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Chapitre 1: Lope et l’unité de temps : le défi de l’extrême brièveté
Introduction
Seules trois pièces du corpus respectent, au sens le plus strict du terme, l’unité de temps dramatique. À notre connaissance, il n’existe pas, dans l’œuvre lopesque, d’autres pièces à action aussi brève que Lo que pasa en una tarde, La noche toledana ou La noche de San Juan. Ce triptyque « néo-aristotélicien » s’avère atypique dans un corpus favorisant a priori les longues actions. Ces comedias ont en commun une intrigue se déroulant en moins d’un jour. Dans ces pièces respectant les critères du néo-aristotélisme, l’étude des procédés quantitatifs sert à fixer les jalons de la réflexion. Ces comedias sont de véritables chefsd’œuvre et ne peuvent être considérées comme des pièces d’importance mineure même si la critique semble s’y être intéressée tardivement. Les spécialistes de la fin du XX siècle se sont penchés sur ces œuvres, en particulier sur La noche de San Juan et Lo que pasa en una tarde, en raison de leur forte métathéâtralité. Le regain d’intérêt pour ces pièces, qui passaient vraisemblablement inaperçues, peut être expliqué par la considération du débat critique sur l’unité de temps néo-aristotélicienne 98. De fait, ces comedias montrent, par leur dimension autoréférentielle, la genèse du temps dramatique. L’examen de la temporalité de ces pièces permet la délimitation des bases temporelles de la journée dont on a spécifié en introduction qu’elle structure l’acte lopesque. Ce premier chapitre propose l’analyse textuelle de Lo que pasa en una tarde, La noche toledana et La noche de San Juan, dans l’ordre croissant de la durée de l’action. L’analyse livre les modalités des architectures temporelles très brèves. Dans chaque pièce, des références à une temporalité inattendue et paradoxale cohabitent, ce qui motive leur prise en compte à titre d’exemple. Voici les trois pièces de ce chapitre dans l’ordre chronologique de leur composition :
1) La noche toledana, 8 avril 1605
2) Lo que pasa en una tarde, 1617
3) La noche de San Juan, 1631
Une riposte ultra-aristotélicienne : Lo que pasa en una tarde
L’après-midi comme unité extrême
« Comedia-réponse » à la Spongia, Lo que pasa en une tarde s’apparente à une démonstration de force de Lope de Vega face à ses détracteurs 99. Cette contre-attaque littéraire (1617), postérieure à l’Arte nuevo, prend la forme d’une comédie de cape et d’épée.
Le foisonnement des personnages et l’entremêlement des faits dramatiques rappellent les intrigues les plus retorses des pièces caractérisées par une certaine vivacité du cours du temps dramatique. Ce type de comedia, où l’enredo est maître, est difficilement mémorisable. Les œuvres à caractère plus épique, où les péripéties sont plus facilement identifiables, ne présentent pas ce problème. Face à la complexité des événements dramatiques, le résumé semble être la méthode adaptée permettant de rendre à l’analyse textuelle la clarté nécessaire à l’exposé. C’est pourquoi nous décidons de faire figurer ci-dessous un récapitulatif du déroulement de chaque acte où se déploie le procédé bien connu de l’imbroglio :
Acte I
Doña Blanca ne supporte pas que don Juan, le galant qu’elle affectionne, se soit rendu aux fêtes de Castille.
Elle feint d’aimer don Félix, le galant que son père Gerardo lui destine. Don Félix a déjeuné avec le père de Blanca et lui a demandé la main de sa fille. Gerardo est disposé à marier sa fille sur-le champ. Don Juan, de retour, se fait très mal accueillir par doña Blanca et apprend qu’elle a décidé d’épouser don Félix. Cet affront le conduit à s’intéresser à Teodora afin de rendre jalouse doña Blanca. Marcelo, le frère de doña Blanca, est de retour des guerres d’Italie. Il est consterné d’apprendre que don Juan tente d’épouser Teodora, la dame qu’il aime. Don Juan affirme à Marcelo que l’intérêt qu’il porte à Teodora est motivé par sa jalousie, car il aime véritablement Blanca. Il demande à Marcelo d’empêcher les noces de Blanca et de Félix. Ainsi, Blanca pourra se marier avec don Juan, et Teodora avec Marcelo. Blanca assure à son frère qu’elle est prête à quitter don Félix à condition que don Juan abandonne Teodora. Elle annonce donc à Teodora que don Juan a promis à Marcelo de ne pas épouser cette dernière, si grand est le respect qu’il a pour son ami. Blanca veut rendre jaloux don Juan en prétextant qu’elle est amoureuse de don Félix, afin de lui faire payer le prix de son absence.
Acte II
À la Casa de Campo, Marcelo exprime son amour pour Teodora, qui le repousse et lui dit qu’elle veut être l’épouse de don Juan. Marcelo affirme à Teodora qu’il l’a toujours aimée ; il est furieux envers don Juan. Par la suite, Blanca lit à Teodora la fausse déclaration d’amour que don Juan avait écrite à cette dernière puis l’avale.
Tomé, le valet de don Juan travesti en jardinier de la Casa de Campo, arrange secrètement une rencontre entre Blanca et son maître. En même temps, et presque involontairement, il provoque la rencontre entre Teodora, qui attend de voir don Juan, et Marcelo, repoussé une nouvelle fois par sa dama. Don Juan et Blanca sont finalement réunis ; le galant remarque que don Félix porte le ruban vert que don Juan avait offert à Blanca. Dépité, il accuse Blanca de créer une relation amoureuse entre Marcelo et Teodora dans le seul but de déposséder don Juan de Teodora. Blanca quitte don Juan, qui regrette d’avoir réagi de la sorte. Don Juan décide de suivre les conseils de son valet et de rendre Blanca jalouse en continuant de s’intéresser à Teodora. Blanca les surprend dans les bras l’un de l’autre, c’est pourquoi elle se tourne une nouvelle fois vers don Félix.
Acte III
Au début de l’acte III, don Juan porte le deuil car il considère qu’il a définitivement perdu Blanca. Marcelo, en apprenant que don Juan ne courtisait Teodora que pour rendre Blanca jalouse, promet d’en informer Blanca.
Don Juan annonce à Teodora qu’il renonce à l’épouser car il a donné sa parole à son ami Marcelo de n’en rien faire. Don Juan et Blanca se retrouvent et s’avouent leur amour. Cependant, Gerardo a déjà fait venir le notaire pour signer l’acte de mariage avec don Félix. Ainsi, le couple doit trouver un moyen de retarder cette procédure.
C’est Tomé qui est à l’initiative de la ruse. Il propose d’annoncer que Blanca s’est empoisonnée en mangeant des herbes vénéneuses à la Casa de Campo plus tôt dans l’après-midi. En apprenant la nouvelle de la maladie de sa fille, Gerardo reporte les noces au lendemain, et fait venir un médecin. Tomé dévoile à Marcelo le stratagème ourdi par don Juan et Blanca. Le valet propose d’organiser trois unions : Blanca/Juan ; Teodora/Marcelo ; Inés/Tomé. Marcelo approuve l’idée et il invente une ruse consistant à faire croire au barbon qu’il est impératif de simuler le mariage entre Blanca et don Juan, pour rendre à la dama sa raison perdue. Gerardo accepte cette proposition et se retrouve contraint de cautionner ces noces en fin de comedia.
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