PRESENTATION DU CADRE D’ETUDE
La réalisation de ce travail de recherche a été menée dans quatre établissements de l’académie de Lille. Située dans la zone B de Villeneuve d’Ascq Sud, l’Ecole Paul Fort est une école maternelle publique, ayant plus de cent élèves inscrits. Cet établissement public accueille un profil d’élèves mixte, c’est-à-dire des enfants issus des familles modestes et de cadres pour certains. Dans cette structure scolaire, seuls les élèves d’une classe hétérogène composée de moyens et grands (classe A) ont participé à la recherche. L’âge moyen de la classe est de 4 ans et 9 mois. Cette classe est sous la responsabilité d’une femme, dont l’âge avoisinait la quarantaine et une expérience à son actif de 8 ans d’enseignement.
La deuxième école dénommée Ecole Maternelle Toulouse Lautrec, est située dans la zone B de Villeneuve d’Ascq Sud et dépend également de l’académie de Lille. C’est un établissement public dont le profil des élèves est aussi mixte. Environ une soixantaine d’élèves y sont inscrits et pour mon étude j’ai choisi une classe d’élèves de grande section (classe C). L’âge moyen était de 5 ans et 3 mois et le nombre d’enfants ayant participé à l’étude était plus d’une vingtaine. Cette classe est tenue par une enseignante qui totalise six ans d’expérience dans l’enseignement. Elle est âgée de trente cinq ans.
La troisième école est l’Ecole Chopin, qui est un établissement d’utilité publique et dépendant également de l’académie de Lille. Situé dans la zone B de Villeneuve d’Ascq Sud, l’Ecole Chopin est fréquentée par un profil d’enfants assez homogène ; c’est-à-dire qu’en majorité, les enfants inscrits sont issus des familles de cadres, soit à peu près cent soixante huit élèves inscrits. Une classe hétérogène (classe B) a retenu mon attention dans le cadre de cette étude. Celle-ci était composée d’élèves de petite, moyenne et grande section, et l’âge moyen de la classe était de 4 ans et 5 mois en début d’année. Cette classe était aussi sous la responsabilité d’une femme, dont l’âge était de trente cinq ans révolus et totalisant dix ans d’ancienneté dans l’enseignement.
La quatrième et dernière école est l’Ecole Van Der Meersch. Cet établissement dépend de l’académie de Lille et est située dans la zone B de Villeneuve d’Ascq Sud. Il comprend quatre vingt deux élèves inscrits. Ici, une classe hétérogène (Petits, Moyens et Grands) a participé à mon étude (classe D), soit une vingtaine d’élèves dont l’âge moyen était de 4 ans et 3 mois. Cette classe était tenue par une maitresse âgée de trente sept ans et ayant à son actif huit ans d’expérience dans la profession.
LES OUTILS D’INVESTIGATION
Dans le cadre de cette recherche j’ai eu recours à deux techniques de recueil, à savoir l’observation et l’entretien. Ce faisant, mon travail s’inscrit dans le champ des études dites qualitatives. En se démarquant considérablement des disciplines telles que la psychologie ou la sociologie, les sciences de l’éducation ont pris un tournant avec le développement de méthodologies mieux adaptées aux objectifs de recherche propres à leurs champs d’études (Deschenaux, 2013), méthodologies qualitatives reconnues par bon nombre de chercheurs et très fréquemment utilisées. Des auteurs comme Kuhn (1962) et Morgan (2007) ne manquent pas de souligner que le paradigme interprétatif, qui valorise les méthodes qualitatives, est né d’une révolution scientifique, puisque plusieurs chercheurs constataient des limites au paradigme positiviste, clairement caractérisé par les méthodes quantitatives. Dans cette perspective, Deschenaux, Laflamme & Belzile (2011) indiquent ce développement en montrant à partir de trois études que les méthodes qualitatives sont plus intensément utilisées depuis le tournant des années 1990. Par ailleurs, l’utilisation de l’entretien en sciences humaines et en sciences de l’éducation a toujours été une pratique courante pour les chercheurs. En utilisant cette technique, les chercheurs ont pour objectif principal de produire un matériau et restituer des informations sur la base d’un corpus qui réponde aux objectifs de l’étude envisagée.
L’entretien offre au chercheur la possibilité de se situer au niveau des confessions du discours des personnes enquêtées, en se servant des indicateurs comme le contenu du discours, ses effets et les interactions. La valorisation d’une telle technique de collecte des données se concentre sur l’analyse de l’ensemble des interactions entre les éléments impliqués dans la situation d’étude (sujet-objet). Ici, l’entretien croise et nourrit les interactions, il est à la fois un enjeu et un jeu d’échange en miroir entre acteurs aux objectifs différents, tout autant qu’une relation ambiguë avec des sujets eux-mêmes amenés à conduire des entretiens avec leurs sources (Broustau et al, 2012).
Pour Lahire (2012), l’entretien peut viser des buts différents selon les interactions des recherches, en ayant conscience de ce substrat, le chercheur garde en mémoire l’idée que l’entretien et le questionnaire restent des outils de collecte des données centrés sur le discours. Ainsi, cette collecte doit obéir à un certain protocole, à un respect de règles c’est-à-dire que le recours à l’entretien de recherche débouche sur la production de certaines pratiques concernant les protocoles et les grilles de questionnement (Heurtin, 2007) ou les interactions avec les enquêtés et les statuts attribués aux discours collectés (Demazière & Dubar, 2004). C’est la méthode qui permet de saisir les expériences vécues des enquêtés, comprendre la signification des faits étudiés pour appréhender les interprétations que les individus font des situations et modes auxquels ils participent (Demazière, 2012). Au sortir de cette vision globale de la technique d’entretien, qu’en est-il de l’entretien au sosie ?
L’entretien semi-directif articulé à la technique d’entretien au sosie
La technique du sosie, mise au point au sein du constructeur automobile Fiat dans les années 1970 par Oddone au cours des séminaires de formation ouvrière de l’université de Turin (Oddone & al., 1981), repose sur un travail de co-analyse au cours duquel un professionnel (l’instructeur) reçoit la consigne suivante : “Suppose que je sois ton sosie et que demain je me trouve en situation de te remplacer dans ton travail. Quelles sont les instructions que tu devrais me transmettre afin que personne ne s’avise de la substitution ?”. Chez Oddone (Oddone & al., ibid.), le travail d’instruction portait sur quatre domaines d’expérience professionnelle : les rapports à la tâche, les rapports aux pairs dans le(s) collectif(s), les rapports à la hiérarchie, enfin les rapports aux organisations formelles ou informelles du monde du travail.
Les approches qualitatives connaissent un renouveau caractérisé par des méthodes diversifiées et des champs d’intervention en développement (Bruchez, Fasseur et Santiago, 2007). La technique d’entretien au sosie appelé aussi entretien centré sur l’activité prend sa source dans les théories de l’activité (Cole, Engenström & Vasquez, 1997 ; Ratner, 1991). Les travaux de Clot et son équipe ont développé une forme d’entretien centrée sur l’activité issue des travaux de Odonne (Oddone, Re & Briante, 1981), (Clot, 1999, 2001 ; Clot & Faïta, 2000; Scheller, 2001, 2003). Ce type d’entretien est principalement développé dans le cadre de la psychologie du travail. Une consigne originale le constitue : « Demain je dois te remplacer : dis-moi ce que je dois faire pour que personne ne s’aperçoive de la substitution ». Celle-ci doit permettre au sujet d’entamer un dialogue avec le « chercheur », avec l’objectif d’entrer dans les détails du faire et des manières de faire et d’agir qu’il juge pertinents pour une transmission à son hypothétique remplaçant. Le chercheur est le garant d’une conduite de l’entretien qui se centre sur la description minutieuse de l’activité et non sur des représentations générales ou même des considérations affectives.
Il s’agit de comprendre avec le sujet comment il organise son action, plutôt que ses motivations. Décrire le comment de son activité plutôt que le pourquoi, permet cette centration sur les raisons d’agir plutôt que sur l’être. Cette technique au sosie a été couplée par l’entretien de recherche semi-directif (Blanchet & Gotman, 1992 ; Boutin, 2000). Ici, le sujet est invité à s’exprimer d’abord spontanément, puis le chercheur dirige l’entretien en fonction d’implicites qu’il a repéré au préalable, d’interprétations personnelles qu’il désire vérifier. Dans le cadre de mon étude, j’ai été emmenée à adapter ma grille d’entretien non seulement à mon cadre d’étude, mais également à l’objectif qui était assigné à ma recherche. C’est dans cette optique, que j’ai reformulé la consigne de départ. Consigne qui a été dite aux enseignantes de la manière suivante « Maintenant, supposons que je sois ton sosie et que l’an prochain je me trouve en situation de te remplacer dans ta classe pour mener le Quoi de neuf. Quelles sont les instructions que tu devrais me transmettre afin que je me « tire le mieux possible de cette affaire » ? De cette consigne découle les questions suivantes :
L’observation
L’observation est une pratique sociale couramment utilisée en sciences humaines. Elle se caractérise par le fait qu’elle soit une observation armée, c’est-à-dire qu’elle est mise en pratique à partir des questionnements et des hypothèses qui sont préalablement posées et émises liées à l’étude à mener. Comme dans toute démarche scientifique, la différence entre le regard et l’observation, c’est le fait que pour une question de crédibilité et de rigueur, l’observation d’un phénomène ou d’une situation repose sur une grille. Pour mémoire, ma recherche porte sur les contenus d’enseignement et d’apprentissage construits durant des situations de parole.
A cet effet, je me suis référée à des grilles d’observation. Ces grilles ont été élaborées en cours d’observation, afin de ne point se tromper sur les indicateurs à prendre en compte.
Comme le soulignent Beaud & Weber (1997), si ces outils produisent la recherche, ils sont aussi produits par elle et ne peuvent être inventés hors du terrain. L’observation directe, communément inscrite dans le registre des méthodes qualitatives, peut revêtir une dimension quantitative avec l’introduction d’opérations de comptage, c’est-à-dire lorsque la statistique s’invite lors des séances de dépouillement des données brutes, en vue d’une quantification fréquentielle de celles-ci. Devant ces différents types d’observation, j’ai opté pour une observation armée d’un dictaphone.
La pratique de l’observation armée se développe de plus en plus lors des enquêtes et autres études de terrains. Cette forme d’observation en général et l’observation armée d’un dictaphone en particulier a pour avantage de permettre au chercheur d’avoir accès à un ensemble de données verbales que lui fournit l’enquêté et/ou l’environnement. De plus, l’observation armée au dictaphone est une pratique sociale et singulière qui a pour le chercheur un double intérêt ; d’abord elle lui permet d’être témoin des faits et ensuite elle lui donne la possibilité de tout enregistrer afin de ne rater aucune information verbale issue des échanges qui se produisent en sa présence.
Dans le cadre de ma recherche cela a été déterminant parce qu’elle a permis d’établir une relation de face à face avec les enfants observés dans le milieu d’apprentissages qu’est la classe, d’une part et de percevoir ce qui se jouait et ce qui se produisait durant ces moments d’apprentissages, d’autre part. Sur la base des données recueillies tout au long de cette recherche, à l’aide de mon dictaphone, j’ai pu enregistrer la teneur des échanges verbaux entre les acteurs de la situation observée (enseignante et élèves). Echanges qui ont par la suite été transcrits afin de constituer un autre de mes corpus de recherche.
TECHNIQUE D’ANALYSE DES ENTRETIENS
Dans l’optique de mettre en relief les conceptions des enseignantes sur les contenus d’enseignement et d’apprentissages susceptibles d’être abordés au cours des interactions entre les locuteurs j’ai préconisé une codification des propos transcrits. Pour L’Écuyer (1988 : 64) c’est une sorte de « dénominateur commun auquel peut être ramené tout naturellement un ensemble d’énoncés qui se ressemblent sans en forcer le sens ». Dans la même perspective, Van der Maren (1996 : 432) affirme que l’étape du codage a pour but de « repérer, de classer, d’ordonner et de condenser » les énoncés, pour ensuite organiser les différentes unités de sens. Mais que ce soient des catégories ou des codes, ils ont la même signification, pour Delpéteau (2000). Néanmoins, Bardin (1977, cité par l’Écuyer, 1988 : 120) souligne que ce qu’il faut retenir c’est que: « Quels que soient les critères retenus, le but premier de toute catégorisation est de fournir par condensation une représentation simplifiée des données brutes ». Ainsi, le type de codage choisi a été le codage mixte. Il permet, selon Van der Maren (1996 : 437) de procéder à des ajustements progressifs des premières codifications, lorsque « de nouvelles unités de sens apparaissent » ou de « modifier la formulation du code ». J’ai donc procédé à un premier repérage des thèmes afin d’effectuer un découpage du texte en unités de sens. Une fois que les catégories et les codes ont été isolés, j’ai pu commencer l’analyse et classer les unités de sens identifiées.