Deux lieux de vie aux statuts juridiques proches

Deux lieux de vie aux statuts juridiques proches

Au Québec, une coopérative est « une personne morale regroupant des personnes ou sociétés qui ont des besoins économiques, sociaux ou culturels communs et qui, en vue de les satisfaire, s’associent pour exploiter une entreprise conformément aux règles d’action coopérative. »19. En d’autres termes, une coopérative est une association autonome de personnes qui partagent des aspirations et des besoins économiques, sociaux et culturels communs, unies volontairement dans une entreprise à propriété collective et démocratiquement contrôlée20. Certaines coopératives ont été créées pour des clientèles spécifiques : personnes âgées, familles monoparentales, etc (Legaré, Laverdière et Dugas, 2012). La plupart n’ont cependant aucune vocation particulière. En France, une résidence autonomie est un mode d’habitat au sein duquel des aînés de plus de 60 ans vivent dans des logements individuels21. Des prestations individuelles ou collectives sont proposées dans le but de prévenir la perte d’autonomie. Au sein de ces établissements, la proportion de personnes dont le niveau d’autonomie est classé GIR22 1 à 3 ne doit pas dépasser 15% du nombre total de résidents. La résidence autonomie partenaire de notre recherche possède un statut juridique ayant des points communs avec les coopératives. En effet, son contrat d’association loi 190123 repose sur le principe légal de convention par laquelle deux ou plusieurs  personnes mettent en commun leurs connaissances ou leurs activités dans un but qui n’est pas le partage de bénéfices.

Les instances participatives

La CQCH24 (2009) spécifie qu’une « coopérative d’habitation, c’est un immeuble ordinaire (…) où habitent des personnes qui sont à la fois locataires de leur logement et collectivement propriétaires de l’immeuble. Comme propriétaires collectifs, les membres assument ensemble la gestion complète et autonome de leur édifice et de la coopérative. Cette gestion collective se concrétise par une participation démocratique aux assemblées, de même que par une contribution active aux différents comités nécessaires à la bonne marche de la coopérative. » Différentes instances participatives permettent la pleine expression du pouvoir démocratique des membres et la mise en œuvre du principe d’engagement communautaire. Ces instances participatives sont l’assemblée générale (où, contrairement aux entreprises à but lucratif, chaque membre dispose d’un droit de vote égal à l’assemblée des membres), le conseil d’administration ainsi que des comités. Les comités prennent en responsabilité les différentes tâches inhérentes au bon fonctionnement de la coopérative, les membres y participent volontairement et selon leurs compétences. Ainsi, « la gestion à court terme et à long terme d’une coopérative relève ultimement de décisions prises collectivement par ses membres » (Légaré et al., ib.). Au sein de la coopérative partenaire de notre recherche il existe par exemple des comités pour l’organisation des animations, l’admission d’un nouveau membre aîné ou encore la sécurité.
Dans les résidences autonomie, la dimension participative est une obligation légale25 qui se traduit notamment par la création d’un conseil de vie sociale ou d’un conseil de résidents au sein de l’établissement. Le conseil de vie sociale comprend « au moins deux représentants des personnes accueillies ou prises en charge (…), un représentant du personnel et un représentant de l’organisme gestionnaire »26. Cette instance « donne son avis et peut faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l’établissement ou du service, notamment sur l’organisation intérieure et la vie quotidienne, les activités, l’animation socioculturelle et les services thérapeutiques, les projets de travaux et d’équipements (…) l’animation de la vie institutionnelle et les mesures prises pour favoriser les relations entre ces participants ainsi que les modifications substantielles touchant aux conditions de prises en charge ».

Accompagnement et autonomie

L’Enquête sur le profil socioéconomique des résidents de coopératives d’habitation (2012, CQCH) révèle une hausse continue de la moyenne d’âge des résidents depuis 1996, avec la proportion des 65 ans et plus qui a doublé entre 1987 et 2012 (passant de 13 % à 28 % de l’échantillon représentatif interrogé). A ce titre, la question des possibilités pour les coopératives d’habitation de maintenir une personne aînée en perte d’autonomie dans son logement se pose globalement (CQCH, 2009) mais aussi localement au sein de la coopérative partenaire. En effet, une partie des résidents présente des difficultés motrices et/ou cognitives engendrant une dépendance en partie compensée par l’aide apportée par les autres résidents. En France, la résidence autonomie est un établissement accueillant principalement des aînés dont l’autonomie ne requiert pas d’assistance médicale continue. La moyenne d’âge des résidents de l’institution française partenaire était de 85 ans en 2013, cette moyenne reste stable mais l’âge médian des résidents augmente ainsi que les difficultés liées à la perte d’autonomie.
La question de l’autonomie traverse les deux institutions dont les résidents, en avançant en âge, nécessitent un soutien de plus en plus fort de la part des aidants de sorte qu’ils pourraient être obligés de quitter l’établissement pour rejoindre une institution médicalisée ou pour personnes dépendantes. Pourtant, la volonté de vieillir dans leur lieu de vie, familier, est forte pour les aînés en France comme au Québec. C’est justement sur cette reconnaissance des besoins et souhaits spécifiques des aînés, ainsi que de leur expertise quant à leur vie quotidienne, que se construit le projet Amelis dans le but de développer des technologies utiles au maintien de la participation sociale et de l’autonomie.

Cartographie des pratiques d’AME

Introduction à l’étude B1E1

Un calendrier électronique peut être considéré comme un artefact technique (Norman, 1993) que les aînés utiliseront en tant qu’aide-mémoire externe (AME). Selon la définition de Harris (1980), l’aide-mémoire externe correspond à une stratégie mnésique compensatoire mise en place pour soutenir l’activité quotidienne. Faire un nœud dans un mouchoir ou rédiger une liste constituent deux exemples d’AME. Les AME participent à la planification, la prise de décision, au rappel ou encore à la réalisation de tâches ou d’événements.
L’aide-mémoire externe vient s’inscrire dans un système d’activité réel, déjà existant, constitué d’acteurs et d’instruments interagissant dans un environnement dynamique. Ce système est, en partie, spécifié par le contexte gérontologique. Les théories de la gérontologie sociale permettent d’appréhender le vieillissement comme un processus situé engendrant, d’une part, la redéfinition du réseau interpersonnel de la personne, et d’autre part, des transitions identitaires liées à l’avancée en âge. Par ailleurs, le vieillissement biologique entraîne un déclin de fonctions sensorielles, motrices (notamment de la motricité fine) et cognitives (notamment en mémoires de travail et déclarative) particulièrement mobilisées dans l’usage d’un aide-mémoire. Et sur le plan psychologique, le sujet met en œuvre un processus d’adaptation sollicitant son histoire, sa subjectivité, ses émotions, ses perceptions, l’ensemble de ses ressources internes et externes, ou encore ses buts et motivations. Ainsi, l’expérience biopsychosociale du vieillissement peut participer au développement des usages mais aussi de l’acceptation d’artefacts tels que les AME. Dans ce contexte gérontologique, l’usage d’un AME peut assurer plusieurs fonctions utiles auprès du ou des sujet(s) utilisateur(s). Un AME pourrait trouver une fonction d’organisation du temps et de soutien cognitif, mais aussi une fonction procédurale, affective, de sécurité, identitaire, de participation sociale ou permettre de développer des connaissances (tab.20). Cependant, pour que l’AME trouve effectivement une pertinence auprès de l’utilisateur, ce dernier doit l’accepter. La revue de littérature sur les AME (Chapitre 1) avait ainsi permis d’identifier plusieurs facteurs d’acceptation concernant les intentions et expériences d’usage d’AME, la qualité et l’utilité réelle de l’artefact, la symbolique et les valeurs véhiculées par le système, mais aussi, des facteurs liés à l’environnement social ainsi qu’au sujet lui-même.

Recueil de données et matériaux

Le matériau est constitué des verbatims recueillis durant les entretiens collectifs (EC) initiaux complétés par des observations d’AME à domicile28. Un EC a eu lieu dans chaque résidence, regroupant 7 participants en France et 15 au Québec. Quatre observations ont été conduites. La technique d’entretien collectif s’inspire des focus groups (Baribeau, 2009 ; Comby, 2011 ; Deslauriers, 1991 ; Morgan, 1996). Au cours de ces entretiens, les échanges entre participants constituent « un ensemble de discussions sous forme d’échanges successifs d’arguments divers, focalisées par une interaction semi-directive » (Davila et Dominguez, 2010). Afin d’encourager les échanges entre aînés, deux types de stimuli ont été proposés : des images et un texte. Le guide d’entretien était structuré en trois parties (Annexe F). Les participants ont d’abord été invités à exprimer et confronter leurs manières de planifier et de se rappeler d’événements à venir ou de tâches à accomplir. Ensuite, plusieurs images de technologies visant le rappel d’évènement et l’organisation temporelle ont été présentées. L’une de ces images représentait le calendrier Amelis dans sa version initiale adressée aux aînés atteints de troubles cognitifs liés à l’âge (Adelise, 2017 ; Fig.16). A partir de ces images, les aînés étaient invités à exprimer leurs représentations, impressions et opinions. Enfin, les participants débattaient à partir d’un texte de presse intitulé « Mieux vieillir avec le numérique »29 présentant les enjeux mais aussi les limites des développements technologiques dans le cadre gérontologique. Les observables recueillis au domicile des aînés volontaires ont été : la nature et la localisation de l’AME (ou des) utilisé(s), ainsi que les objets et formes des informations inscrites. Les aînés ont également été questionnés sur la façon dont ils recourent aux AME.

Structure d’analyse

Pour cette étude, on cherche donc à comprendre quels sont les AME utilisés par les aînés, comment ils les utilisent et quelle est la place des tiers dans ces activités instrumentées. De ce fait, l’analyse des verbatims et des observations se structure en trois pôles principaux : le sujet, les AME et les autres sujets (en référence aux activités instrumentées selon Rabardel, 1995). Les items et le schème de codage associé ont été construits en deux temps. Premièrement, une liste de code a été établie à partir des référents théoriques sur les activités instruméntées. Ensuite, cette liste a été complétée à partir de la lecture « flottante » du matériau31. Le schème de codage a permis de catégoriser exhaustivement le contenu des verbatims et observations (Bardin, 2013). Le but étant d’identifier la diversité des pratiques d’AME au sein de la population d’étude, l’analyse de contenu a ensuite été traduite en une représentation symbolique de l’étendue des pratiques (cartographie).

Résultats

La cartographie produite pour représenter la vue d’ensemble des pratiques d’AME (fig.17)32 se structure autour des trois pôles : sujet aîné (Soi), autres sujets (Autrui), et instrument (AME). Le pôle AME comprend les caractéristiques formelles et fonctionnelles des AME, ainsi que les procédés organisant l’usage des AME. Dans cette section, les résultats de la cartographie sont détaillés et illustrés par des verbatims.

Les autres sujets participent ou bloquent les pratiques d’AME

Dans le cadre de l’usage d’AME, les autres sujets peuvent jouer un rôle de scribe, de lecteur, de pourvoyeur, d’empêchement ou de destinataire. Les rôles de scribes et de lecteurs sont principalement tenus par des professionnels intervenants au domicile d’aînés présentant un déficit visuel ou moteur les empêchant de lire ou d’écrire.

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