Posture du chercheur et méthode d’analyse des « traces »

Questionner son inscription sur le terrain

Une des originalités du projet de thèse dans lequel s’inscrit le suivi de la collaboration inter organisationnelle provient en partie de notre proximité avec notre objet d’étude. En effet, notre inscription dans ce terrain est antérieur au projet de thèse débuté en octobre 2013, mais peut être remontée à notre stage de fin d’études pour l’obtention d’un diplôme d’ingénieur agronome, réalisé au sein de l’UMR TETIS, entre avril et septembre 2011. En effet, c’est en partie suite aux résultats de ce stage qu’a été initiée la collaboration inter-organisationnelle
Nous plaçons notre inscription dans le réseau d’acteurs qui s’est construit par et à travers la collaboration inter-organisationnelle à ce moment car, entre autres, c’est depuis ce stage que nous sommes affiliée à l’UMR TETIS. Cette affiliation nous est attribuée à la fois par les autres membres de cet organisme, par les participants au projet de formation, mais elle est aussi revendiquée par nous même — sachant que nous sommes dans le cadre de la thèse également rattachée à l’UMR CERTOP, et associée au laboratoire Geriico depuis octobre 2016. Ce stage a été pour nous l’occasion de nous acculturer aux données conçues dans le cadre du projet DRAAF/TETIS/LISAH, à leur maniement, ainsi qu’à celles plus générales des Systèmes d’Information Géographique et à certaines des notions associées à ces derniers. Lors de ce stage, nous avons aussi été en contact avec de nombreuses personnes et/ou organismes qui ont participé au projet de formation. Ceci nous a permis de nous acculturer au bulaire technique employé, de saisir certaines allusions énoncées lors des échanges, de comprendre les notions, les préconçus qu’ils invoquent, ainsi que de percevoir en partie leurs intérêts et leurs motivations. Ce stage a aussi été l’occasion de collecter un certains nombre de matériaux (entretiens, documents etc.) nous autorisant à pouvoir retracer les mouvements des acteurs de la conception distribuée sur une longue période.
Notre implication dans cette collaboration inter-organisationnelle ne s’est pas limitée à ce stage et la nature de celle-ci a évolué au cours du temps, notamment au cours et du fait de notre apprentissage du métier de chercheur en sciences de l’information et de la communication. En effet, juste avant le démarrage de la thèse nous étions employée par l’UMR TETIS en tant qu’ingénieur pour participer à la conception d’une formation — ce projet de formation est d’ailleurs l’objet de cette collaboration inter-organisationnelle. Ainsi, je contribuais activement aux échanges au sein du projet, mettant en forme les données lors des réunions, contribuant à l’assemblage du module de formation. Cependant, notre participation active ne s’est pas arrêtée du jour au lendemain après le début de la thèse. Ce n’est qu’au fur et à mesure que nous avons pris conscience de ce que participer activement et analyser dans le même temps était difficile, qu’il a été décidé de restreindre au fur et à mesure notre participation.
Si pendant un temps nous étions chargée de collecter les données inscrites dans le module et de les mettre en forme pour les exposer lors des réunions, cela n’a plus été le cas au début de l’année 2015. De même, nous avons été déchargée de la tâche de rédiger les comptes-rendus au cours de l’année 2015 et notre participation aux échanges lors des réunions a été limitée. Nous avons continué néanmoins de participer à cette conception distribuée notamment lors des discussions informelles avec TET, avant les réunions, lors du débriefing des réunions ou lorsque nous souhaitions qu’il nous éclaire sur les motivations qu’il percevait des uns et des autres 1 .
Nous entretenons ainsi une grande proximité avec notre terrain d’étude, autant géographiquement (notre lieu de travail étant jusqu’en septembre 2016 situé au sein de de l’UMR TETIS), que relationnellement, puisque nous avions déjà interagi avec ces acteurs, humains mais aussi non humains. Cependant, comme le signale Mats Alvesson, notre investissement personnel ne doit pas nécessairement être considéré comme un handicap, mais peut aussi être une ressource (Alvesson, 2009). Le tout étant de mettre en place une méthodologie de travail et d’analyse qui permette cette mise à distance nécessaire à la mise en perspective.
1. Ces échanges ont été certes informels mais ils ont été néanmoins enregistrés et s’ils ne sont pas retranscrits, leur résumé est consigné dans le journal de bord.

De la recherche-action à la self-ethnography

Notre attachement à notre objet d’étude nous a conduit dans un premier temps à essayer d’adopter une posture de recherche relevant de la recherche-action, et plus précisément de la recherche intervention. Afin de comprendre les éléments qui nous ont guidés dans le choix de cette posture, il est nécessaire de noter que les chercheurs de l’UMR TETIS, le premier laboratoire dans lequel nous nous sommes inscrite, mobilisent beaucoup ce type de démarches dans le cadre de leur recherche (Tonneau, Piraux, Coudel & de Azevedo, 2009, Volume 9 Numéro 3; Maurel, 2012; Maurel et al., 2014). Avant d’aller plus loin, il nous semble donc nécessaire d’apporter quelques précisions sur les notions de recherche-action et de recherche-intervention, ainsi que d’expliquer les raisons qui nous ont amenée à ne pas persévérer dans cette posture.

La recherche-action : agir sur le « monde » et produire des connaissances sur l’action

La démarche de recherche-action a été proposée dans les années 1940 par Kurt Lewin (Lewin, 1946) afin d’articuler ce qui relevait de « l’homme-acteur » et de « l’homme-chercheur » (Pourtois, Desmet & Humbeeck, 2013, Hors Série). Il s’agit d’une méthode de recherche dans laquelle « il y a une action délibérée de transformation de la réalité; recherche[s] ayant un double objectif : transformerla réalité et produire des connaissances concernant ces transformations » (Hugon & Seibel, 1988, p. 13; cités par Allard-Poesi & Perret, 2003). Par la suite, les méthodes de recherche relevant de cette démarche se sont diversifiées. Il existe de nombreuses définitions de cette démarche ainsi que de nombreuses « écoles » s’inscrivant dans cette approche (Catroux, 2002; Allard-Poesi & Perret, 2003; Jouison-Laffitte, 2009). Notre objet n’est pas ici de faire une cartographie des différentes « familles » de méthodes de recherche action.
En effet, il existe plusieurs catégorisations possibles (Jouison-Laffitte, 2009) : selon leurs finalités (Allard-Poesi & Perret, 2003), selon le degré d’implication des acteurs de l’organisation (Whyte, 1991) ou encore selon des aspects épistémologiques et instrumentaux (David, 2001). De ces différentes définitions, il est néanmoins possible d’en identifier des points communs (JouisonLaffitte, 2009) :
— La recherche-action est un processus;
— elle vise à apporter une solution à des problèmes « concrets » en situation, elle a une visée applicative;
— elle suppose des interactions, des formes de collaboration entre les chercheurs et les acteurs de l’organisation étudiée;
— et son objectif est de « produire des connaissances scientifiques sur les situations étudiées ». La plupart des démarches de recherche-action décrivent ainsi un processus en plusieurs étapes qui peuvent être schématisées comme suit : (1) définition du problème ou d’hypothèses, (2) identification de solutions, (3) application de ces solutions à la situation étudiée, et (4) production de connaissance sur les actions et le processus.
La recherche-action « classique » ou la recherche-action lewinienne se distingue des autres démarches par sa visée à reproduire l’expérimentation de laboratoire dans une situation mettant aussi en jeu des rapports sociaux (Jouison-Laffitte, 2009). Les chercheurs s’inscrivant dans cette approche considèrent la « réalité » si ce n’est « objective », tout du moins objectivable. Ainsi, pour en comprendre le fonctionnement, le chercheur, dans cette perspective, doit en varier les paramètres (Allard-Poesi & Perret, 2003). Par conséquent dans cette approche, c’est le chercheur-acteur qui doit définir à la fois le problème et le protocole d’expérimentation afin de pouvoir agir dessus (JouisonLaffitte, 2009 ; Pourtois et al., 2013, Hors Série).

L’émersion du terrain ou pourquoi nous ne faisons pas de l’observation participante

À l’occasion de notre participation au séminaire de l’axe 1 du laboratoire Gériico, le 28 mars 2017, Elodie Sevin nous a demandé pourquoi nous ne reprenions pas à notre compte la notion d’observation participante afin de définir notre démarche de recherche. Étant donné qu’une thèse, d’après Sylvie Bourdin, « c’est, certes, ouvrir des portes; mais c’est aussi savoir en fermer », nous souhaitons présenter brièvement, ici, les réflexions qui nous ont conduite à ne pas nous inscrire dans cette démarche.
L’expression « observation participante » a été développée vers la fin des années 1930 (Platt, 1983) en tant que « technique de recherche dans laquelle le sociologue observe une collectivité sociale dont il est lui-même membre » (Soulé, 2007). L’apparente simplicité de cette définition masque cependant la diversité de pratiques et de traditions que cette démarche de recherche recouvre (Delaporte, 1993; Winkin, 1997). Yves Delaporte considère, d’ailleurs, que ce que recouvre cette expression est rarement précisé par les auteurs, donnant l’impression que cette expression relève d’une « auberge espagnole » dont la mobilisation dans les textes de recherche tiendrait plutôt d’un « rituel un peu désuet » (Delaporte, 1993). Il est alors nécessaire de lire entre les lignes afin de deviner la définition de l’observation participante choisie par l’auteur : « tantôt participation effective à telle ou telle activité ponctuelle [avec des degrés divers]; tantôt immersion prolongée au sein d’un groupe » (Delaporte, 1993, p. 321).
Si cette notion semble imprécise, son développement a permis de proposer une tierce voie à la fois entre l’écueil de reprendre la démarche des sciences de la nature en observant l’espèce humaine comme si l’observateur n’en faisait pas partie et celui de l’introspection parfois nombriliste (Winkin, 1997). Yves Winkin considère qu’un des apports de la tradition anglo-saxonne de l’immersion est le fait de considérer qu’il n’est pas possible de ne pas participer (Winkin, 1997). De même que les membres de l’École de Palo Alto ont montré qu’il n’est pas possible de ne pas communiquer, que la seule présence de l’individu, ses expressions faciales, ses gestes (ou leur absence) sont des signaux interprétés par ceux qui voit l’individu (Watzlawick et al., 2014), la simple présence de l’observateur lors d’activité et d’interactions influe sur ces dernières, amenant l’observateur à y participer (Winkin, 1997).

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