Acquisition des bactéries multirésistantes en
réanimation
RÉSULTATS
Sur une période d’étude de deux ans, 994 patients étaient éligibles. 266 patients ont été exclus tel que le décrit le diagramme de flux des patients (Figure 1). Parmi les 728 patients restant, 9 ont été exclus de l’analyse en raison de l’acquisition d’une BMR avant l’admission en réanimation, et 11 patients ont été exclus en raison de l’administration d’une antibiothérapie inadéquate durant leur séjour en réanimation. 708 patients ont finalement été inclus dans l’analyse. Parmi eux, 88 patients étaient porteurs d’au moins une BMR (colonisation ou infection) et 620 patients n’ont jamais présenté ni colonisation ni infection à BMR durant leur séjour en réanimation. Analyse descriptive L’analyse descriptive de la population générale ainsi que les caractéristiques des groupes BMR et contrôle sont présentés en table 1. Concernant le groupe BMR, 75 % des patients étaient colonisés et 37.5 % étaient infectés. Les BMR isolées étaient dans la très grande majorité des cas de type MDR (95.5 %). Le délai moyen d’acquisition des BMR était de 8.1 (± 10.4) jours. Au niveau de la population générale, le taux de mortalité à J60 était de 24.2 % (22.4 % dans le groupe contrôle vs. 36.4 % dans le groupe BMR, p = 0.006). Les courbes de survie de KaplanMeier sont représentées en figure 2. Le nombre moyen d’IFD-28 dans la population générale était de 16 (± 10.5) jours. Le nombre d’IFD-28 était de 17.3 (± 10) jours dans le groupe contrôle, 7.1 (± 9.5) jours dans le groupe BMR (p < 0.001). Le nombre moyen de HFD-60 dans la population générale était de 26.6 (± 21.4) jours. Le nombre de HFD-60 était de 28.8 (± 21.1) jours dans le groupe contrôle, 11.3 (± 17.6) jours dans le groupe BMR (p < 0.001). 10 Analyse du score de propension Sur les 88 patients du groupe BMR, 72 ont été appariés avec 127 patients du groupe contrôle. Les résultats sont présentés en table 2. Aucune différence significative entre les deux groupes n’a été retrouvé pour le critère de jugement principal, avec un taux de mortalité à J60 de 30.7 % dans le groupe contrôle contre 43.1 % dans le groupe BMR (p = 0.11). Les courbes de survie de Kaplan-Meier sont représentées en figure 3. Le nombre d’IFD-28 n’était statistiquement pas différent entre les deux groupes : il était de 10.6 (± 9.8) jours dans le groupe contrôle vs. 8.7 (± 9.8) jours pour le Groupe BMR (p = 0.193). Cependant, nous avons retrouvé un nombre de HFD-60 statistiquement plus élevé dans le groupe contrôle (20.9 (± 20.3) jours vs. 13.4 (± 18.6) jours dans le Groupe BMR, p = 0.01). Analyse multivariée L’ensemble de la population a été inclue dans cette analyse (n = 708). Les résultats sont présentés en table 3. Indépendamment des autres facteurs analysés, le portage de BMR n’était pas associé à une surmortalité à J60 (OR = 1.58, IC 95% = 0.93-2.63 ; p = 0.08), tout comme le sexe masculin et l’admission en réanimation pour un traumatisme grave. Le score de Charlson était associé à une surmortalité à J60 (OR = 1.21, IC 95% = 1.12-1.31; p < 0.001). La présence d’une infection n’était statistiquement pas associée à une hausse de la mortalité à J60 (OR = 1.38, IC 95% = 0.93-2.04 ; p = 0.11). 11 Analyse en sous-groupes Sur les 708 patients de la population générale, 270 ont présenté au moins un épisode d’infection ayant été traité par une antibiothérapie adéquate. Parmi les 69 patients du groupe BMR, 60 ont été appariés avec 101 patients du groupe contrôle. Les résultats sont présentés en table 4. Les infections pulmonaires étaient en cause dans près de la moitié des épisodes infectieux (48.9 %), suivies par les infections intra-abdominales (24.5 %) et les infections urinaires (10.4 %) [Annexe B]. Dans ce sous-groupe de patients infectés, la mortalité à J60 était significativement plus élevée dans le groupe BMR avec un taux à 43.3 % contre 23.8 % dans le groupe contrôle (p = 0.016). Le nombre d’IFD-28 était statistiquement différent entre les deux groupes (10.4 (± 9.5) jours dans le groupe contrôle vs. 5.8 (± 8.6) jours dans le groupe BMR (p = 0.003), tout comme le nombre de HFD-60 (18.8 (± 18.4) jours dans le groupe contrôle vs. 10.7 (± 16.6) jours dans le groupe BMR, p =0.006). 12
DISCUSSION
Notre travail ne retrouve pas d’association entre le portage de BMR et une surmortalité à J60. Nos résultats ont été appariés sur le score de Charlson afin de nous affranchir d’un certain nombre de facteurs de risque, tels que l’âge et les comorbidités, potentiellement associés à une plus grande fragilité des patients et à un plus haut risque de mortalité. En effet, le risque de colonisation et d’infection à BMR est majoré chez les patients âgés et fragiles.(15) Les comorbidités et les antécédents expliqueraient probablement la surmortalité associée au portage de BMR observée dans certaines études.(3) Flaatten et al., dans une récente étude prospective internationale, ont mis en évidence une association indépendante entre la fragilité des patients admis en réanimation et la survie à 30 jours.(16) Une méta-analyse traitant de 10 études confirme ces résultats ; la fragilité était associé dans ce travail à une surmortalité en réanimation (OR = 1.53, IC 95% = 1.4-1.68 ; I² = 0%).(17) Cependant, d’après nos résultats, la durée de séjour en réanimation, et de manière générale, la durée de séjour intra-hospitalière semblent être influencée par le portage de BMR ; ces résultats soulignent l’importance de ce problème qui est à prendre en considération dans notre pratique quotidienne. Les résultats de notre travail sont en accord avec la littérature scientifique récente. Un essai prospectif français a récemment montré que l’acquisition d’une BMR n’était pas associé à une surmortalité en réanimation.(18) Dans une revue de littérature concernant 24 études menées en réanimation, Paramythiotou et al. ne purent conclure quant à une association directe entre les infection causées par des BMR à Gram négatif et une surmortalité.(19) De la même manière, Denis et al. n’ont pas retrouvé de surmortalité à 30 jours chez les patients hospitalisés en réanimation pour des pneumonies acquises sous ventilation mécanique documentées à Pseudomonas aeruginosa multirésistant.(20) Dans un large essai prospectif européen sur 119 699 patients, Lambert et al. montrèrent que le profil de résistance aux antibiotiques 13 n’engendrait pas de surmortalité en réanimation.(6) En outre, dans une étude rétrospective sur 666 patients longuement hospitalisés en réanimation en raison d’un sevrage ventilatoire compliqué, l’infection à BMR était associée à une plus longue durée de séjour, mais il n’y avait cependant pas de surmortalité observée.(7) Les données scientifiques récentes mettent en évidence, chez les patients colonisés à BMR, un risque majoré d’infection à BMR durant leur séjour en réanimation.(21–23) L’étude MOSARICU a également démontré que, chez des patients récemment hospitalisés en réanimation et colonisés à BMR, près de 50 % d’entre eux étaient toujours colonisés lors de leur réadmission à deux mois du premier séjour.(24) Dans ce travail, la durée médiane de colonisation était de 4.8 mois.(24) La recherche d’une colonisation à BMR doit donc être systématiquement effectuée à l’admission du patient et régulièrement répétée au cours du séjour en réanimation. L’antibiothérapie est la pierre angulaire de la prise en charge du sepsis et du choc septique.(25) Les patients développant une infection à BMR reçoivent plus souvent une antibiothérapie empirique inadéquate.(2) Dans une étude rétrospective multicentrique française, les pneumonies acquises en réanimation documentées à BMR engendraient une surmortalité de 10 % comparées aux pneumonies causées par des bactéries de type sauvage.(26) L’adéquation de l’antibiothérapie n’avait cependant pas été évaluée dans ce travail.(26) Dans notre étude, l’administration d’une antibiothérapie adéquate était l’un des critères d’inclusion ; par conséquent, nos résultats n’ont pas été affectés par cette variable. Notre travail présente un certain nombre de limites. Premièrement, il s’agissait d’une étude rétrospective, observationnelle, menée dans un seul service de réanimation. Les résultats ont donc été inéluctablement affectés par un manque de puissance en lien avec le design de notre étude. Deuxièmement, la recherche d’une colonisation à BMR par écouvillon rectal a plus fréquemment été effectuée dans le groupe BMR (3 vs. 1.3, p < 0.001), les patients de ce groupe ayant des durées de séjour plus longues que dans le groupe contrôle. Troisièmement, l’âge 14 moyen de nos patients était de 54 ans, et plus de 40 % de la population étudiée avait été admise pour un traumatisme grave. Par conséquents, nos résultats ne sont pas représentatifs d’une population classique de réanimation. Enfin, les limitations et arrêts des thérapeutiques ont plus souvent été formalisées chez les patients du groupe BMR (13.5 % vs. 28.4 %, p < 0.001) ; ce paramètre a potentiellement influencé nos résultats. Malgré ce probable biais, la mortalité à J60 n’était statistiquement pas différente entre les deux groupes.
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