plus récemment, à partir de l’étude de données satellites issues de la mission TRMM (Tropical Rainfall Measuring Mission) dans le nord-ouest de l’océan Pacifique, Pessi et Bussinger (2009) ont montré que l’activité d’éclair et les réflectivités radar dans la zone mixte semblées liées, et ont mis en évidence une corrélation linéaire entre maximum de réflectivité et activité d’éclair. Ils ont également montré une augmentation logarithmique du taux de pluie avec l’activité d’éclair et la localisation de l’activité électrique au niveau des cœurs convectifs, confirmant ainsi des résultats obtenus dans d’autres études (Fleenor et al., 2009, pour les éclairs nuage-sol ; Soula et Chauzy, 2001, pour l’activité électrique totale). Pessi et Bussinger (2009) ont également observé une forte corrélation entre activité d’éclair et contenu en glace intégré sur la verticale (IWP : Ice Water Path). Une étude antérieure également basée sur des données TRMM de Petersen et al. (2005) a mis en évidence cette forte corrélation entre IWP et activité d’éclair, et a aussi comparé cette relation issue de différents régimes : au-dessus de l’océan, en régime côtier, et sur continent. La relation entre activité d’éclair et Chapitre 1 45 IWP est apparue relativement invariante en fonction des régions considérées contrairement à la celle des taux de pluie. Concernant les relations entre glace et activité d’éclair, celles-ci ont été investiguées plus en détails, notamment par Latham et al. (2007) qui ont comparé l’activité d’éclair avec les masses de glace précipitante et non précipitante, à partir de données radar (observation depuis le sol). La détermination de ces catégories est basée sur les particules intervenant dans le mécanisme non-inductif à la base de l’électrisation du nuage et de l’hypothèse des flux (Blyth et al., 2001).
L’hypothèse des flux
Cette hypothèse a été développée de façon analytique par Blyth et al. (2001). Elle prédit que le taux d’éclair total (IC+CG) est proportionnel, à une constante près, au produit du flux de précipitation solide dirigé vers le bas et du flux de cristaux de glace dirigé vers le haut, d’où son nom d’hypothèse des flux. Afin d’établir cette hypothèse, Blyth et al. (2001) ont considéré que le seul mécanisme produisant l’électrisation du nuage était le mécanisme non-inductif, ce qui au moins en début de vie de l’orage, peut être une approximation relativement réaliste (voir partie 1.3.2.2). Ils ont ensuite considéré une région du nuage appelée zone de charge dans laquelle se déroule l’électrisation du nuage car les graupels, cristaux de glace et eau surfondue y coexistent et y interagissent. Les limites de la zone de charge sont diffuses et variables d’un nuage à l’autre. Cependant, le haut de la zone de charge est défini comme étant le niveau au-delà duquel le graupel ne peut être maintenu très longtemps par l’ascendance. Donc plus grande est la vitesse d’ascendance, plus haute est la zone de charge. Ce niveau est généralement situé entre -10 et -30 °C. Le graupel peut en effet atteindre de hautes altitudes avant que sa vitesse de chute terminale soit supérieure à la vitesse d’ascendance et avant qu’il commence à chuter par rapport au sol si la convection est assez forte. La limite basse de la zone de charge est quant à elle supposée correspondre aux niveaux où la température est légèrement inférieure à 0°C, typiquement -5°C, afin que les trois espèces microphysiques à la base de l’électrisation du nuage rappelées plus haut puissent cohabiter. Les valeurs des flux considérées dans le calcul sont celles existant au sommet de la zone de charge, où la majorité des transferts de charge impliqués dans la croissance du champ électrique se produisent (Illingworth et Latham, 1975 ; Latham et Dye, 1989). Dans ce calcul illustratif détaillé succinctement ci-après, il est considéré qu’une situation stable existe dans laquelle l’hypothèse de conservation de la charge électrique au sommet de la zone de charge peut être faite. Celle-ci se traduit par le fait que la charge neutralisée par chaque éclair est continuellement remplacée par la charge portée par les cristaux de glace amenés par l’ascendance. Ce qui, exprimé sous la forme d’équation, peut s’écrire : Ql × f = C1 × S × w Où : Ql : Charge neutralisée par éclair f : Taux d’éclair S : Densité de charge d’espace sur les cristaux de glace au sommet de la zone de charge w : Vitesse des ascendances C1 : Constante (dans la suite tous les Ci , seront des constantes) La densité de charge d’espace S est exprimée sous la forme : S = dS/dt × T = C2 × N × R² × Vt × n × q × T Où : Chapitre 1 46 dS/dt : Taux de charge des cristaux de glace par unité de volume d’air T : Temps caractéristique dans lequel le chargement des cristaux se produit. Hypothèse : T = Z / w , où Z est l’épaisseur caractéristique située juste sous le sommet de la zone de charge dans laquelle le chargement est significatif R : Rayon des graupels N : Concentration en graupels de rayon R Vt : Vitesse de chute du graupel considérée comme proportionnelle à R: Vt = C4 × R n : Concentration en cristaux au sommet de la zone de charge q : Charge échangée par collision Hypothèse : q = C3 × da × Vt b où : d : taille du cristal de glace a et b : constantes considérées égales à 3 et 2 respectivement, à partir d’expériences de laboratoire (Jayaratne et al., 1983 ; Baker et al., 1987, …) Au cours du calcul, il est considéré que : – la charge neutralisée par éclair (Ql) est constante ; – la vitesse de chute terminale du graupel est égale à la vitesse d’ascendance (vt = w) au sommet de la zone de charge ; – le taux de précipitation solide: FGP est proportionnel à N × R3 × vt – la masse de cristaux de glace par unité de volume d’air (Mi) s’exprime par : Mi = C6 × n × d3 – le flux de masse de cristaux à travers le sommet de la zone de charge est: FGNP = Mi × w L’ensemble de ces considérations permet d’aboutir à l’expression de l’hypothèse des flux, qui est la suivante : f = C8 × FGP × FGNP où C8 est une constante regroupant l’ensemble des autres constantes et des paramètres considérés constants au cours de ce calcul. D’après Blyth et al. (2001), la forme générale de cette équation n’est pas surprenante car les hydrométéores glacés (graupels, cristaux de glace, …) sont les espèces primordiales intervenant dans le processus de charge. L’augmentation concomitante du champ électrique avant et après les éclairs dépend de façon significative du taux auquel les collisions se produisent entre ces deux types d’hydrométéores, qui dépend lui-même des concentrations en cristaux de glace et du taux de graupels qui « balaient » le volume de cristaux (en considérant le fait que les graupels chutent par rapport à l’air « chargé » en cristaux de glace). L’hypothèse des flux, prévoyant une relation quantifiable entre éclair et glace et testée avec succès sur des données radar par Deierling et al. (2008), sera également évaluée dans l’étude présentée par la suite. Une version plus détaillée de cette hypothèse a été développée par Latham et al. (2004), qui ont établi une expression de cette relation pour deux mécanismes de glaciation différents : la nucléation primaire et le processus Hallet-Mossop. Cependant étant donné qu’il est difficile de savoir quel mécanisme est prédominant en réalité, nous n’avons pas plus investigué cette piste de travail. Chapitre 2 47 2 Présentation des événements et des données Afin d’étudier les relations entre éclairs et paramètres nuageux nous nous sommes basés sur des observations d’événements orageux des années 2009 et 2010. Dans un premier temps, compte tenu de la disponibilité des données nous avons concentré l’étude sur deux systèmes orageux s’étant déroulés en région parisienne en 2009. Ensuite, ce travail étant préparatoire à l’analyse des données qui seront disponibles pendant la campagne HyMeX, trois événements s’étant produits dans le Sud-Est de la France également en 2009 ont été étudiés. Enfin nous avons eu la possibilité d’étudier le premier cas représentatif de la campagne HyMeX qui a eu lieu du 6 au 8 septembre 2010. Dans ce chapitre, les événements et les données utilisées pour leur étude seront décrits après une rapide explication de la façon du choix des cas observés.
Choix des événements
Le choix des cas traités a été principalement basé sur l’activité électrique. Des données de nombre d’éclairs nuage-sol par jour (issues du réseau Météorage) nous ont été communiquées par Météo France sur des régions couvrant à peu près nos domaines d’étude entre mai et octobre 2009. Ainsi les dix dates possédant l’activité électrique la plus soutenue pour chaque région (nombre de CG supérieur à 2000 pour la région parisienne et supérieur à 3000 pour le Sud-Est) ont initialement été retenues. Ensuite, étant donné que nous ne disposions des données d’éclairs qu’à partir du début du mois de juillet 2009, nous nous sommes concentrés sur les événements correspondants, sur la base d’images satellites et radar (mises à disposition par Eumetsat pour les données satellites et par plusieurs pays européens pour les données radar, sur les sites www.sat24.com et www.meteox.com). Nous avons sélectionné des événements qui traversaient les domaines, afin de pouvoir suivre leur évolution, et dont l’activité électrique se trouvait principalement dans les zones couvertes par les radars. A cette étape, notre sélection comprenait quatre événements parisiens et quatre événements sur le Sud-Est. En ce qui concerne les cas parisiens, en pensant disposer des données du système LS 8000 (installé en 2009 pour la détection des sources intra-nuageuses) nous avons isolé les deux cas s’étant déroulés à partir du mois d’août (mise en service du système) et correspondant aux critères précédemment cités, à savoir les : – 24/08/2009 entre 1100 et 2200 UTC : 3728 CG (durée : 11 heures), – 7/10/2009 entre 1500 et 2100 UTC: 4227 CG (durée : 6 heures). – En ce qui concerne la région Sud-Est, nous avons sélectionné trois des quatre cas dont l’activité électrique était la plus importante. Ces événements sont les: – 01-02/08/2009 entre 1700 (le 1er) et 1100 UTC (le 2) : 12503 CG (durée : 18 heures), – 18/09/2009 (journée complète) : 12044 CG (durée : 24 heures), – 08-09/10/2009 entre 1700 (le 8) et 0300 UTC (le 9) : 11714 CG (durée : 10 heures). Un quatrième événement a été étudié sur la région Sud-Est. Il s’agit du premier événement considéré comme typique du projet HyMeX. Il s’est produit entre les 6 et 8 septembre 2010 et sera nommé par la suite « cas Hymex ». En effet ce cas est particulier de par son intensité et sa dynamique. Il a également la particularité d’avoir bénéficié d’un fonctionnement du radar de Nîmes différent par rapport aux cas de 2009 de la même région (cf. section 2.3.3.2). Cet événement s’est déroulé entre 1500 (le 6) et 0430 UTC (le 8) soit une durée totale d’un peu plus de 37 heures, durant lesquelles 32405 CG ont été enregistrés dans le domaine d’étude.
Présentation des événements
La région parisienne
Les événements étudiés sur la région parisienne sont deux systèmes orageux de taille importante s’étant déroulés le 24/08/2009 et le 7/10/2009. Figure 2.1 : Images satellite infrarouges du 24/08/09 à (a) : 0800 UTC et (b) : 1400 UTC. Le 24 Août 2009, une dépression localisée au nord-est de l’Irlande (figure 2.1a) progresse vers l’est et provoque l’entrée d’un creux de pression sur l’Ouest de la France accompagné d’un front froid. A l’avant de ce front plusieurs développements de nuages instables apparaissent dans un flux de sud-ouest, favorisés par une température de surface élevée (autour de 30°C). Une forte ligne orageuse traverse le pays d’ouest en est et passe au-dessus de Paris et sa région entre 1100 et 2200 UTC (figure 2.1b). Durant ce laps de temps des cellules orageuses isolées se forment sur la région, venant s’intégrer aux systèmes déjà en place. Figure 2.2 : Images satellite infrarouges du 07/10/09 à (a) : 0000 UTC et (b) : 1800 UTC. Le 7 Octobre 2009, une zone de basse pression est localisée sur l’ouest de la France (figure 2.2a). Elle entre sur le territoire par le Golfe de Gascogne en se déplaçant vers l’est. Le front froid associé progresse dans un environnement où les températures de surface sont anormalement élevées pour la saison, favorisant ainsi plusieurs développements convectifs se dirigeant vers le nord-est. A 1500 UTC un petit groupe de cellules actives se développe à environ 350 km au sud-ouest de Paris, et vont se regrouper en un système multicellulaire traversant la région parisienne (figure 2.2b) jusqu’à 2100 UTC. Au nord-est de ce dernier un second système devient actif vers 1700 UTC et se déplace vers la Belgique par la suite.
La région Sud-Est
Les événements présentés dans la suite sont quatre cas d’étude s’étant produits dans le Sud-Est de la France : trois en 2009 et un en 2010. Les événements de l’année 2009 étudiés dans ce chapitre sont ceux du 1er au 2 août 2009, du 18 septembre 2009 et du 8 au 9 octobre 2009. Le cas Hymex est daté quant à lui du 6 au 8 septembre 2010. Le 01/08/09 une dépression est située au nord de l’Irlande. Le front froid associé traverse la France d’ouest en est en entrant par la côte Atlantique. Plusieurs développements orageux se produisent dans un premier temps sur le Sud-Ouest, avant de former un système (MCS) frontal très organisé, de grande taille et orienté nord-sud, se déplaçant vers l’est (figure 2.3a). Celui-ci entre dans le domaine d’étude à 1700 UTC le 01/08/09. Dans la nuit du 02/08/09 d’autres développements orageux se succèdent sur la région dans un flux de sud-ouest, avec notamment la formation d’un système très actif d’un point de vue électrique qui se forme au large des côtes espagnoles en fin de nuit et se développe en remontant vers Avignon en début de matinée (figure 2.3b). Figure 2.3 : Images satellite infrarouges (a) : du 01/08/09 à 0000 UTC et (b) : du 02/08/09 à 0700 UTC. Le 18/09/09 une dépression centrée sur l’Espagne se déplace vers les Landes au cours de la journée. Le front froid se déplaçant dans un flux de sud-ouest vient interagir avec l’air chaud et humide remontant de Méditerranée, donnant naissance à une succession d’événements convectifs tout au long de la journée (figure 2.4). Celle-ci fut marquée par des périodes de pluies intenses. Il a été relevé en 24 heures : 174 mm à Cogolin (dans le Var), 132 mm à Cannes (Alpes-Maritime), ou 111 mm à Porquerolles (Var). On peut également citer les 104 mm de précipitation relevés à Marignane (Bouches-du-Rhône) où de fortes rafales de vent ont été observées (112 km h-1). A titre de comparaison, la normale annuelle de hauteur de précipitation relevée à cette station est d’environ 555 mm. Le 8/10/09 une zone de basses pressions se trouve sur l’Atlantique avec un thalweg bien prononcé. Son entrée sur le continent provoque dans un premier temps la formation de plusieurs systèmes convectifs le long de la côte Atlantique qui s’enfoncent ensuite dans les terres dans un flux d’ouest. L’un des systèmes s’organise et grossit. Son arrivée dans le Chapitre 2 50 domaine d’étude (à partir de 1800 UTC) est précédée par le développement de quelques phénomènes convectifs isolés autour de Nîmes (figure 2.5a). Mais ceux-ci sont incorporés au système venant de l’ouest, pour ne former qu’un seul système nuageux de type MCS en forme de V (figure 2.5b) traversant la région d’ouest en est (en s’enroulant sur lui-même) qui se dissipe aux alentours de 0300 UTC le 09/10/09. Cet événement a notamment engendré la chute de 57 mm d’eau en 3 heures à Montpellier. Sur 24 heures, il a également été enregistré 105 mm de précipitation à Villeneuve-les-Maguelone (au sud-ouest de Montpellier), alors que la normale annuelle de hauteur de précipitation relevée à Montpellier est de 655 mm.
1 DE LA FORMATION DU NUAGE A LA PRODUCTION D’ECLAIRS EN PASSANT PAR L’OBSERVATION |