Profils d’usagers du mobile dans l’informel et performances des entreprises informelles
L’un des principaux apports de cette étude repose sur l’exploration minutieuse des différentes fonctions des usages numériques à des fins professionnelles au sein des micro- et petites entreprises de l’informel dakarois et l’articulation ce celles-ci avec les performances économiques des unités de production. Au-delà des trois grandes fonctions économiques analysées précédemment, l’usage du mobile s’avère être de nature particulièrement multidimensionnelle.
D’une part parce que ces grandes fonctions sont susceptibles de se compléter entre elles et d’autre part parce que derrière l’usage de chacune de ces fonctions se cachent d’autres dimensions touchant à la fois à des questions d’intensité d’usage (fréquence) et de nombre de fonctions et de dispositifs techniques utilisés. Dans cette perspective, sur la base d’une catégorisation de nos principales variables sous l’angle de l’amplitude, de la profondeur et de l’intensité des usages (2.1.),
une typologie des usagers est proposée à partir des outils de la statistique exploratoire multidimensionnelle (2.2). Les corrélations entre profils d’usager et performances économiques des établissements sont ensuite testées (2.3.).
La multi-dimensionnalité des usages professionnels du mobile : amplitude, profondeur et intensité
Afin de prendre en compte la multidimensionnalité des usages professionnels du mobile nous proposons de considérer, au-delà des différentes fonctions, trois grandes dimensions : l’amplitude, la profondeur et l’intensité des usages. En comptabilisant le nombre de fonctions adoptées, l’amplitude représente la diversité des pratiques numériques. La profondeur mesure plutôt le nombre de dispositifs techniques utilisés pour remplir ces fonctions.
Enfin l’intensité fait référence à la fréquence des usages. Au regard de l’amplitude, et de manière cohérente avec nos analyses précédentes, nous comptons quatre usages de coordination (amont, aval, horizontale et multilatérale), trois usages liés à la finance (envoi, réception et épargne d’argent via le portable) et trois usages de gestion (enregistrement d’information, gestion des comptes/stocks/transactions et communication au sein de l’entreprise).
La mesure de l’amplitude rend compte, par conséquent, de la variété des usages pour l’activité de l’unité de production informelle. Dans l’analyse multidimensionnelle, nous considérons les différents usages comme des variables dichotomiques où la valeur 1 se traduit par l’adoption de la sous-fonction en question, 0 si non. Les différentes fonctions professionnelles retenues peuvent être réalisées par l’intermédiaire d’une ou plusieurs interfaces.
La notion de profondeur est donc naturellement liée à l’amplitude des usages puisque certaines ne sont accessibles que par l’usage d’une application spécifique. Cependant, il s’agit ici de mesurer la capacité de l’entrepreneur à mobiliser de nouvelles applications, ce qui témoigne de 31 sa polyvalence numérique. La profondeur se présente comme une variable score variant de 0 à 7 où chaque point correspond à l’usage d’une interface. Les interfaces retenues permettent d’exploiter les 10 sous-fonctions identifiées.
Nous distinguons les interfaces de communication directe par écrit (les SMS classiques et les messages par applications de messagerie) et par voix (les appels classiques et les appels via les applications de messagerie). Ensuite les applications de transfert d’argent correspondent à l’usage des interfaces spécifiques aux entreprises spécialisées. S’il s’agit d’un opérateur mobile, pour accéder aux services de mobile money il suffit d’envoyer un SMS.
Enfin nous considérons l’exploitation des sites internet et d’autres applications numériques qui relèvent d’usages plus avancés (e-mail, vidéo ou autres applications). Ainsi, un entrepreneur obtient un point pour chaque interface utilisée. La mesure de profondeur cherche donc à évaluer la diversité des usages numériques en toute généralité ; elle peut être rapprochée des mesures de la fracture numérique, qui, au-delà de l’équipement et de l’accès, cherchent à repérer les inégalités d’usages des TIC (DiMaggio & al., 2004 ; Van Deursen & Van Dijk, 2014).