Quel(s) service(s) d’eau à paris à l’avenir
« Si l’on n’arrête pas le progrès, on peut en tout cas le réorienter » (BERLAN, 2003: 55). Face à la crise de durabilité du service public d’eau à Paris, il nous reste enfin à envisager des solutions qui seront capables de modifier les dynamiques et les configurations sociotechniques en cours ; à « penser le changement » au delà d’une simple réduction des impacts mesurée d’une année à l’autre (n/n+1), et au delà des seules solutions locales et curatives vouées à redevenir insuffisantes à moyen terme.
Dans ce dernier chapitre de notre travail de recherche, nous allons tout d’abord présenter l’intérêt et l’originalité d’une approche prospective pour étudier les futurs possibles du service d’eau à Paris (Section 1). Enfin, nous terminerons cette thèse par la présentation de plusieurs scénarios possibles d’ici à 2050, afin d’expliciter les différentes solutions envisageables et les cheminements qu’elles impliquent, et de discuter de leurs conséquences respectives (Section 2).
Proposer une étude prospective de l’avenir
« Personne ne peut dire quel développement ce service prendra à l’avenir » (BELGRAND, 1875 : 86). Pour approcher l’avenir du service d’eau à Paris, une multitude de méthodes peuvent être mobilisées, à condition de reconnaître la limite de ce genre d’exercice : les connaissances actuelles ne permettent pas de prédire l’avenir, qui est par définition incertain ; elles permettent seulement de prévoir des avenirs possibles à plus ou moins long terme, selon diverses hypothèses.
Afin de proposer une analyse scientifique de l’avenir du service public d’eau à Paris et de sa durabilité, adaptons à nouveau notre cadre d’analyse, cette fois pour l’étude prospective de l’avenir. 1. Introduction à la prospective Notre analyse du futur du service public d’eau à Paris s’appuie sur une démarche prospective.
La démarche prospective : intérêts et originalités
La démarche prospective (future studies) est une approche qui propose « d’éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles » (DENIZOT, 2010: 11). Il ne s’agit ni d’une divination, ni d’un utopisme, ni d’une simple opinion… mais d’une méthode pour mener un travail rigoureux de construction d’hypothèses, afin de mettre en forme des « images du futur » plurielles, cohérentes et possibles (JULIEN et al., 1975: 99 ; MERMET, 2005 : 78).
De façon générale, une démarche prospective permet de répondre à deux questions complémentaires : « que peut-il advenir? » et « que peut-on y faire? » (LOINGER et SPOHR, 2005: 29). Ces deux questions correspondent à deux façons d’aborder l’avenir : la prospective stratégique (normative) et la prospective exploratoire (spéculative).
Tableau 43 : Deux facettes de la prospective (DENIZOT, 2007 : 24-26, LOINGER et SPOHR, 2005 : 29) Prospective stratégique Finalité Formule et vise un avenir jugé possible et souhaitable (normatif), puis définit des actions pour l’atteindre.
Prospective exploratoire Explore divers avenirs possibles, indépendamment de leur désirabilité ou probabilité. Objet Exprime des choix cohérents et crée les conditions de sa mise en œuvre (approche balistique, recherche d’un cheminement). Invite au débat collectif sur l’avenir, qui sera d’autant plus riche qu’il est porteur de contradictions et de controverses.
Si la finalité reste la même – envisager l’avenir –, l’approche stratégique vise à réduire l’incertitude de l’avenir, tandis qu’à l’inverse l’approche exploratoire « se préoccupe d’incertitudes » en étudiant ce que les acteurs pensent pouvoir (possible), savoir (probable) et vouloir (souhaitable) (DENIZOT, 2007: 22). L’intérêt d’une étude prospective est donc de combiner à la fois la compréhension des dynamiques structurantes afin d’atteindre un objectif (stratégie normative), et d’imaginer des ruptures et des alternatives possibles (spéculation exploratoire).
Pour étudier la durabilité du service public d’eau à Paris à l’avenir, il nous faut donc compléter nos connaissances sur les dynamiques et les trajectoires passées et présentes (cf. supra : P2 et P3), par l’étude des décisions et des évènements encore possibles à l’avenir. Pour ce faire, « les tendances passées et présentes [nous seront utiles] ‘comme support à la réflexion’ et non comme une cage qui emprisonne le futur dans les limites du présent » (MASSE 1965, cité par JULIEN et al., 1975 : 10).
Car la prospective ne vise pas à prédire l’avenir le plus probable, mais à réfléchir à divers avenirs possibles cohérents, afin de questionner leur probabilité et leur désirabilité. En cela, c’est un outil de discussion collective, qui ouvre le débat plus qu’il ne le ferme.Pour cela quatre étudiants, Kyle Gabler, Kyle Gray, Matt Kucic et Shalin Shodhan, se sont « enfermés » dans une pièce pendant un semestre en se fixant trois règles.