Problematique
Comme nous allons le voir dans la suite, l’effet d’un couplage interchaˆıne a ´et´e ´etudi´e par de nombreuses m´ethodes au cours des derni`eres ann´ees. Cependant, il n’existe pas de solution exacte mˆeme au sens du groupe de renormalisation, et l’existence d’op´erateurs pertinents permet de prouver l’instabilit´e du liquide de Luttinger mais ne caract´erise en aucune mani`ere le nouveau point fixe. Ainsi, en l’absence d’alternatives, la croyance ´etait qu’un liquide de Fermi ´etait stabilis´e en deux dimensions.
Bourbonnais et Caron [147, 33] ont propos´e un sch´ema de renormalisation a` la fois des interactions et de t⊥ qui inclut tous les processus possibles. Ils trouvent que le saut interchaˆıne a` une particule est pertinent si α < 1 et conduit a` une valeur effective renormalis´ee
Pertinence du saut `a une particule
En appliquant un simple comptage de puissance, c’est-`a-dire en ´evaluant la dimension de l’o ´erateur de saut, on est capable d’´ecrire les ´equations de renormalisation au premier ordre. D’apr`es la formule (II.27), on calcule les dimensions des op´erateurs [cos √ 2φ] = K/2 et [cos √ 2θ] = 1/2K et on en d´eduit l’´equation de renormalisation du terme de saut.
Apparition d’instabilit´es de paires
Le raisonnement na¨ıf expos´e pr´ec´edemment oublie de regarder si de nouveaux termes n’apparaissent pas de mani`ere effective lors du processus de renormalisation. De mani`ere plus formelle, le spin conforme du terme t⊥ est non nul et il faut faire un traitement plus d´etaill´e [149]. Pour cela, il faut d´evelopper la fonction de partition en puissance de t⊥ et analyser les nouveaux termes cr´e´es. C’est ce qu’`a fait Yakovenko [150] et que nous reproduisons ici.
La m´ethode de r´esolution de ces ´equations coupl´ees consiste a` regarder quelle constante de couplage devient de l’ordre de la largeur de bande en premier, ce qui permet alors d’injecter sa valeur dans les autres ´equations. Ainsi, on trouve que dans le r´egime α < α2P , t⊥ est fortement renormalis´e mais les processus de paires, initialement nuls, restent n´egligeables a` cette ´echelle d’´energie. On passe donc d’un liquide de Luttinger a` un r´egime d´ecrit par deux bandes. Ev´ entuellement, a` plus basse temp´erature, il peut exister une transition de phase.
Dans le r´egime a` deux particules α > α2P et pour le cas r´epulsif, le saut d’une paire particule-trou J devient de l’ordre de la largeur de bande alors que t⊥ est toujours petit.
On s’attend donc a` avoir une transition vers une Onde de Densit´e pour une infinit´e de chaˆınes. Le cas attractif s’obtient en ´echangeant les rˆoles de K et 1/K et on peut donc ´egalement d´efinir un r´egime K > K2P = √ 2 + 1 ou` les processus de sauts de paires de particules font basculer le syst`eme dans une phase supraconductrice. Notons que dans ces deux cas, il existe une transition depuis un r´egime de Luttinger vers une phase a` sym´etrie bris´ee sans passer par un liquide de Fermi. Par contre, la comp´etition entre plusieurs op´erateurs pertinents n’est pas r´esolue et il faut disposer de m´ethodes non perturbatives pour discuter le nouveau point fixe de couplage fort.
Analogie avec une chaˆıne anisotrope de fermions avec spin
Comme nous l’avons remarqu´e pr´ec´edemment, le mod`ele ´etudi´e est formellement ´equivalent a` une chaˆıne anisotrope de fermions avec spin pour laquelle les ´equations de renormalisation ont ´et´e obtenues par Giamarchi et Schulz [151]. En particulier, l’effet du terme t⊥ est de s´eparer les bandes liante et antiliante et, de ce fait, certains processus autoris´es au d´epart ne sont plus pertinents puisqu’ils ne conservent plus l’impulsion. On peut donc n´egliger J au-del`a d’une ´echelle fix´ee par t⊥. En outre, le terme proportionnel a` t⊥ dans (IV.12) peut ˆetre absorb´e dans une red´efinition de φ− et ce hamiltonien est alors sous la forme bien connue du mod`ele de sine-Gordon (II.30) ´etudi´e dans le chapitre II. On sait alors que H− poss`ede un gap et θ− une valeur moyenne qui minimise l’´energie du fondamental et qui vaut 0 ou π/8 selon le signe de Je.
Effet des termes Umklapp
Dans le cas de deux chaˆınes au demi-remplissage, les processus Umklapp sont particuli`erement importants puisqu’ils causent l’ouverture d’un gap de charge et cette situation est pertinente pour discuter les exp´eriences. La pr´esence d’un gap de corr´elation ∆ change radicalement le crit`ere de pertinence de t⊥. Na¨ıvement, on s’attend a` ce que, pour t⊥ < ∆, le terme de saut n’ait pas d’influence et cela a ´et´e confirm´e en ´etudiant le flot de renormalisation [39]. Mais, en refaisant une analyse minutieuse, il s’av`ere qu’il faut comparer la valeur effective t ∗ ⊥ a` ∆ pour d´eterminer si on a affaire a` un isolant ou un m´etal [16]. Rappelons qu’ex ´erimentalement, il semble que ce soit le crit`ere na¨ıf qui s’applique (voir la figure I.15 de la page 34).
Diagramme de phase
D’apr`es ce qui pr´ec`ede, on observe que des gaps apparaissent pour les excitations antisy ´etriques tandis que le mode sym´etrique est peu affect´e par le couplage interchaˆıne. On montre que les seuls op´erateurs pouvant pr´esenter des fluctuations divergentes sont: une onde de densi ´e de charge antisym´etrique (ODC π ), une phase supraconductrice avec appariement a` l’int´erieur des chaˆınes (SC s ), une phase supraconductrice avec appariement entre les chaˆınes (SC d ) et une phase d’antiferromagn´etisme orbital (AFO) avec des courants circulant autour des plaquettes avec une p´eriodicit´e de 2kF . On parle de supraconductivit´e de sym´etrie s et d par analogie avec le cas bidimensionnel. Dans un supraconducteur de type d (s), le param`etre d’ordre change (ne change pas) de signe sur la surface de Fermi qui, ici, se r´esume a` quatre points. Leurs expressions sont:
Lien avec l’int´egrabilit´e du mod`ele
En calculant cette probabilit´e de retour exactement pour des ´echelles t–J, Mila et Poilblanc [154] ont montr´e que son comportement aux petits temps n’´etait pas seulement fonction de α, comme cela a ´et´e sugg´er´e pr´ec´edemment, mais d´ependait fortement du caract`ere int´egrable ou non du mod`ele 2.
En effet, pour un syst`eme int´egrable, les niveaux d’´energie peuvent ˆetre fortement d´eg´en´er´es et l’effet d’un terme de saut peut se r´esumer a` la s´eparation de ces niveaux d’une quantit´e proportionnelle a` t⊥, ce qui donne lieu a` de la coh´erence (cf. le cas sans interactions (IV.16)).
Au contraire, quand le syst`eme n’est plus int´egrable, la r´epulsion des niveaux va ´elargir la bande des fr´equences ce qui est susceptible de favoriser les interf´erences destructrices et l’incoh´erence.
De surcroˆıt, en accord avec [153], ces auteurs constatent que le comportement g´en´erique est incoh´erent, mˆeme avec un faible param`etre α = 0,1, et ils attirent l’attention sur le fait que le comportement de P(t) aux temps courts ne permet pas de conclure quant a` la coh´erence ou non du saut interchaˆıne.
En conclusion, la notion de coh´erence est essentielle dans l’interpr´etation des donn´ees exp´erimentales et dans la compr´ehension de la physique de ces syst`emes, mais il va falloir utiliser d’autres m´ethodes pour pouvoir comprendre le syst`eme de deux chaˆınes. Il faudrait donc comprendre si, dans un syst`eme de deux chaˆınes, un faible saut transverse induit une s´eparation des deux bandes de dispersion et un comportement transverse coh´erent ou non. Cette question peut ˆetre d´ebattue par de nombreuses m´ethodes et nous allons rappeler les diff´erentes pr´edictions avant de pr´esenter nos r´esultats.
Diff´erentes approches analytiques
Les diverses propositions concernant l’´etat fondamental d’un syst`eme de liquides de Luttinger coupl´es se rangent en deux grandes cat´egories. On consid`ere soit qu’un syst`eme de deux chaˆınes est suffisant, soit qu’il faut ´etudier un grand nombre de chaˆınes coupl´ees et nous allons voir ce qui se passe dans chaque cas.
Mod`ele exactement soluble avec α 6= 0
Shannon et coll. ont introduit un mod`ele de deux liquides de Luttinger coupl´es pour des fermions sans spin avec des interactions ´egales sur chaˆıne et interchaˆınes vers l’avant de type g2 et g4, et donc un exposant anormal α non nul [156] (voir (II.19)). Bien sur, ˆ ce mod`ele n’est pas r´ealiste mais il permet d’avoir une solution exacte d’un syst`eme de deux chaˆınes coupl´ees en interaction.
Dans ce cas, le hamiltonien global reste quadratique et peut ˆetre diagonalis´e. On obtient la mˆeme fonction de Green que pour le mod`ele de Tomonaga-Luttinger avec une modulation cos(t⊥x/vF ). Par transform´ee de Fourier, on a la formation de deux branches s´epar´ees d’une quantit´e d’ordre t⊥ ind´ependante de α, et chacune des fonctions de distribution se comporte comme dans le cas unidimensionnel (II.45), c’est-`a-dire n(k) ∼ (k − kF ) α avec le param`etre α caract´erisant l’interaction pour une seule chaˆıne mais avec des kF diff´erents.
Il est donc possible pour un syst`eme constitu´e de deux chaˆınes de poss´eder a` la fois un comportement coh´erent et un exposant anormal dans la direction des chaˆınes, ce qui est un r´esultat surprenant probablement duˆ aux particularit´es de ce mod`ele.
La mˆeme conclusion peut ˆetre ´etendue a` un nombre quelconque de chaˆınes coupl´ees lorsque l’interaction ne d´ecroˆıt pas dans la direction transverse [157]. L`a encore, il existe a` la fois un comportement coh´erent ainsi que des propri´et´es anormales du type de celles d’un liquide de Luttinger. Ce r´esultat est probablement sp´ecifique a` ce genre de mod`ele et n’est probablement pas g´en´erique pour notre discussion.
Groupe de renormalisation
M´ethode de couplage faible pour N chaˆınes
Cas de deux chaınes
Fabrizio et coll. ont ´etudi´e l’effet d’un terme de saut interchaˆıne pour un syst`eme de deux chaˆınes de Hubbard coupl´ees en analysant l’´evolution des constantes de couplage lors de l’int´egration du flot de renormalisation [158, 159]. Il s’agit d’une m´ethode de couplage faible, valable pour U < t⊥ : ils introduisent d’abord deux bandes s´epar´ees de t⊥ puis ils ´etudient les effets d’une interaction U. L’´etude du flot fait apparaˆıtre des phases de couplage fort pour lesquelles l’analyse perturbative n’est ´evidemment plus valable. En particulier, il semble exister une phase supraconductrice de type d dans un mod`ele purement r´epulsif; ils trouvent ´egalement une phase confin´ee avec une valeur effective du saut nulle.