Accueil et médiation Temps et espace « à part » en milieu scolaire

Accueil et médiation Temps et espace « à part » en milieu scolaire

Qu’est-ce que l’accueil ? La question peut paraître simpliste voire naïve mais elle renvoie pourtant à des processus relationnels complexes qui intéressent particulièrement le professeur-documentaliste. Lorsque celui-ci accueille les élèves sur leur temps libre, c’est à dire lorsque ces derniers n’ont pas d’heure de cours inscrite dans leur emploi du temps et qu’ils ont le choix d’aller en permanence, au CDI ou parfois au foyer, dans quelle disposition relationnelle est-il ? Jacques Nimier, psychologue et pédagogue français5 nous dit qu’accueillir c’est “permettre à chacun de trouver sa place” (s.d.). Comme nous le verrons dans le chapitre consacré au temps et à l’espace en milieu scolaire, la prise en compte de ces deux variables dans les processus d’apprentissage et d’accueil des élèves est indispensable. Si les missions du professeur-documentaliste sont multiples et concernent aussi bien la gestion que la pédagogie ou l’ouverture culturelle de l’établissement6, nous pensons qu’il lui incombe également de prendre le temps nécessaire pour penser la manière dont il accueille les élèves sur leur temps libre et les types de médiation à mettre en place. Cet investissement sur ce temps informel implique une prédisposition psychologique de la part du professeur-documentaliste ainsi que la proposition d’un panel de services, sur le modèle des bibliothèques publiques, ou le développement d’actions éducatives différentes d’un cours classique.

La question de l’architecture scolaire

De nombreux professionnels de l’éducation pensent que l’architecture scolaire peut changer la pédagogie. Il y a un siècle celle-ci s’inspirait de  » l’architecture industrielle pour son éclairage, la gestion du temps, les proportions, et de celle des couvents et des prisons, pour l’obsession de la surveillance  » (Jarraud, 2010). Dès 1880 les lycées français répondent à  » une pédagogie de l’embrigadement des corps et des esprits  » (Foucault, 1975 in Hébert, T. et Dugas, E., 2017). Dans les années cinquante la démocratisation de l’enseignement pousse les politiques à faire face à l’afflux d’élèves en construisant rapidement des bâtiments en limitant au maximum leurs coûts7. Aujourd’hui la révolution numérique impose de repenser les espaces des lieux d’apprentissages dans la mesure où chacun de nous, et plus particulièrement les jeunes générations, inventons de nouveaux rapports aux savoirs, aux autres, à nous-mêmes. Bruno Devauchelle, spécialiste des TIC8 en éducation et en formation, a souligné dans son ouvrage “Comment le numérique transforme les lieux de savoirs : le numérique au service du bien commun et de l’accès au savoir pour tous” l’accueil frileux fait par les institutions au déploiement du numérique comme valeur ajoutée à la conservation et à la diffusion des savoirs. Pour le chercheur, il s’agit de repenser l’accès aux savoirs et la construction de la connaissance de chacun transformé par le numérique. “Ces formes d’apprentissage (issues d’Internet et du Web) sont modulables, hybrides, informelles, elles permettent une désynchronisation temporelleet spatiale, une autonomisation des apprenants et s’appuient sur le tutorat et la collaboration” (Ermakoff, 2013). Les outils numériques doivent s’intégrer au paysage des lieux traditionnellement détenteurs du savoir tel que l’école. Pour le chercheur, les lieux d’enseignement pourraient se transformer en “maisons de la connaissance” dans lesquelles les apprenants seraient au centre de leur cheminement d’apprentissage, naviguant entre plusieurs espaces “orientés par des professionnels selon leurs besoins”. Le plan numérique pour l’éducation, lancé depuis lors (2015) par le président de la République, ne place pourtant pas la question de l’architecture scolaire au centre de ses préoccupations9. Dans l’arrêté du 1er juillet 2013 qui porte sur le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation, cette question apparaît toutefois pour les CPE et les professeurs- documentalistes qui ont une « responsabilité particulière de gestion et d’animation des espaces scolaires » (Durpaire, F. et J-L., 2017). Ce texte stipule également que les professeurs- documentalistes doivent : […] organiser, en liaison avec l’équipe pédagogique et éducative, la complémentarité

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CDI, 3C, Learning Centre

En changeant d’appellation, il s’agissait de promouvoir une dynamique, peut-être déjà à l’œuvre dans certains CDI, de rénovation des espaces de ressources et d’accueil. Repenser les lieux pour s’adapter aux nouveaux besoins et usages de l’élève, tournés notamment vers le numérique, la collaboration entre pairs, la création. Si cette nouvelle appellation n’a pas été retenue, François et Jean-Louis Durpaire nous rappellent que, historiquement, les changements de dénominations dans le milieu scolaire ne sont pourtant pas anodins et ont même permis d’amorcer des changements11. Si certains établissements font le choix d’appeler leur CDI “3C”, la grande majorité d’entre eux ne semble pas prête à cette révolution. L’opposition entre pédagogie d’un côté et animation de l’autre semble ralentir la dynamique de changement comme si l’avènement du 3C devait engendrer la prédominance de cette dernière facette du métier de professeur-documentaliste aux dépends de la première. Rappelons que la vision de Jean-Louis Durpaire, auteur du rapport Vademecum: “Vers des centres de connaissances et de culture” (2012) et instigateur de la notion de politique documentaire dans les établissements scolaire, se heurte à de nombreux professeurs-documentalistes qui craignent de voir leurs missions pédagogiques écartées au profit d’une gestion d’un lieu de plus en plus complexe. Le collectif « Où est le prof-doc ? », créé par des professeurs-documentalistes pour défendre les missions d’enseignement malmenées par les textes officiels, a déclaré récemment au sujet de la potentielle évolution des CDI en 3C:  » Rappelons-le, dans les 3C, on n’enseigne pas, on accompagne, on forme, on gère des flux d’élèves, on sert éventuellement un café…, il n’est plus nécessaire d’être détenteur d’un CAPES  » (2016). Sans aller plus loin dans ce débat, il nous semblait important de rappeler quelques éléments de celui-ci pour comprendre dans quel contexte s’inscrit laquestion de l’architecture scolaire appliquée au CDI. Sans directive claire du ministère de l’Education Nationale ni investissement des collectivités territoriales, il incombe donc aux professeurs-documentalistes et aux CPE de penser et d’organiser les espaces de Vie Scolaire (salles de permanence, cour de récréation, CDI, foyer, hall etc. tout ce qui n’est pas salle de classe) selon leurs moyens propres et les priorités inscrites dans chaque projet d’établissement. Le recours au concept de Learning Centre, mis en œuvre dès 1996 en Grande- Bretagne dans les bibliothèques universitaires et médiatisé en France par Suzanne Jouguelet en 2009 dans un rapport publié à la demande du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et plus tard à celui de 3C, nous permet de penser et d’expérimenter une autre manière d’accueillir les élèves. Mireille Lamouroux, aujourd’hui chargée de mission auprès de la direction du numérique pour l’éducation (DNE), souligne, dans une présentation consacrée au modèle du Learning Centre en 201112, le fait que l’étudiant ou l’élève est bien au centre de ces lieux pour apprendre: l’aménagement des espaces physiques qui privilégie des zones adaptées aux différents besoins des usagers, la dimension sociale qui prend en compte le bien être des élèves, l’accès à des ressources en ligne, des espaces riches en matériels technologiques, des espaces cosy. Nous avons remarqué dans nos CDI respectifs combien les besoins des élèves étaient différents et que la disposition du lieu ne permettait pas toujours à chacun de pouvoir travailler, lire, créer, rechercher, seul ou en groupe dans de bonnes conditions fautes d’un aménagement ad hoc de l’espace. La mise en complémentarité d’un espace physique et d’un espace virtuel au sein des CDI nous semble être encore balbutiant (Lamouroux, M. et Durpaire, J-L., 2011). Aménager, structurer, organiser un espace, quel qu’il soit, demande du temps et des moyens, qui font parfois défaut aux professeurs-documentalistes.

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