Tentative de construction d’un « big data manuel » ou comment essayer d’agir à distance en établissement un ensemble de prescriptions

Tentative de construction d’un « big data manuel » ou comment essayer d’agir à
distance en établissement un ensemble de prescriptions

L’échafaudage du module de formation fait s’affronter plus particulière ment deux positions, une défendue par les agents de la DRAAF et de TETIS et l’autre par ceux de la DREAL. La position DRAAF/TETIS est la conception d’un ensemble de données qui possèderaient une focale positionnée comme légitime, pertinente et qu’il faudrait défendre, avec une méthode im plicite associée qui serait la nécessité de veiller à ce que les concepteurs de documents d’urbanisme considèrent comme centrales les données agricoles.

Pour les agents de la DRAAF et de TETIS, il faut construire une focale comme un lieu d’attention autour des données agricoles, avec l’idée qu’une fois cette attention construite chez les acteurs de l’urbain ces préoccupations vont faire partie de ce qui va alimenter leur conception des PLU.

Les agents de la DREAL sont, quant à eux, plutôt dans l’idée de rassembler des données supposées « tout couvrir », sans centre a priori, mais enfaisant del’agricole un desélémentsàprendreencompte.Laquestiondelaméthodese pose aussi mais avec l’idée qu’il devrait être possible de combiner des mondes de données. C’est l’idée qui est véhiculée notamment au travers du vocable de « couche ».

Selon cette conception, le monde 277 Chap. 8. Des données et des méthodes serait constitué d’un ensemble de couches stratifiées qu’il suffirait de bien « forer » pour concevoir le bon PLU. Or, l’impossibilité de penser la situation et d’en construire une analyse par la seule accumulation de données est apparue lors des visites de terrain et lors de la rédaction du corrigé. L’objet de ce chapitre est, en se concentrant plus particulièrement sur la rédaction du corrigé (Annexe E), de montrer que les données ne peuvent se penser sans les méthodes, sans leurs significations, ni sans l’orientation de l’action.

Il s’agit dans un premier temps d’interroger le système de pensées qui agit les agents du module de formation et qui est caractéristique des ingénieurs (Scardigli, 2001; Sainsaulieu & Vinck, 2014; Vatin, 2008). La conception des différents acteurs s’inscrit dans la vision d’un panoptique, une vision « exhaustive », dans le mythe de l’Encyclopédie, selon laquelle plus il y a d’éléments mieux c’est. La pensée ingénieur est aussi une pensée de l’articulation.

Cette pensée ingénieur se fonde sur la Science et la Technique afin de décomposer « le monde » en grandes fonctions sur lesquelles il serait possible d’agir de façon « efficace » et « rationnelle ». Ce faisant, nous souhaitons montrer que cette accu mulation de données, observée au travers du chapitre 7, ainsi que les tentatives d’en proposer des combinatoires afin de déterminer la « bonne » option d’aménagement ne provient pas simplement des préconçus et des façons de faire de ces agents, mais que la construction de ce que nous qualifions de «big data manuel »participe d’un mouvement plus large s’inscrivant dans la culture de l’ingénieur (Sainsaulieu & Vinck, 2014).

Par ailleurs, les données accumulées au sein du moduledeformationsontdesdonnéesnumériques issues de politiques « d’ouverture des données ». Or, le numérique « est une fantastique machine à dé-sémantiser les données pour les rendre calculables » (Bachimont, 2012; Collomb, 2016). Plus les acteurs cherchent à accumuler des données qui ont été démondanisées (Feenberg, 2004), plus les données sont délocalisées, désémantisées pour les rendre calculables, et plus le travail à faire pour retrouver du sens est important.

Ainsi, les acteurs du module de formation s’inscrivant dans une logique big data, consistant à tenter de résoudre un problème à travers l’accumulation de données, démultiplie ce problème, parce que le travail pour reconstruire le sens des données est rendu de plus enplus complexe. Or,aveclemouvementdesbig dataondésémantiseencorepluslesdonnéestouten invisibilisant encore plus le travail requis pour faire sens.

Dans cette logique des big data, il y a l’idée que des données dé-mondanisées vont suffire à rendre compte de ce qu’elles sont censées mesurer et qu’elles disent tout sur ce dont elles sont censées rendre compte. La construction du corrigé répondait ainsi au « fantasme » de construire un échafaudage de don nées, d’éléments de méthodes, de façons-de-faire et de façons-de-voir universel et absolu qui donne 278

Des données et des méthodes rait toutes les « bonnes » informations et permettraient de déterminer où il serait préférable d’urba niser. Nous verrons néanmoins dans ce chapitre que cet échafaudage n’implique pas la « sélection » de données qui seraient « disponibles sur l’étagère » et qui « parleraient d’elles-mêmes », c’est-à-dire dont « le sens et l’usage seraient déjà là, de l’ordre de l’évidence une fois “réceptionnée” » (Mayère, 2016).

Il suppose déjà d’instaurer des éléments inscrits dans des usages, dans des situations locales, commedesensembles de données qui véhiculent des définitions et des préoccupations particulières. Deplus, nous verrons que la construction des combinatoires ne suppose pas seulement de mobiliser des ensembles de données déjà délocalisées, décontextualisées, c’est-à-dire supposées s’insérer dans d’autres contextes d’usages que ceux dont elles sont issues (Denis & Goëta, 2017); 

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