Les besoins de l’enfant de 2 ans allophone et/ou multilingue
Dans ce mémoire, nous utilisons les termes : allophone, multilingue, plurilingue. Au cours de nos lectures, nous avons vu que ces trois termes étaient tour à tour employés pour désigner des enfants qui parlent plusieurs langues, des enfants issus de familles qui parlent une ou plusieurs langues étrangères à celle du pays de scolarisation ou encore des enfants issus de l’immigration. Afin de savoir exactement de quoi nous parlons, nous allons définir plus précisément chacun de ces concepts.
Pour Helot « le terme plurilingue fait référence à la coexistence de plusieurs langues au sein d’une société ou d’un groupe. » Il fait référence au contexte social, au contact de plusieurs langues dans le même espace classe. «Le terme multilingue qualifie la connaissance multiple de langues par un même individu.» Le contexte est ici individuel, on considère l’enfant et ses connaissances personnelles.
Le Casnav (Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage) donne sa définition d’un élève allophone : « C’est un élève qui parle une autre langue que le français lorsqu’il arrive en France. » Ce terme est positif, contrairement à son prédécesseur « non francophone ». «Cette nomination présuppose des compétences dans des langues autre que le français» .
Notre étude concerne les enfants allophones et/ou multilingues, car nous accueillons des enfants migrants ou issus de l’immigration, avec un bagage langagier très divers. Si nous n’avions choisi que les enfants allophones, nous aurions écarté les enfants à qui l’on parle plusieurs langues à la maison dont le français. Si nous n’avions choisi que le terme multilingue, nous aurions écarté les enfants allophones monolingues.
La langue et le méta-besoin affectif
En quoi la langue du tout petit allophone et/ou multilingue est-elle liée au méta-besoin affectif ? De manière générale, Giampino explique que «le sentiment de sécurité libère la pensée et soutient les progrès tandis que le sentiment d’insécurité affective fige et provoque parfois la régression». Beaucoup de chercheurs ont observé les effets négatifs sur le plan affectif de la coupure avec la langue maternelle. Pour Krüger et al (2016), l’entrée à l’école maternelle va constituer une « double rupture » pour les enfants de migrants, par « la perte de repères sonores et linguistiques » . Dans Enfance et psy , Perrenoud explique que « certains troubles de l’apprentissage ne sont pas dus à des manques intellectuels ou culturels, mais à des conflits de loyauté ». Parmi les vulnérabilités spécifiques de l’enfant de migrant, on trouve l’entrée à l’école. Pour cet enfant, passer d’une langue à une autre, c’est procéder à une négociation entre deux univers. Il arrive alors que l’enfant refuse de parler la langue familiale. Il s’agit d’«un processus de l’ordre du déni lié à un interdit internalisé». À l’école, l’enfant devant taire sa langue maternelle, il peut avoir un sentiment de honte à parler sa langue. Ou inversement, parfois l’enfant s’interdit de parler la langue de l’école. Ce cas particulier de mutisme sélectif n’est pas rare. Il est rapporté dans beaucoup d’ouvrages scientifiques : « si elle [la biographie langagière de l’enfant] est passée sous silence, peut occasionner à l’école le fréquent diagnostique de mutisme » , « une prévalence accrue des troubles de la relation (mutisme, troubles du spectre autistique…) dans des situations de « perte du bain linguistique et culturel originel » » , « taire la langue de sa famille est souvent synonyme de se taire tout court » .
L’évolution des textes de l’Éducation Nationale au sujet des langues maternelles étrangères
Les langues régionales : Les lois autour de la présence ou non d’autres langues que le français à l’école a commencé avec les langues régionales.
Dans les années 1880, une série de mesures a affaibli les langues régionales de France. Les enfants, «coupables» de s’exprimer à l’école dans une autre langue que le français, étaient sévèrement punis. Cet usage imposé de la langue française avait alors pour objectif d’élever le niveau d’éducation et d’instruction de la population. En 1950, la loi Falloux instaura le français comme seule langue en usage à l’école. L’objectif était de centrer une langue commune à la nation, fédératrice et rendant les échanges possibles entre tous les habitants.
Depuis 1992, le français est l’unique langue officielle en France. On peut dire que la politique linguistique française repose sur un monolinguisme d’État. Cependant, depuis les années 1950, plusieurs lois ont été votées en faveur du retour des langues régionales. En 1951, la loi Deixonne a permis l’enseignement de quatre langues régionales dans le secondaire. En 1992, lors de la création de l’Union Européenne, le Conseil de l’Europe a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires qui proclame « le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale dans la vie privée et publique ». En 1994, la loi Toubon reconnaît l’usage des langues régionales dans l’enseignement.
Les langues de l’immigration : Parallèlement, les textes ont aussi évolué en ce qui concerne les langues de l’immigration.
En 1978, dans la Circulaire n° 78-238, il est préconisé « la prise en compte des langues et des cultures des nations étrangères ». L’Éducation Nationale essaye d’offrir aux enfants de migrants, de meilleures conditions d’insertion dans l’école et dans la société française et la possibilité de se réadapter, le cas échéant, à leur pays d’origine. De cette circulaire ont été créés, en 1979, les ELCO (Enseignement des Langues et Cultures d’Origine). « Ils sont mis en œuvre sur la base d’accords bilatéraux visant à la scolarisation des enfants des travailleurs migrants, en vue de promouvoir, un enseignement de la langue maternelle et de la culture du pays d’origine en faveur des enfants » (Directive européenne du 25 juillet 1977).
En 2002, le Bulletin Officiel n°1 des Programmes de l’Éducation Nationale dément toute théorie de handicap lié au plurilinguisme : « l’accès au langage dans une situation de plurilinguisme n’est pas en soi un handicap ou une difficulté. L’école doit jouer un rôle équilibrant et montrer que, si le français est la langue qu’on y utilise, cela ne signifie pas que parler une autre langue dans le milieu familial soit un signe de relégation culturelle ». Dans le cas de difficultés rencontrées par les enfants, c’est aux enseignants de «trouver un moyen de renforcer la langue maternelle» , et non pas de demander à l’enfant de l’abandonner.
Le 7 février 2006, le Rapport Commission de la culture, de la science et de l’éducation recommande de «favoriser le développement de répertoires enfantins plurilingues et soutenir de façon consistante toutes les langues du répertoire enfantin» et de « proposer, chaque fois que cela est possible un soutien fort dans la langue maternelle aux enfants dont celle-ci n’est pas la langue officielle de l’état » .
En 2013, avec la loi n° 2013-595, l’intérêt de l’ouverture à la langue maternelle étrangère à l’école n’est plus uniquement à destination de l’enfant d’immigré, mais pour tous. «Outre les enseignements de langues qui leur sont dispensés, les élèves peuvent bénéficier d’une initiation à la diversité linguistique. Les langues parlées au sein des familles peuvent être utilisées à cette fin». La langue maternelle étrangère est considérée comme un atout pour accéder à une richesse linguistique partagée par tous. Cette orientation politique est essentielle car comme le souligne Hélot , en France, «des élèves monolingues et multilingues se côtoient de plus en plus fréquemment dans les classes».
Actions pédagogiques innovantes d’éveil aux langues
L’approche Éveil aux langues est apparue en 1984 en Grande-Bretagne. Elle a été créée par Eric Hawkins pour favoriser, chez les écoliers anglais, le passage de leur langue maternelle à l’apprentissage de la langue de scolarisation, ainsi que la reconnaissance et l’enseignement des langues des élèves issus des minorités linguistiques.
Dans les mêmes années, en Suisse, Eddy Roulet a élaboré « un cadre théorique afin de rapprocher les pédagogies des langues maternelle et secondes, et de permettre aux élèves de mieux comprendre, à travers la diversité des langues, le fonctionnement du langage ». Cette approche a été baptisée éveil aux langues dans les années 1990 et a donné naissance aux approches didactiques EOLE (Éveil au langage et Ouverture aux Langues de l’École). En 2002, un projet d’éveil aux langues nommé ELODIL (Éveil au Langage et Ouverture à la Diversité Linguistique) a été créé au Québec à partir de ces avancées européennes. Sur le site d’ELODIL, il est expliqué, qu’il s’adresse à « tous ceux et celles qui souhaitent développer les compétences interculturelles et les compétences langagières de leurs élèves, notamment dans des milieux défavorisés, que le français soit leur langue maternelle, leur langue seconde ou encore leur langue tierce ». L’éveil aux langues, initialement destiné uniquement aux élèves dont la langue maternelle n’est pas la langue du pays de scolarisation, est désormais dispensée à tous.
Mise en place et principes pédagogiques : L’approche pédagogique de l’éveil aux langues est apparue dans le champ scolaire, car « c’est tout d’abord dans l’espace de la classe elle-même que les élèves peuvent rencontrer la diversité ». C’est une démarche qui « ne demande pas une formation aussi lourde que celle qui est nécessaire à une mise en œuvre efficace de l’enseignement des langues étrangères […] Les enseignants n’ont pas besoin d’être experts ». En effet, ils vont pouvoir se baser sur les savoirs des élèves et des parents. Elle est centrée sur la diversité linguistique prise comme matériau didactique. La didactique de cette approche correspond à l’âge des enfants, l’apprentissage se faisant de façon naturelle l’accueil et la légitimation des langues de tous les élèves. la prise de conscience du rôle social et identitaire du français / langue commune. le développement d’une prise de conscience du plurilinguisme de l’environnement proche ou lointain.
la structuration des connaissances linguistiques des élèves par la prise en compte de diverses langues présentes ou non dans la classe; le développement de la réflexion sur le langage et les langues et sur les habiletés métalinguistiques; le développement d’une perspective comparative, fondée sur « l’altérité linguistique » et qui permet de mieux connaître une langue (par exemple le français) à travers l’apprentissage d’autres langues.
le développement de la curiosité des élèves dans la découverte du fonctionnement d’autres langues (et de la / des sienne(s)), de leur capacité d’écoute et d’attention pour reconnaître des langues peu familières, de leurs capacités de discrimination auditive et visuelle, de comparaison, etc.
l’apprentissage d’une méthodologie de recherche concernant la compréhension du fonctionnement des langues, de leur rôle, de leur évolution et de leur histoire. le développement de stratégies pour la compréhension des langues de mêmes familles. le développement d’une socialisation plurilingue. le développement d’une « culture langagière « .
et peu formalisée. On parle de sensibilisation et non pas d’éducation aux langues. « La démarche prime sur les contenus » . Pourtant, nous verrons que l’éveil aux langues participe au processus d’apprentissage des langues y compris celui de la langue de scolarisation. Il s’agit d’accueillir mais aussi de légitimer les langues de tous les élèves. « Le bilinguisme et le multilinguisme sont considérés comme une ressource, comme un apport positif à la vie de la classe, alors qu’auparavant ils étaient perçus comme un handicap pour l’apprentissage du français » .
Définition du lien parents/enseignants
Au cours de nos lectures scientifiques et institutionnelles, nous avons constaté que les termes collaboration, partenariat, coopération et coéducation sont utilisés dès lors que sont évoqués les liens entre les parents et les professionnels de l’éducation. Il convient de définir plus précisément ces termes afin de connaître la qualité du lien que nous souhaitons développer dans notre recherche : La collaboration est « la mise en commun des ressources et des savoir-faire des personnes, mais sans partage de la décision » .
Le partenariat est une « forme contractuelle de collaboration économique et sociale, il implique de manière générale des partenaires de statut plus ou moins différent qui décident de mettre en commun leurs ressources et de partager risques et bénéfices dans la poursuite d’objectifs communs.» Nous voyons ici que le terme partenariat met en avant une relation plus quantitative que qualitative.
Le concept de la coopération est le terme générique recouvrant les niveaux différents de rapport à l’autre. Co-opérer, c’est agir ensemble, participer à une œuvre, à un projet commun. La coopération est la capacité de collaborer à cette action commune ainsi que les liens qui se tissent pour la réaliser.
Pour Prévôt « la coéducation représente le partage des responsabilités éducatives entre la famille et les autres éducateurs (réels ou potentiels) de l’enfant.
L’éducation relève de la responsabilité de tous les éducateurs de l’enfant ». Dans cette approche, «les pratiques et les modèles éducatifs introduits ne doivent pas être forcément identiques, ils peuvent être différents, complémentaires, le tout est qu’ils soient discutés et cohérents pour l’enfant, permettant à ce dernier de construire son identité» . Le terme de coéducation établit une relation entre l’enseignant et les parents ayant pour objectif le bon développement de l’enfant. À la lumière des concepts ainsi définis, nous pouvons dire que deux termes peuvent définir le lien parents/enseignants : coopération et coéducation. Nous apprécions le terme coopération pour la prise en considération des liens qui se tissent. Cependant, nous conserverons le terme coéducation qui recouvre toutes les dimensions du travailler ensemble entre les acteurs éducatifs, mais dans l’intérêt supérieur de l’enfant. La coéducation «signifie qu’il y a des liens à faire entre l’éducation familiale et les éducations institutionnelles (crèche, maternelle, l’école en général)». Effectivement, dans coéducation, il y a le terme éducation. Il s’agit d’éduquer ensemble. Mais que veut dire éduquer ?
Pourquoi la coéducation favorise la réussite scolaire
La coéducation est de plus en plus présente dans les programmes de l’Éducation Nationale, car elle est importante pour la réussite scolaire des élèves. Le rapport sur l’école maternelle de l’Inspection générale de l’éducation nationale et de l’Inspection de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche est de ce point de vue sans concession. Parmi les préconisations défendues dans ce rapport, il est fait état de la nécessaire relation famille-école et de l’importance de favoriser l’implication des parents dans le processus éducatif. L’articulation entre éducation familiale et éducation scolaire représente un défi majeur pour lutter contre les inégalités sociales et favoriser ainsi la réussite des élèves. En effet, les études menées par l’OCDE (d’après le rapport PISA de 2012), expliquent que c’est le développement de la coéducation parents-enseignant qui conduit à une plus grande implication des parents dans la scolarité de leurs enfants. Ceci a pour conséquence une attitude des élèves plus positive à l’égard de l’école et de meilleurs résultats scolaires.
De nombreuses études scientifiques vont dans le même sens en montrant que l’implication des parents dans la vie scolaire de l’enfant est un facteur déterminant de la réussite des élèves.
Table des matières
INTRODUCTION
I) Du thème au sujet
I.1) Contexte de la recherche
I.1.1) Le constat de départ
I.1.2) L’actualité du sujet
I.1.3) Du thème au sujet
I.2) Problématique et hypothèses
I.2.1) Problématique
I.2.2) Hypothèses
II) Cadre théorique
II.1) Le développement harmonieux de l’enfant
II.1.1) Les besoins de l’enfant de 2 ans
II.1.2) Les besoins de l’enfant de 2 ans allophone et/ou multilingue
II.1.3) La langue et le méta-besoin affectif
II.2) Acquisition d’une langue seconde, développement de l’enfant et apprentissages
II.2.1) L’évolution des textes de l’Éducation Nationale au sujet des langues maternelles étrangères
II.2.2) Langue d’acquisition et développement de l’enfant
II.2.3) Actions pédagogiques innovantes d’éveil aux langues
II.3) L’espace de dialogue école-famille, fondement d’une coéducation réussie au
bénéfice de l’enfant
II.3.1) Définition de la coéducation
II.3.2) Coéducation et réussite scolaire
II.3.3) Pour une coéducation réussie
II.3.4) Coéducation autour des langues
III) Méthodologie
III.1) Choix du terrain et détermination de l’échantillon
III.1.1) Le lieu de la recherche
III.1.2) Les professionnels impliqués dans la recherche
III.1.3) Les acteurs
III.2) Choix méthodologique de recueil des données
III.2.1) Approche méthodologique : la Recherche Action (RA)
III.2.2) L’observation participante
III.2.3) L’entretien
III.3) Choix des supports méthodologiques
III.3.1) La comptine
III.3.2) Les bonjours des nounours.
IV) Résultats
IV.1) Observations autour de l’hypothèse 1
IV.1.1) L’observation des comptines en langue maternelle
IV.1.2) L’observation de l’action Les bonjours plurilingues
IV.1.3) Bilan sur le mutisme
IV.1.4) À propos de l’acquisition de la langue française
IV.2) Observations autour de l’hypothèse 2
IV.2.1) Évolution des discours de parents
IV.2.2) Ouverture d’un espace de dialogue
V) Discussion
V.1) Discussion autour de l’hypothèse 1
V.1.1) Rappel des résultats principaux de l’étude
V.1.2) Discussion des résultats
V.1.3) Conclusion
V.2) Discussion autour de l’hypothèse 2
V.2.1) Rappel des résultats principaux de l’étude
V.2.2) Les discours de parents
V.2.3) Coéducation et savoirs partagés
V.2.4) Conclusion
V.3) Vers une plus grande professionnalité
V.3.1) Qu’est-ce qu’un geste professionnel?
V.3.2) Enseignant-chercheur et gestes professionnels
V.3.3) Gestes professionnels et réussite scolaire
CONCLUSION
Bibliographie, sitographie
ANNEXES