Stéréotypes intellectuels et identitaires
Selon Damien : « [Les petits garçons et les petites filles] jouent à la même chose, mais pas ensemble » (L 198).
Ce papa travaillant en tant qu’animateur avec des jeunes enfants, a constaté des différences dans la façon de jouer, et les préférences pour les jouets, des petites filles, et des petits garçons. D’après Cherney et Harper en 2006, les filles et les garçons ont tendance à classer les jouets dans les catégories de « Jouets pour filles » et « Jouets pour garçons ». Le plus souvent, ces classifications étaient faites en fonction des goûts de l’enfant. Quand l’enfant aime un jouet, il en conclut que les enfants de même sexe que lui aiment également ce jouet et, a contrario, que les enfants de l’autre sexe ne l’aiment pas.
Mais d’où leur viennent ces goûts et ces classifications ? Une étude parue dans la revue «Enfance» en 2006 fait état des connaissances à ce sujet (Le Manner-Idrissi, 2006). Les enfants, dès 6 mois, réagiraient différemment selon le sexe de la personne s’adressant à eux, et vers 1 an, ils réussissent à associer les objets « masculins » ou « féminins » à l’homme ou la femme qu’on leur présente. Il conviendra donc de s’interroger pour savoir si ces notions du genre sont présentes dès la naissance, ou si elles sont acquises suite à la confrontation à un environnement binaire, où les hommes ont des attributs masculins (outils, vêtements, attitudes…), et les femmes des attributs féminins (cheveux longs, vêtements…).
Plusieurs mères ont parlé de coquetterie pour parler des attitudes attendues de leurs futures filles. Nicole, par exemple : «… Je voudrais qu’elle soit coquette.» (L 534), ou Anna : «Être une fille, c’est être coquette !» (L 380). Selon un rapport de décembre 2012 (Gresy, Georges, 2012), dans les livres d’enfants : « les personnages féminins sont décrits majoritairement à l’aide d’attributs comme propres à leur sexe : traits corporels, vêtements, éléments de coiffure, ou d’ornement ». Cette différence de traitement entre les sexes, dans les médias, perdure dans le temps et évolue peu, quand on se tourne vers les médias adultes tels que les publicités, les films, les clips vidéos, etc… (Casman, Dizier, 2007). Ces stéréotypes véhiculés dès l’enfance amènent les adultes à transposer sur leurs enfants l’image qu’ils ont du sexe qui leur a été assigné à la naissance. Les filles et les femmes étant définies majoritairement dans les médias selon leur physique, c’est par ce biais que les futures mères imaginent leur fille. C’est d’ailleurs ce que constate Maidi, dans la revue « Adolescence » en 2007. L’enfant sera identifié comme un garçon ou une fille par ses parents avant d’acquérir la pleine conscience de son sexe, et de son immuabilité : « L’adulte prescrit à l’enfant « d’être comme » », selon Maidi.
Stéréotypes relationnels
Pour plusieurs couples interrogés, les relations entre les parents et les enfants varient selon le sexe de chacun. Les filles seraient plus proches de leur père, et les fils, plus proches de leur mère. C’est ce qu’ont constaté Julie (« Les garçons vont être plus proches de la maman, et les filles du papa » (L 324)) et Eva («En plus [les garçons] sont hyper proches de la maman» (L 79)) par exemple. Les raisons avancées sont souvent la protection du père à l’égard de sa fille, et l’indulgence de la mère pour son fils. Il semble aussi que pour les couples remontant ces différences d’attachement selon le sexe des parents, elles sont interprétées comme une sorte d’amour juvénile, qui précède l’amour véritable «des hommes» et «des femmes» en général.
Pour Abigaël : « On dit que tous les petits garçons sont amoureux de leur mère, et toutes les petites filles amoureuses de leur père, et qu’après, bah… » (L 195-196).
Cette théorie est directement issue des travaux de Freud, et du complexe d’Oedipe, qui prévoit qu’un petit garçon tombera amoureux de sa mère, et rejettera son père, souhaitant prendre sa place. Ces pulsions conditionneront ensuite l’attirance du garçon pour les filles, à l’adolescence (Freud, 1905). Pour la petite fille, le mécanisme serait un peu différent, dans le sens, où, sans vouloir prendre la place de sa mère, elle ferait le choix du père comme objet d’amour, afin de lui soutirer son pénis, pierre angulaire de la construction de l’enfant. En effet, pour Freud, le petit garçon et la petite fille se construisent selon la présence ou l’absence de phallus, le petit garçon craignant de le perdre, la petite fille souhaitant le posséder. Les théories freudiennes sont aujourd’hui remises en question par plusieurs psychanalystes, comme Winnicott, Klein ou Lacan, entre autres (Fulgencio, 2008).
Stéréotypes comportementaux
Dans de nombreux cas, pour différencier filles et garçons, les parents utilisaient des exemples comportementaux. Par exemple, Eva : « Les filles, elles sont plus à jouer tranquillement » (L 329), ou Amélie : « Les garçons ont plus tendance à être renfermés sur eux même, généralement » (L 794). Pour Amélie et Franck, les filles seraient « bavardes » (L 134 et L 189), pour Julie, les garçons seraient « plus bagarreurs » (L 56)…
Ces exemples étaient souvent cités pour justifier les différences entre les filles et les garçons. Ces exemples peuvent être classés dans la même catégorie que « Les femmes n’ont pas le sens de l’orientation », ou « Les hommes ne peuvent pas faire deux choses à la fois ».
Selon Poulin-Dubois, en 2006, à partir de 24 mois, les enfants sont capables de déterminer des actions masculines et féminines. C’est également à cette époque que les enfants commencent à comprendre qu’ils appartiennent à un sexe, et pas à l’autre.
Dès lors, il pourrait être envisageable que les enfants, par mimétisme, s’approprient très tôt ce qu’ils ont identifié comme étant une attitude féminine ou masculine. C’est le résultat des travaux de Powlishta, en 2001, qui a mis en évidence que dès 18 mois, les enfants se dirigent vers des objets et des comportements culturellement appropriés.
Ces différences existent donc, et leurs origines semblent sociales, les enfants ayant intégré les comportements attendus selon leur sexe. La question à se poser est la suivante : sans les attitudes et jouets connotés « féminins » ou « masculins », les comportements des enfants seraient-ils modifiés ? Et en quoi cela influencerait-il la société qu’ils construiraient dans le futur ? Certains parents ont décidé d’élever leur enfant de façon neutre, sans que personne ne connaisse son sexe, pour éviter le déterminisme lié à son sexe pouvant être imposé à l’enfant. C’est le cas de Pop, en Suède, ou de Storm, au Canada.
Savoir/ Faire savoir
Il est à noter une nette tendance des couples à avoir une préférence pour un sexe, plutôt que pour l’autre, comme le dit, par exemple Eva : « Si c’était une fille, je pensais que j’allais mieux m’occuper d’elle, […] parce que j’étais une fille, quoi ! » (L85), ou Dominique : « Au départ, tu idéalises, tu dis un garçon, une fille, parce que ça fait un grand frère pour protéger la petite sœur » (L 247-248). Une étude canadienne (Marleau, Maheu, 1998) avait posé la question à des futurs parents, quant à leur préférence pour le sexe de leur premier enfant. Dans la majorité des cas, les couples, et en particulier les pères avaient une préférence pour un garçon. La principale raison avancée dans l’étude, est la pérennisation du nom.
Dans les entretiens réalisés, ce paramètre a également été retrouvé. Par exemple, Olivier : « C’est un garçon, c’est bien, ça va faire perdurer la famille… » (L113). Nathan, entre autre, avait partageait cette idée.
Pour Franck, « On a quand même l’impression qu’il y a une préférence sur les garçons » (L 866). Pour autant, depuis la loi du gouvernement Raffarin en 2003, « un enfant né après le 1er janvier 2005 peut porter soit le nom du père, comme auparavant, soit le nom de la mère, soit les deux dans l’ordre choisi par eux. ». Dans une enquête récente de l’Insee, on note pourtant une prédominance du nom seul du père, dans 83% des cas, en France (Insee, 2015).
Table des matières
Introduction
Matériel et méthode
Résultats
Projection
Représentations
Savoir / Faire savoir
Analyse et discussion
Projection
Représentations
Stéréotypes intellectuels et identitaires
Stéréotypes relationnels
Stéréotypes comportementaux
Savoir/ Faire savoir
Conclusion