ACCORD AGRICOLE ET REDISTRIBUTION DES REVENUS EN MILIEU RURAL

ACCORD AGRICOLE ET REDISTRIBUTION DES
REVENUS EN MILIEU RURAL

Libéralisation des échanges extérieurs et secteur agricole dans un cadre d’équilibre général calculable

Dans l’histoire de la pensée économique, le concept de la libéralisation a été l’un des plus enrichis, grâce à l’apport de plusieurs économistes ayant traité de questions, notamment liées à l’échange international. Les résultats tirés des recherches empiriques liées à l’impact de la libéralisation sur l’agriculture peuvent être différents selon qu’ils reposent sur une analyse en équilibre partiel ou général. En particulier, plusieurs types d’instruments ont été expérimentés au Sénégal. Dans notre exposé, l’accent sera mis d’abord sur les problématiques traitées puis sur la spécificité du modèle d’équilibre général et enfin les résultats empiriques obtenus. Cette section s’appuiera sur les travaux de modélisation qui traitent d’aspects relatifs à la libéralisation commerciale, aux réformes tarifaires et au secteur agricole. Elle traitera également des modèles macroéconomiques et des instruments d’analyse appliqués au secteur agricole sénégalais. Mais au préalable, un rappel des fondements théoriques de la libéralisation des échanges permet 76 d’éclairer les débats sur le processus de dérégulation des échanges en cours. Il est, par ailleurs, important de mettre en exergue la spécificité de l’analyse en équilibre général par rapport à celle en équilibre partiel. 2. 1. 1 Aperçu des fondements théoriques du débat sur la libéralisation du commerce Une des premières lois qui, théoriquement, justifie l’échange international, est celle des avantages absolus de Adam Smith. Selon cette loi, les pays se spécialisent dans la production des différents biens où ils supportent les coûts absolus de production les plus faibles. Une des justifications de cette thèse est que les pays sont inégalement dotés par la nature. Cette loi et son fondement implicite, le bon fonctionnement des règles du marché, représentent les deux éléments essentiels et inter-reliés qui sous-tendent la libéralisation commerciale. A la suite de A. Smith, D. Ricardo énonce le concept d’avantage comparatif. Selon la théorie des avantages comparatifs, un pays, en se spécialisant, peut tirer le maximum d’avantages des domaines où il excelle et, en échange, obtenir au meilleur coût les biens pour lesquels il est moins compétitif. La spécialisation et les avantages comparatifs sont influencés par les niveaux de productivité du travail différents selon Ricardo, et par les différences de dotation en facteur selon Heckcher-Hohlin-Samuelson. L’efficacité relative détermine ainsi la spécialisation des pays. La nouvelle théorie du commerce international met en avant les gains du commerce même lorsque les pays sont identiques. Pour les producteurs, ces gains proviennent des avantages que procure l’accès à un marché plus grand permettant un amortissement plus efficace des coûts fixes (gains d’échelles). Pour les consommateurs, ils sont liés à la disponibilité d’une plus grande variété de biens. Selon Samuelson15, un des fondateurs de la théorie moderne du commerce international, la libéralisation des échanges est meilleure qu’une situation d’autarcie. Toutefois, il est difficile de démontrer rigoureusement que l’échange libre est meilleur que toutes les autres formes d’échanges. La libéralisation commerciale n’est meilleure que sous certaines hypothèses telles que la concurrence parfaite, l’atomicité du marché, des rendements d’échelle constants,  le plein-emploi des ressources, la similarité des économies excepté leur niveau de dotations factorielles, l’accès libre à la technologie. Ces hypothèses restrictives en constituent les limites. Dans le cas des pays en développement, ces hypothèses ne sont pas réalistes (Shafaeddin, 2003). En particulier, le marché des produits manufacturés est dominé par de grandes firmes. L’atomicité du marché n’est, en réalité, pas observée puisque celui-ci est très oligopolistique. A titre d’illustration, le chiffre d’affaire de General Motors dépassait le Pib de la Norvège et de la Thaïlande tandis que celui de Exxon et de Toyota excédait le Pib d’Israël et de la Malaisie (PNUD, 1999). Par ailleurs, la technologie et le savoir-faire ne sont pas gratuits et ne circulent pas librement entre les pays et les firmes. De plus, les rendements d’échelle sont davantage croissants puisqu’ils sont source de pouvoir de marché pour les firmes oligopolistiques. Cette situation entretient un dilemme important chez les pays en développement qui cherchent à accroître leur part de marché en tirant profit du commerce international. Une voie intermédiaire serait le développement et la protection d’une « industrie naissante » tel que stipulé par des auteurs comme Hamilton puis Mill et List et enfin Krugman16. Quant à Prebisch17, il recommande une stratégie basée sur le développement et la protection temporaire des branches de production substituts aux importations. Cette stratégie a été largement expérimentée par les pays en développement au cours de la période 1950-1970. Toutefois, la mise en œuvre des politiques issues de ces théories protectionnistes a produit de multiples effets pervers dans plusieurs économies en développement. A l’exception des économies d’Asie de l’Est et actuellement de la Chine, les stratégies basées sur la protection d’industries naissantes n’ont pas produit les effets escomptés. De plus, dans ces pays, le secteur agricole a, en particulier, beaucoup pâti des distorsions créées par les politiques d’import-substitution. C’est en ces termes que se pose le débat sur la libéralisation commerciale dans les pays en développement. Il a été initié depuis les années 80 et 90 sous 16 Baslé M. et al. (1993a) 17 Baslé M. et al. (1993b) 78 l’impulsion des programmes d’ajustement structurel. Ce débat, relancé par la mise sur pieds de l’OMC, a suscité plusieurs travaux empiriques qui ont essayé d’en évaluer les impacts. 2. 1. 2 Équilibre partiel, versus équilibre général Plusieurs travaux s’appuient sur des instruments d’analyse en équilibre partiel. Toutefois, les résultats auxquels ils aboutissent dans l’évaluation d’une mesure de politique diffèrent de ceux issus d’une analyse en équilibre général, en particulier concernant les indicateurs de bien-être des ménages. L’essai d’évaluation de l’impact de la politique commerciale au Maroc, effectué par Cockburn, Decaluwé et Beneyad (1995) met en relief ces limites d’une analyse fondée sur des travaux en équilibre partiel. Les auteurs mettent en exergue la dichotomie des secteurs de production et essaient d’évaluer les effets de la politique commerciale sur l’offre et le prix de la valeur ajoutée des biens échangeables et non-échangeables au Maroc. La politique commerciale affecte les prix et la production à la fois des biens échangeables et non-échangeables. Elle provoque une modification du volume de leur offre et de leur demande. Les biens non-échangeables occupent une large part du volume de la production et de la consommation domestique dans beaucoup d’économies. Très souvent, la réaction des biens non-échangeables peut significativement modifier l’ampleur et le sens de l’impact de la politique commerciale sur les biens échangeables. Une bonne analyse de l’effet de la politique commerciale sur l’ensemble des secteurs, échangeables ou non, nécessite une évaluation de la variation des prix relatifs. En effet, la politique commerciale peut significativement modifier la structure de prix, et en conséquence, l’allocation des ressources domestiques entre les différents secteurs de l’économie, que ceux-ci soient les cibles directes de la politique ou non. Les consommateurs et les producteurs domestiques ayant la possibilité de procéder à une substitution entre biens échangeables et nonéchangeables, les variations de prix nominaux induites par les politiques modifieront les conditions d’offre et de demande et les prix nominaux des biens non-échangeables. Les changements de prix des biens non-échangeables qui en résultent peuvent souvent être plus importants que ceux de beaucoup de biens 79 échangeables. De plus, ces variations modifient la structure des prix relatifs qui fonde les décisions des consommateurs et des producteurs dans tous les secteurs. L’analyse traditionnelle de la politique commerciale ignore les biens nonéchangeables en dépit de leur importance évidente. Il est donc impossible d’analyser correctement les variations de prix relatifs dans tous les secteurs, échangeables ou non. Il est clair que les changements de prix relatifs et, en conséquence, l’impact de la politique commerciale peuvent varier considérablement en fonction de la réaction du secteur des biens nonéchangeables. Historiquement, les interventions de politique commerciale ont eu pour finalité de protéger les produits substituts aux importations à travers l’imposition de droits de douanes. Cela entraîne une hausse des prix nominaux des importables en laissant inchangés, les prix nominaux des biens exportables. A travers des relations de substituabilité, l’offre de biens non-échangeables pourrait baisser alors que leur demande augmente, entraînant un accroissement de leurs prix nominaux pour rétablir l’équilibre. L’ampleur de la variation de la demande et de l’offre de biens non-échangeables et les hausses de prix nominaux qui en résultent dépend de leur degré de substitution avec les biens importables. Plus ils sont des substituts proches, plus l’accroissement des prix nominaux sera élevé. En retour, plus forte sera la hausse des prix nominaux de biens non-échangeables, plus faible sera l’accroissement des prix relatifs des importables, et plus accentuée sera la chute des prix relatifs des biens exportables. En d’autres termes, si les biens nonéchangeables et les biens importables sont des substituts proches, les premiers bénéficient de la protection des seconds au détriment des biens exportables.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I : L’AGRICULTURE SENEGALAISE FACE AU DEFI DE L’OUVERTURE  AUX ECHANGES EXTERIEURS
CHAPITRE I : OUVERTURE AUX ECHANGES AGRICOLES
CONTEXTE ET ENJEUX
1.1. L’agriculture sénégalaise : évolution, spécificités et aperçu des politiques
1.1.1 Contexte macroéconomique
1.1.2 Évolution et spécificités de l’agriculture sénégalaise
1.1.3 Un aperçu des politiques agricoles
1.1.4 Incidences des politiques directes et indirectes sur le secteur agricole
1.2 Enjeux de l’ouverture aux échanges extérieurs
1.2.1 Prix au producteur et revenus agricoles
1.2.2 Dépenses de consommation des ménages ruraux
1.2.3 Évolution et structure des échanges
1.2.4. Accord agricole : contenu et enjeux
CHAPITRE II : REVUE DE LA LITTÉRATURE
2. 1. Libéralisation des échanges extérieurs et secteur agricole dans un cadre d’équilibre général calculable
2. 1. 1 Aperçu des fondements théoriques du débat sur la libéralisation du commerce
2. 1. 2 Équilibre partiel, versus équilibre général
2. 1.3 La libéralisation commerciale dans un cadre d’analyse en EGC
2. 1. 4 Modélisation en équilibre général calculable du secteur agricole
2.2 Quelques modèles macroéconomiques appliqués à l’économie sénégalaise et travaux empiriques sur le secteur agricole
2. 2. 1 Des modèles macroéconomiques appliqués à l’économie sénégalaise
2.2.2 Quelques modèles d’équilibre général calculable appliqués à l’économie sénégalaise
2. 2. 3 Des analyses en équilibre partiel du secteur agricole
PARTIE II : IMPLICATIONS DE L’ACCORD AGRICOLE
SUR LA PAUVRETE ET LES INEGALITES EN MILIEU RURAL
CHAPITRE III : UNE MATRICE DE COMPTABILITE SOCIALE DU SÉNÉGAL
A SECTEUR RURAL DÉSAGRÉGÉ
3. 1 Méthodologie de construction de la MCS
3. 1. 1 Architecture de la MCS
3. 1. 2 Méthodologie de construction de la MCS
3. 2 Structure de l’économie sénégalaise : les enseignements de la MCS
3. 2. 1 Répartition de la valeur ajoutée entre les branches de production et les facteurs de production
3. 2. 2 Secteurs d’activité
3. 2. 3 Commerce extérieur
3. 2. 4 Sources et affectations des revenus des ménages
3. 2. 5 Les autres institutions de la MCS
3. 2. 6 Leçons de la MCS sur le secteur agricole sénégalais
CHAPITRE IV : UN MODÈLE CALCULABLE D’ÉQUILIBRE GÉNÉRAL ADAPTE A L’ANALYSE DE L’IMPACT DES POLITIQUES ET CHOCS EXTERNES SUR LE SECTEUR RURAL SENEGALAIS
4. 1 Description du modèle
4. 1. 1 Bloc d’offre
4. 1. 2 Bloc des revenus et de l’épargne
4. 1. 3 Bloc de la demande
4. 1. 4 Bloc des prix
4. 1. 5 Bloc du commerce extérieur
4. 1. 6 Bouclage du modèle et calibrage des paramètres
4. 2 Résultats des simulations
4. 2. 1 Justification
4. 2. 2 Situation de la pauvreté et des inégalités à la période de référence
4. 2. 3 Résultats des simulations
4. 2. 4 Analyse de sensibilité
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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