Quelques éléments pour une généralisation du modèle des canons rythmiques de pavage
Dans la première partie de cette étude, nous avons souligné comment le processus de formalisation peut parfois prendre des directions tout à fait nouvelles grâce à certaines questions théoriques posées par des compositeurs.
C’est ainsi que des problèmes combinatoires posés par Milton Babbitt289, des observations sur la portée de la théorie des cribles en analyse musicale ou encore des questions sur la nature algébrique du calcul des différences finies, deviennent le point de départ pour une formalisation des structures musicales qui peut aller très loin par rapport aux intuitions initiales.
Un phénomène tout à fait semblable a concerné récemment la théorie des canons rythmiques. Le point de départ fut encore une fois un certain nombre de questions posées par les compositeurs autour de l’aspect computationnel de certaines structures canoniques.
Un des problèmes qui ont le plus fait avancer la recherche théorique sur les canons rythmiques de pavage, a sans doute été le problème posé par le compositeur Tom Johnson sur le processus d’augmentation et ses rapports avec la notion de pavage [JOHNSON 2001].
Sans analyser le problème posé par Tom Johnson, il nous semble important de souligner que sa démarche a permis de transformer le concept même de canon rythmique. Dans l’approche traditionnelle, un canon rythmique est défini par « translation » temporelle d’une même structure rythmique.
Si l’on considère des processus contrapontiques classiques, comme l’augmentation ou la diminution, la structure algébrique sous-jacente au modèle change. La structure de groupe cyclique est remplacée par une structure algébrique différente : celle de groupe affine. Un des outils les plus intéressants qui ont été proposés pour manipuler ce type d’opération sur les structures rythmiques est la représentation polynomiale d’un canon rythmique.
Plus précisément, cette représentation utilise des polynômes à coefficients 0 ou 1, qu’on cherche à factoriser avec des polynômes du même type. Un tel polynôme sera aussi appelé « polynôme 0-1 »290. À travers la notion de polynôme 0-1, il est possible de formaliser un canon rythmique par simple produit de polynômes.
Un canon rythmique est un polynôme 0-1 qui est le produit de deux polynômes 0-1. Par exemple, à partir des deux polynômes P(x)=1+x+x4 et Q(x)=1+x2, respectivement de degrés 4 et 2, on peut définir par simple produit polynomial le polynôme suivant T(x)=1+x+x2+x3+x4+x6 de degré 6
Interludium : la conjecture d’Hermann Minkowski comme problème « mathémusical »
Cette partie est consacrée à une présentation, à la fois historique et mathématique, des ramifications algébriques et musicales d’une ancienne conjecture de la fin du XIXe siècle. La conjecture a été proposée par Hermann Minkowski, l’inventeur de la vision de la théorie des nombres au sens moderne, dans Geometrie der Zahlen [MINKOWSKI 1896] sous la forme d’un problème d’approximation simultanée de plusieurs nombres réels par des nombres rationnels.
La conjecture généralise un résultat connu en théorie des nombres et concernant l’approximation d’un nombre réel a par un nombre rationnel q=x1 /x2 tel que : a-q < 1/tx2 avec 0 < x2 < t et le nombre réel t > 1 Dans le cas général, la conjecture de Minkowski concerne l’approximation des nombres réels a1, a2, …, an-1 avec des entiers x1, x2, …, xn tels que, si l’on note qi le nombre rationnel générique xi /xn et t un nombre réel strictement positif tel que 0< xn< t n-1, la condition suivante soit vérifiée pour tout indice i : ai-qi < 1/txn