Qu’est-ce que la délinquance au Moyen Âge
Si nous nous référons à nos dictionnaires actuels, la délinquance est « l’ensemble des infractions commises en un temps et en un lieu donnés »7. Cependant, se contenter de cette définition ne nous paraît guère satisfaisant dans le cadre de notre étude, dans la mesure, d’une part où elle se réfère à un aspect essentiellement pénal, et d’autre part qu’elle répond à des normes qui n’ont, pour certaines d’entre elles en tous cas, rien à voir avec les conceptions médiévales du bien et du mal.
Pour tenter de mieux cerner cette délinquance telle qu’elle se présentait au Moyen Âge, il nous a donc semblé nécessaire, avant tout, de la revisiter afin de bien maîtriser tout ce qu’elle pouvait recouvrir. Etymologiquement, le terme provient du verbe latin delinquo qui peut prendre les différentes significations suivantes : « faire une faute », « se tromper », « défaillir », « commettre une erreur ».
Il peut donc s’agir aussi bien d’un véritable crime que d’une faute morale, d’un péché, ou bien encore d’un simple manquement au devoir9. Et c’est là que le rapport de la délinquance à la loi devient un critère essentiel dans la mesure où lui seul peut nous guider dans l’appréhension d’un concept particulièrement fluctuant et donc peu aisé à cerner avec précision. Nous ne retiendrons donc, pour notre part, que la notion admise aujourd’hui de délit reconnu et puni comme tel par la loi, ou plutôt, devrions-nous dire, par les lois.
Car le droit médiéval était bien différent de notre droit actuel. Droit canon ou droit civil, droit issu du monde romain connu et compilé sous le nom de « Code justinien », ou des lois barbares, droit écrit ou droit coutumier, il n’existait pas alors un seul code civil comme celui que nous connaissons aujourd’hui, mais différentes normes qui pouvaient varier d’une région à une autre, un système judiciaire qui était alors en pleine construction, après le mélange culturel qu’avait apporté l’installation de peuples nouveaux
– tels les Francs dans le monde gallo-romain –, l’implantation de la religion chrétienne et de ses propres règles, et même en pleine reconstruction devrions-nous dire, après la période féodale qui avait vu, à partir du Xe siècle, la déliquescence d’un Etat centralisé au profit d’une multitude de seigneuries locales qui s’étaient appropriées la plupart des pouvoirs, dont en particulier, celui de la justice.
Nous serons donc amenés à rencontrer des formes très diversifiées de cette délinquance : ▪ Tous les types d’agressions : – Contre les personnes, qu’elles soient verbales comme les insultes ou les moqueries, ou physiques, se terminant alors ou non par la mort d’un des protagonistes, – – Contre les biens, comme par exemple les incendies volontairement allumés, mais plus souvent, les vols sous toutes leurs formes, du simple chapardage au cambriolage avec effraction,
Les deux se combinaient d’ailleurs parfois par l’intermédiaire de ceux qui tuaient pour détrousser leurs victimes. ▪ Les délits liés à la gente féminine, allant de l’adultère au rapt et au viol, en passant par la fréquentation des prostituées. ▪ Divers non-respects d’interdits, tels le port d’armes ou bien encore la pratique d’une activité sans en avoir l’autorisation, comme par exemple la pratique illicite de la médecine par des étudiants n’ayant pas obtenus leurs diplômes.
Cette liste non exhaustive montre bien à quel point la délinquance pouvait se décliner sous de nombreux aspects allant du crime le plus grave au délit le plus mineur. La subjectivité dans ce domaine nous conduira d’ailleurs à la plus grande prudence puisque là encore, l’échelle de cette gravité était loin d’être la même que celle que nous connaissons aujourd’hui.
En France, la période où émergèrent les premières universités au tout début du XIIIe siècle, correspond à celle où l’Etat royal commença à se réapproprier un certain nombre de prérogatives, dont celle, entre autres, de lutter contre la délinquance et contre les délinquants. Car bien avant le Moyen Âge, ceux-ci avaient déjà été mis au ban de la société et en particulier par les grands penseurs de l’Antiquité comme Aristote qui les considérait comme « des êtres malfaisants » 10 qu’il fallait éliminer, ou comme Platon qui voyait leurs crimes comme étant le symptôme d’une « maladie de l’âme »