Action spectrale en géométrie non commutative et calcul pseudodifférentiel global
Action spectrale sur le tore non commutatif
Dans [60], l’action spectrale sur le tore non commutatif a été calculée pour les opérateurs du type D+A et du type DA dans [62]. Il apparaît que l’implémentation de la structure réelle via J, ne change pas l’action spectrale, à un coefficient multiplicatif global près, lorsque la dimension du tore est égale à 4. Ici nous montrons que ceci peut être obtenu directement par l’analyse de Chamseddine–Connes [22]. Rappelons que S(DA, Φ,Λ) = X 0<k∈Sd+ Φk Λ k Z − |DA| −k + Φ(0) ζDA (0) + O(Λ−1 ) où DA = DA + PA, PA la projection sur Ker DA, Φk = 1 2 R ∞ 0 Φ(t)t k/2−1 dt et Sd+ est la partie strictement positive du spectre de dimenstion de (A, H, D). Dans la section 2, les points techniques vu précédemment au chapitre 1 seront utilisés pour calculer les termes de (1.6) et (1.11) sur le tore non commutatif. La plupart de ces termes sont basés sur des résidus de certaines fonctions zêta et de séries de fonctions zêta qui ont été étudiés au chapitre précédent. Nous montrons en particulier que les tadpoles s’annulent toujours sur le tore non commutatif. L’action spectrale est obtenue en section 3 et nous conjecturons que l’action spectrale non commutative pour toute dimension associée à DA est propotionnelle à l’action spectrale de D+A sur le tore commutatif, ce qui est constaté en dimension inférieure à 4. Tous ces résultats sur l’action spectrale ont une importance en physique, et plus particulièrement en théorie quantique des champs et en physique des particules, où l’on ajoute à l’action effective certains contre-termes explicitement donnés par (1.11) [17, 21, 22, 24, 58, 60, 62, 66, 93, 135, 142–144].
Le tore non commutatif
Notations
Soit C∞(TnΘ ) le tore non commutatif de dimension n associé à une matrice antisymétriquenon nulle de déformation Θ ∈ Mn(R) (voir [26], [115]).Ceci signifie que C∞(TnΘ ) est l’algèbregénérée par n unitaries ui, i = 1, . . . , n assujettis aux relationsui uj = eiΘij uj ui, (3.1)et avec coefficients de Schwartz: un element a ∈ C∞(TnΘ ) peut être écrit de la façon suivantea =Pk∈Zn ak Uk, où {ak} ∈ S(Zn) avec les éléments de Weyl Uk := e− i2k.χk uk11· · uknn, k ∈ ZnLa relation (3.1) donneUkUq = e− i2k.Θq Uk+q, et UkUq = e−ik.Θq UqUk (3.2)où χ est la restriction de Θ à sa partie triangulaire supérieure. Ainsi, les opérateurs unitaires Uksatisfont U∗k = U−k et [Uk, Ul] = −2isin( 12k.Θl)Uk+lSoit τ la trace sur C∞(TnΘ ) définie par τ
Cette thèse constitue un recueil des travaux de recherche que j’ai effectués ces trois dernières années en collaboration avec Driss Essouabri, Bruno Iochum et Andrzej Sitarz. La géométrie non commutative est un vaste domaine des mathématiques dont l’objet est la généralisation de l’ensemble des concepts apparaissant en géométrie classique. Plus particulièrement, à l’aide d’un formalisme issu de l’analyse fonctionnelle, de la théorie des algèbres d’opérateurs, de la théorie spectrale et de la géométrie spinorielle, la géométrie non commutative généralise notamment les concepts d’espace topologique localement compact, de variété riemannienne orientée compacte à spin et les calculs différentiels et intégraux de la géométrie différentielle. Au-delà de l’intérêt purement mathématique de la géométrie non commutative, il existe des motivations physiques profondes qui poussent les physiciens théoriciens à utiliser ces concepts pour décrire les éléments fondamentaux de la physique (l’espace-temps et les champs). Plus spécifiquement, la géométrie non commutative apparaît comme un cadre mathématique particulièrement adapté à la formulation des concepts quantiques et des processus de quantification. Il est possible de considérer que la géométrie non commutative (ou tout au moins sa composante topologique) est née lorsqu’a été établi le théorème suivant (premier théorème de Gelfand– Naimark) : toute C ∗ -algèbre commutative unifère est isométriquement isomorphe à la C ∗ -algèbre des fonctions continues sur un compact, à savoir l’espace des caractères sur l’algèbre. Étant donné que toute l’information topologique d’un espace est contenue dans l’ensemble des fonctions continues sur cet espace, on peut constater que la notion de C ∗ -algèbre unifère permet de généraliser la notion d’espace topologique compact. La généralisation non commutative nous fait donc changer de point de vue : ce n’est plus l’ensemble des points (l’espace topologique) qui est fondamental, mais plutôt l’ensemble des fonctions sur l’ensemble des points. Ce théorème de Gelfand–Naimark a été le point de départ de la géométrie non commutative
À partir de ce résultat fondamental, il a été possible d’étendre la généralisation au-delà des concepts purement topologiques et de construire une véritable géométrie riemannienne non commutative avec ses propres versions non commutatives des notions classiques de calcul différentiel, de calcul intégral, de fibré vectoriel, de mesure, de variétés riemanniennes à spin, etc. Ce travail colossal a été réalisé principalement par Alain Connes [26–30]. Les deux aspects de la géométrie non commutative (non-commutativité et « perte » de la notion de point) ne sont pas sans rappeler la structure fondamentale de la physique quantique. En effet, en physique quantique, les observables ne commutent pas forcément et l’évaluation f(x) d’une observable f en un point x, n’est pas définie. En revanche, la notion d’observable existe toujours 10 et x(f) a un sens, pourvu que x soit un état, c’est à dire l’équivalent non commutatif du caractère (du point) pouvant évaluer les observables f. Cette ressemblance frappante entre la géométrie non commutative et la structure de la physique quantique n’est pas anodine et constitue même la source principale qui a motivé le développement de la géométrie non commutative et son application en physique. En particulier, la géométrie non commutative fournit les concepts permettant d’appliquer l’idée fondamentale de la non-commutativité des observables à l’espace-temps lui-même, donnant par là même une de ses motivations fondamentales à la physique. Les deux théories des interactions fondamentales, à savoir la théorie quantique des champs (modèle standard) pour les interactions électrofaibles et fortes, et la relativité générale pour l’interaction gravitationnelle, n’utilisent pas le même formalisme (la première est quantique, la seconde est classique) et ne voient pas l’espace-temps de la même façon (celui-ci est fixe et minkowskien pour la première, et dynamique pour la seconde). Ces différences fondamentales ne sont pas gênantes pour l’étude des phénomènes favorisant l’interaction gravitationnelle devant les autres ou réciproquement, car ces théories ont chacune un grand succès expérimental dans leur domaine d’application. Cependant, pour l’étude des phénomènes mettant manifestement en jeu toutes les interactions (objets compacts, trous noirs, big-bang), il est nécessaire de rendre compatible ces deux théories, et de les réunir sous un même formalisme. L’idée généralement poursuivie par les théoriciens consiste à généraliser le formalisme de la théorie quantique des champs à la gravitation, autrement dit, réaliser une gravitation quantique. La poursuite de cet objectif s’est développée à travers plusieurs approches différentes, dont notamment la théorie des cordes, qui utilise une augmentation du nombre de dimensions, dont certaines sont compactifiées, et la théorie de la gravité quantique à boucle, qui utilise une structure en “spin foam” pour l’espace-temps sans utiliser de métrique spatio-temporelle en “background” comme le fait la théorie des cordes. Aucune de ces théories n’a reçu de confirmation expérimentale, les prédictions théoriques étant elles-mêmes difficiles. L’approche suggérée par la géométrie non commutative consiste à utiliser une généralisation non commutative de la variété lorentzienne modélisant l’espace-temps. En introduisant la noncommutativité au niveau même de la structure de l’espace-temps, cette approche permet d’appréhender l’impossibilité de la continuité de l’espace-temps suggérée par la mécanique quantique et la limite intrinsèque que constitue la longueur de Planck lp = q G~ c 3 ≈ 10−33 cm. Cette approche a notamment permis d’unifier, au niveau classique, les trois interactions du modèle standard avec la gravitation, et d’interpréter géométriquement le mécanisme de Higgs en physique des particules. L’objet central dans l’interface entre la GNC et la physique fondamentale est celui de triplet spectral, généralisation non commutative de la notion de variété riemannienne à spin, point de départ naturel pour l’élaboration de théories physiques. En considérant un triplet spectral dit “presque commutatif”, c’est-à-dire un produit d’un triplet spectral commutatif (variété riemannienne compacte, modélisant l’espace-temps “continu”) avec un triplet spectral de dimension nulle (une algèbre matricielle), on peut, à l’aide d’une fonctionnelle d’action particulière sur le produit obtenu, appelée action spectrale de Chamseddine–Connes, retrouver le modèle standard et la relativité générale. Plus précisément, l’action spectrale S = Tr Φ(D/Λ) permet d’unifier au niveau classique les interactions électro-faible, forte et gravitationnelle . Elle est définie à partir du spectre d’un opérateur de Dirac D et correspond au nombre des valeurs propres de l’opérateur de Dirac inférieures ou égales à une certaine échelle de masse Λ. En procé- INTRODUCTION 11 dant à une fluctuation de la métrique, c’est-à-dire, au niveau algébrique, à une transformation de jauge généralisée au groupe des unitaires de l’algèbre du triplet spectral, il est possible d’obtenir le Lagrangien du modèle standard couplé au Lagrangien gravitationnel d’Einstein–Hilbert, en développant cette fonctionnelle d’action en puissances de Λ. Dans cette thèse, nous nous sommes intéressés à certaines questions mathématiques associées au calcul d’action spectrale sur certains espaces non commutatifs tels que le tore non commutatif et la 3-sphère non commutative SUq(2). Nous nous sommes aussi intéressés à l’existence de tadpoles (termes linéaires associés au potentiel A de la fluctuation métrique dans l’action spectrale) dans le cas de géométries riemanniennes commutatives et à la construction d’un calcul symbolique global générant un produit de Wey–Moyal sur les sections rapidement décroissantes d’un fibré d’une variété avec linéarisation. Dans tous ces travaux, l’outil fondamental a été le calcul pseudodifférentiel, qu’il soit abstrait (sur un triplet spectral quelconque), ou symbolique (sur les variétés). Cette thèse est divisée en six parties. Voici un résumé de chacune de ces parties : 1. Action spectrale sur triplets spectraux Ce chapitre, ainsi que les deux chapitres suivant, a fait l’objet de la publication Spectral action on noncommutative torus [53], qui est un travail en collaboration avec Driss Essouabri, Bruno Iochum et Andrzej Sitarz. Un triplet spectral est la donnée d’une algèbre involutive A représentée fidèlement par des opérateurs bornés sur un espace de Hilbert H et d’un opérateur autoadjoint D sur H à résolvante compacte. On demande d’autre part que les commutateurs de [D, A] soient bornés. Afin de pouvoir construire un calcul pseudodifférentiel et une théorie de champ non commutative, il est utile d’introduire des hypothèses supplémentaires sur le triplet (A, H, D). On dit notamment que le triplet est de dimension n si les valeurs singulières (λj )j de l’opérateur D sont du type λj = O(j −1/n) et qu’il est régulier si A et [D, A] sont dans ∩k Dom δ k , où δ(T) := [|D|, T] (c’est à dire, qu’il est possible de “dériver” tout élément de l’algèbre). Afin d’avoir une théorie contenant un opérateur de conjugaison de charge, il est nécessaire d’introduire une notion de structure réelle sur le triplet spectral: il s’agit d’un opérateur anti-unitaire J qui commute ou anticommute avec D, selon la dimension du triplet: DJ = εJD, avec ε ∈ { 0, 1 }. Dans cet environnement, les bosons de jauge sont vus comme des fluctuations internes de l’opérateur de Dirac (c’est-à-dire, au niveau classique, de la métrique): D → DA := D + A + εJAJ−1 , où ici A est une 1-forme autoadjointe, c’est à dire une combinaison linéaire d’opérateurs du type a[D, b], où a et b sont des éléments de l’algèbre A. Étant donné un triplet régulier (A, H, D) avec structure réelle J, un point fondamental pour faire le lien avec la physique, est d’obtenir une fonctionnelle d’action. Le principe de l’action spectrale de A. Chamseddine et A. Connes dit que la fonctionnelle suivante S(DA, Φ,Λ) := Tr
Prolongements holomorphes et résidus de séries de fonctions zêta
Le calcul des intégrales non commutatives précédentes fait intervenir des termes du type JAJ−1 . Il en résulte que nous sommes amenés à étudier, sur le tore, des résidus de séries de fonctions zêta pondérées par des suites rapidement décroissantes et faisant intervenir une phase dépendante de la pondération. Plus précisément, nous avons à étudier du point de vue de l’analyse complexe, les fonctions du type g(s) := X l∈(Zn) q b(l) fΘ Pq i=1 εili (s) où εi ∈ { −1, 1 }, b ∈ S((Z n ) q ), fa(s) := P0 k∈Zn P(k) |k| s e 2πik.a , a ∈ R n et P un polynôme homogène de degré d. Il apparaît alors que nous pouvons connaitre précisément les pôles de ces fonctions et calculer précisément les résidus correspondants si nous faisons une hypothèse reliée à la théorie de l’approximation diophantienne sur la matrice de déformation Θ. Plus exactement, on établit que si 1 2πΘ est une matrice diophantienne, la fonction précédente g est méromorphe sur C, avec au plus un pôle simple en s = d + n. Le résidu en ce pôle est (Théorème 2.2.2) Res s=d+n g(s) = X l∈(Zn) q b(l) Res s=d+n fΘ Pq i=1 εili (s) =
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