Les antivitamines K (AVK) sont des médicaments anticoagulants utilisés par voie orale [1]. Ils permettent de prévenir la survenue d’événements thromboemboliques dans de nombreuses situations prothrombogènes [2]. En France, près de 1 % de la population, sont sous AVK [3]. Ce nombre devrait s’accroître dans les années à venir en tenant compte du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’incidence des pathologies cardiovasculaires [4].
L’index thérapeutique de cette classe médicamenteuse reste faible, et une surveillance biologique régulière est nécessaire. La survenue d’un saignement sous AVK, que l’on soit en zone thérapeutique ou en situation de surdosage, est un événement aux conséquences dramatiques et dont la fréquence n’est pas négligeable [1]. En effet, les accidents hémorragiques aux AVK constituent la première cause d’hospitalisation pour cause iatrogène en France (17 000/an) et la troisième au Royaume Uni [3,5].
Rappel physiologique sur la coagulation :
L’hémostase est l’ensemble des phénomènes physiologiques qui concourent à l’arrêt du saignement, à la prévention des saignements spontanés et des thromboses. Schématiquement on distingue trois phases qui sont en réalité simultanées et interdépendantes :
• L’hémostase primaire qui est le temps endothélio-plaquettaire.
• La coagulation plasmatique.
• La fibrinolyse.
Ces trois phases obéissent à une parfaite régulation par des facteurs activateurs et inhibiteurs réalisant une véritable « balance coagulolytique ». [8] Le rappel se limitera aux mécanismes de la coagulation, champs d’action des AVK. La coagulation est une cascade de réactions enzymatiques aboutissant à la transformation du fibrinogène soluble en fibrine insoluble, assurant la consolidation du thrombus.
Les AVK :
Historique
La découverte des AVK s’est fait en trois étapes :
– Schoefield, un vétérinaire de l’Alberta, en 1922-1924, fait la description d’une maladie du bétail dite « du mélilot ( sorte de trèfle) gâté », qui sévit dans les plaines du Canada et se manifeste par des hémorragies.
– Roderick, en 1929-1931, établis qu’elle s’accompagne d’une chute du taux de prothrombine chez les animaux malades.
– Link et Campbell, en 1934, montrent que c’est un dérivé de l’hydroxy-coumarine qui en est la cause (Warfarine), et déterminera son antagonisme avec la vitamine K. En 1951, une intoxication volontaire massive par le Warfarine, sans conséquences graves pour le sujet intoxiqué, a suggéré la possibilité de son utilisation en thérapeutique.
Pharmacologie et mode d’action
Les AVK s’administrent par voie orale, leur absorption digestive est bonne, mais elle peut être diminuée par l’administration simultanée de topiques digestifs et de cholestyramine. [14] Dans le plasma, 90 à 97% des AVK sont fixés aux protéines plasmatiques. Certains autres médicaments peuvent déplacer les AVK de leur site de fixation, ce sont l’aspirine à dose élevée, les anti-inflammatoires non stéroïdiens qui ont aussi des effets directs sur la coagulation, le clofibrate et certains diurétiques. Les conséquences de ces déplacements sont en fait difficiles à prévoir, car la concentration de la forme libre des AVK est augmentée en même temps que leur catabolisme est accéléré. [14]. Les AVK subissent un catabolisme hépatique important par oxydation. L’administration des médicaments inducteurs enzymatiques comme le phénobarbital, le méprobamate, la rifampicine, la phénytoïne, la carbamazépine accélèrent le catabolisme des AVK et diminue leurs effets. D’autres médicaments comme le métronidazole (FLAGYL*), le miconazole (DAKTARIN*) inhibent le catabolisme des AVK. [14]. Toute modification de l’apport de vitamine K peut modifier l’importance de l’effet des AVK. L’apport peut être diminué par manque de sels biliaires (ictère par rétention) ou par un traitement antibiotique supprimant la synthèse de vitamines K par les micro-organismes intestinaux. Il peut être augmenté par certains aliments particulièrement riches en vitamines K : choux, crudités… [14]. Les AVK ont une structure chimique proche de la vitamine K, ce qui leur confère un mode d’action commun : AVK et vitamine K entrent en compétition au niveau des sites d’activation enzymatique de l’époxyde réductase. Les AVK inhibent cette enzyme et ainsi bloquent le cycle de la vitamine K et la gamma-carboxylation.
Les précurseurs des facteurs vitamino K dépendants ou PIVKA s’accumulent dans les hépatocytes puis sont sécrétés dans la circulation. Cependant, ils n’ont aucun rôle procoagulant et pourraient même avoir un rôle inhibiteur par action compétitive avec les protéines homologues actives. Par contre, les PIVKA conservent leurs déterminants antigéniques et le dosage des facteurs vitamino K dépendants par méthode immunologique n’est pas affecté par les AVK. [16] Le taux plasmatique des facteurs de la coagulation est en fonction de la vitesse de synthèse et de la vitesse de dégradation. A l’état normal, synthèse et dégradation sont en équilibre. Après administration d’AVK, l’équilibre est perturbé et une nouvelle stabilisation sera atteinte au bout d’une période qui dépend de la demi-vie des facteurs de la coagulation. En principe, il faut attendre 4 à 5 fois le temps de demi-vie. Ainsi, pour le facteur VII ou proconvertine, la demi-vie est de 4 à 6 heures : la stabilisation sera obtenue au bout d’un jour. Par contre, pour le facteur II ou prothrombine, l’équilibre ne sera atteint qu’après une semaine en raison de sa demi-vie longue (60 à 100 heures). [16] Les AVK diminuent donc successivement le taux de proconvertine (VIl), du facteur antihémophilique B (IX), du facteur Stuart (X) et de la Prothrombine (II). En ce qui concerne la protéine C, inhibiteur physiologique, lors d’un traitement au long cours, son taux peut descendre jusqu’à 0,25 U/ml (taux normal : 0,65-1,45 U/ml): ce paramètre devra être pris en compte lors de la surveillance du traitement afin d’éviter des thromboses par déficit quantitatif en protéine C.
Molécules disponibles
Les AVK sont commercialisés dans le monde depuis plus de 60 ans. La première molécule apparue sur le marché pharmaceutique a été la Phénindione (Pindione®) en 1952. Elle fut suivie de l’Acénocoumarol (Sintrom®) en 1959, bien que cette molécule n’ait reçu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France qu’en 1990. La Warfarine (Coumadine®) ayant l’AMM depuis 1977, est la première molécule utilisée dans le monde, elle est le sujet de la majorité des études internationales. Citons encore le Tiocoumarol (Apegmone®) apparue sur le marché en 1978. Depuis 1988, la Fluindione (Previscan®) a reçu l’AMM en France et depuis elle y est devenue l’AVK majoritairement utilisé avec un total de 7618 remboursements recensés en 2011 soit 81.4% des bénéficiaires.
Indications
Les indications des AVK sont nombreuses:
• Prévention et traitement des thromboses veineuses profondes et de l’embolie pulmonaire.
• Prévention des complications thromboemboliques des cardiopathies emboligènes (troubles du rythme, valvulopathies mitrales et prothèses valvulaires).
• Prévention des complications thromboemboliques des infarctus du myocarde compliqués.
Contre-indications
Le traitement par les antivitamines K est utilisé dans le cadre de pathologies graves, mais il peut entraîner des accidents iatrogènes majeurs dont la gravité potentielle oblige, avant l’instauration d’un traitement, de vérifier l’absence de contre-indications:
• ATCD d’accidents antérieurs graves aux AVK (agranulocytose, nécroses cutanée, syndrome néphrotique…)
• Altération grave de l’hémostase.
• Atteinte hépatique sévère.
• Existence d’une lésion susceptible de saigner (angiome, ulcère, intervention neurochirurgicale ou oculaire récente…)
• Grossesse….
Ces contre-indications ne sont jamais formelles, le bénéfice thérapeutique de l’anticoagulation peut être plus important que le risque hémorragique, mais cela doit s’accompagner d’une réduction des doses et d’un suivi biologique accru.
Effets indésirables (autres que les accidents hémorragiques)
Manifestations immuno-allergiques:
Les dérivés de l’indanedione peuvent entraîner des manifestations immuno allergiques. Ces complications sont plus rares que les complications hémorragiques:
• Œdème local, œdème de Quincke, prurit, urticaire.
• Cytopénie par atteinte périphérique ou médullaire (surtout leuconeutropénie et thrombopénie).
• Insuffisance rénale par atteinte interstitielle ou glomérulaire liée à une vascularite allergique.
• Augmentation des transaminases (ASAT, ALAT) et des phosphatases alcalines, voire véritable hépatite mixte à prédominance cholestatique.
• Rarement une dyspnée qui peut être le témoin d’une pneumopathie interstitielle.
• Rarement vascularite cutanée ou stomatite.
• Fièvre et hyperéosinophilie.
• Eczéma, éruption maculo-papuleuse, desquamante, vésiculo-bulleuse pustuleuse. Les coumariniques peuvent aussi induire des réactions immunoallergiques: éruptions cutanées, rarement vascularite ou atteinte hépatique .
Autres effets secondaires possibles :
• Diarrhée accompagnée ou non de stéatorrhée.
• Arthralgies isolées.
• Rarement alopécie.
• Rarement, nécrose cutanée localisée qui peut être en rapport avec un déficit en protéine C ou S.
INTRODUCTION |