METHODES D’INVESTIGATION DE LA MENACE DU STEREOTYPE DANS LE DOMAINE PHYSIQUE ET SPORTIF
Dans cette partie, nous nous intéresserons aux différentes techniques d’investigation des stéréotypes sexués et des stéréotypes liés à l’âge dans le domaine physique et sportif. Plus précisément, nous évoquerons les différents modes d’induction des stéréotypes ainsi que les différentes conditions expérimentales permettant leur investigation.
Modes d’induction des stéréotypes négatifs dans le domaine physique et sportif
Les auteur.e.s évaluant les effets des stéréotypes sexués dans le domaine physique et sportif ont utilisé différentes méthodes effectives pour induire une situation de menace du stéréotype. Parmi ces méthodes, deux ont été majoritairement utilisées, à savoir la mise en avant de différences groupales sur le test à effectuer et la mise en avant de caractéristiques stéréotypiques liées à la tâche. Concernant la première méthode, l’objectif est d’évoquer la supériorité d’un groupe social par rapport à un autre. Chalabaev, Brisswalter et al. (2013) ont, par exemple, énoncé à leurs participant.e.s que « the study assessed gender differences on the strength task » et que « females had been shown to underperform on the test relative to males » (p. 212) (voir aussi Cardozo & Chiviacowski, 2015 ; Chalabaev, Stone et al., 2008 ; Heidrich & Chiviacowski, 2015 ; Hermann & Vollmeyer, 2016 ; Hively & El-Alayli, 2014 ; Huber et al., 2015, 2016 ; Laurin, 2013, 2017a ; Stone & McWhinnie, 2008).
Concernant la deuxième méthode, les auteur.e.s mettent généralement en évidence des caractéristiques liées à la tâche favorisant un groupe par rapport à un autre, sans toutefois énoncer de potentielles différences groupales. Par exemple, Chalabaev, Sarrazin et al. (2008) ont présenté une tâche de dribbles en football comme mesurant « personal factors correlated with athletic ability », définie comme « abilities related with strength, speed and power » (p. 148), mettant en exergue le stéréotype lié aux compétences plus faibles des femmes dans le domaine physique et sportif par rapport aux hommes (voir aussi Stone & McWhinnie, 2008 ; Stone et al., 1999). Certaines études ont, quant à elles, utilisé ces deux méthodes : elles ont mis en avant des caractéristiques stéréotypées (e.g., capacités physiques) tout en évoquant l’infériorité d’un groupe sur la tâche par rapport à un autre (e.g., les femmes) (e.g., Heidrich & Chiviacowski, 2015 ; Stone & McWhinnie, 2008). Ces différentes manipulations de stéréotypes sont effectives dans le but d’induire un stéréotype négatif à l’encontre d’un groupe. Ces techniques d’induction ont permis dans la majorité des études de généraliser les effets de menace du stéréotype dans le domaine physique et sportif chez les femmes.
Pour investiguer les effets des stéréotypes liés à l’âge sur la performance physique et sportive des seniors, les manipulations des stéréotypes ont parfois été différentes de celles utilisées dans l’investigation des stéréotypes sexués (e.g., Chiviacowski et al., 2018 ; Horton et al., 2010 ; Swift, Lamont, & Abrams, 2012). En effet, Chiviacowski et al. (2018) et Swift et al. (2012) ont plutôt utilisé une comparaison sociale pour induire leurs différentes conditions. Par exemple, Chiviacowski et al. (2018) ont déclaré à leurs participantes que « their performance would be compared with performance of young adults » (p. 210). Dans l’étude de Marquet et al. (2018), en plus d’annoncer à leurs participant.e.s que l’objectif de l’étude était d’étudier l’équilibre chez des seniors âgés de 65 ans et plus, les participant.e.s devaient remplir une courte enquête qui fournissait aux participant.e.s des informations négatives sur les capacités d’équilibre liées à l’âge. Enfin, Horton et al. (2010) ont, quant à eux, donné à lire à leurs participant.e.s un texte discutant de recherches scientifiques, et notamment le fait que les capacités physiques des seniors sont plus faibles que celles d’adultes plus jeunes. Les différences de manipulation entre les stéréotypes sexués et les stéréotypes liés à l’âge rendent la comparaison des résultats entre ces deux populations difficiles (voir section 3.2.2.)23. Après avoir évoqué les différentes manipulations employées par les auteur.e.s dans la littérature scientifique pour induire un stéréotype, la prochaine partie s’intéressera aux différentes conditions expérimentales utilisées pour mettre en évidence un effet de menace du stéréotype.
Les différentes conditions expérimentales
Pour évaluer l’effet de l’induction d’un stéréotype négatif à l’encontre des femmes ou des seniors sur la performance des femmes et des seniors dans le domaine physique et sportif, les auteur.e.s ont comparé une condition où le stéréotype est rendu saillant (i.e., condition stéréotypique) à soit une condition contre-stéréotypique, soit une condition contrôle. Pour la condition contre-stéréotypique, les auteur.e.s présentent généralement les différents groupes sociaux comme étant égaux sur la tâche à réaliser (e.g., « the test had not been shown to produce gender differences » : Chalabaev, Brisswalter et al., 2013, p. 212 ; voir aussi Cardozo & Chiviacowski, 2015 ; Heidrich & Chiviacowski, 2015 ; Hively & El-Alayli, 2014) alors que pour la condition contrôle, aucune référence à la catégorie sexe n’est abordée lors de la présentation des consignes (e.g., « the test was designed to measure psychological factors correlated with general sports performance », Stone & McWhinnie, 2008, p. 448 ; voir aussi Chalabaev, Stone et al., 2008 ; Hermann & Vollmeyer, 2016 ; Moè, Cadinu, & Maass, 2015).
Ces deux conditions ont été utilisées de manière interchangeable dans la littérature mais aucune étude n’a, dans le domaine physique et sportif, comparé ces deux méthodes pour s’assurer qu’elles puissent être utilisées comme condition contrôle. Cependant, une étude dans le domaine cognitif a montré que ces deux conditions pouvaient entrainer des résultats différents (Spencer et al., 1999, étude 3). Dans cette étude, avant la réalisation de la tâche de mathématiques, les auteur.e.s avaient informé la moitié des participant.e.s qu’il n’existait pas de différences de performance entre les hommes et les femmes sur la tâche (i.e., condition contre-stéréotypique). Pour les participant.e.s restant.e.s, aucune information liée aux différences de sexe n’était évoquée (i.e., condition contrôle). Les résultats ont montré que les femmes dans la condition contre-stéréotypique obtenaient une meilleure performance, caractérisée par un nombre de bonnes réponses plus élevé, que les femmes de la condition contrôle. Par conséquent, il semble nécessaire, dans le domaine physique et sportif, de comparer une condition où un stéréotype négatif envers un groupe social est induit à une condition où ce stéréotype est nullifié (i.e., condition contre-stéréotypique), et à une condition purement contrôle. Au travers de ces différentes conditions expérimentales, les auteur.e.s ont pu observer et répliquer les effets de menace du stéréotype dans le domaine physique et sportif. Ces effets seront abordés dans la prochaine section.
Stéréotypes sexués et performance physique et sportive
Une généralisation importante des effets des stéréotypes sexués sur la performance physique et sportive des femmes
La majorité des études évaluant les effets de menace du stéréotype dans le domaine physique et sportif s’est intéressée aux femmes (pour une méta-analyse voir, Gentile et al., 2018). Cinq études ont observé cet effet sur des tâches de football (Chalabaev, Sarrazin et al., 2008 ; Grabow & Kühl, 2019 ; Heidrich & Chiviacowski, 2015 ; Hermann & Vollmeyer, 2016 ; Martiny et al., 2015, étude 1) et ont montré qu’induire un stéréotype négatif à l’encontre des femmes entrainait une baisse de la performance à la fois des participantes expertes dans le domaine (Chalabaev, Sarrazin et al., 2008 ; Grabow & Kühl, 2019 ; Hermann & Vollmeyer, 2016 ; Martiny et al., 2015, étude 1) mais également des participantes débutantes (Heidrich & Chiviacowski, 2015). A titre d’exemple, Chalabaev, Sarrazin et al. (2008) ont recruté 51 joueuses de niveau régional en France. Après la réalisation d’une tâche de dribbles (i.e., slalom), les participantes ont été aléatoirement réparties dans trois conditions avant de réaliser une deuxième fois la tâche. Tout comme l’étude de Stone et al. (1999), les stéréotypes ont été induits en modifiant l’habillage de la tâche : cette dernière était présentée soit comme une mesure des capacités physiques (i.e., condition menace/physique), soit comme une mesure des compétences techniques en football (i.e., condition menace/technique), soit comme une mesure des facteurs psychologiques associés à la performance (i.e., condition contrôle). Comme attendu, les participantes assignées à la condition menace/physique ont obtenu des performances significativement plus faibles que les participantes assignées à la condition contrôle (i.e., effet de menace du stéréotype). Les femmes assignées à la condition menace/technique performaient également moins bien, de manière tendancielle, que les femmes du groupe contrôle. Les hommes étant perçus plus compétents que les femmes dans ce sport (e.g., Martiny et al., 2015), et notamment de par leurs capacités physiques, l’habillage de la tâche a permis d’induire le stéréotype d’infériorité des femmes en football, entrainant ainsi une chute de performance.