Etude de la zone de transition dunitique dans l’ophiolite deTrinity

Introduction – Contexte géologique de l’ophiolite de Trinity

L’ophiolite de Trinity affleure dans les Monts Klamath en Californie du Nord (Figure 8.1) ; elle compte parmi les plus vastes (3000 km2 ) et les mieux exposées des ophiolites associées aux cordillères américaines. Bien qu’ancienne (d’âge siluro-dévonien), elle a échappé à tout métamorphisme régional.
Les seules perturbations qu’elle a subies depuis sa formation entre -470 Ma et -405 Ma (Gruau et al., 1991; Jacobsen et al., 1984; Wallin et al., 1995) et son charriage sur la marge nord-américaine il y a ~ 400 Ma (Lanphere, 1968) se caractérisent par un léger métamorphisme de contact confiné à sa bordure occidentale et causé par la mise en place des granites mésozoïques formant les Trinity Alps (Coleman, 1986; Lanphere et al., 1968; Lindsley-Griffin, 1977; Quick, 1981a).
Suite aux travaux de le Sueur et al. (1984), Boudier et Nicolas (1985) ont popularisé l’idée comme quoi Trinity serait une ophiolite issue d’une dorsale océanique à faible taux d’expansion, une forme d’archétype de ce qu’ils nommèrent le Lherzolite Ophiolite Type ou LOT (cf. paragraphe 2.2.2.2). L’argument principal était, en effet, la coexistence de péridotites mantelliques lherzolitiques, ayant subi un faible taux de fusion, et d’une section crustale peu épaisse, le tout, attribué à un régime thermique froid et donc à une faible production magmatique. Cet argument de complémentarité croûte/manteau s’est pourtant révélé en contradiction totale avec les données pétrologiques. En effet, les roches formant la section crustale de l’ophiolite sont issues d’une source ultra-déprimée, en particulier en HFSE, alors que la section mantellaire est géochimiquement beaucoup plus fertile (Ceuleneer et le Sueur, 2008).
Autrement dit, les péridotites ne peuvent être la source, et encore moins le résidu, des magmas ayant alimenté la section crustale. Le problème de l’absence de relations parent-fille entre le manteau fertile et la croûte déprimée de Trinity avait par ailleurs été posé par les géochimistes sur base d’arguments isotopiques (Brouxel et Lapierre, 1988; Gruau et al., 1991, 1995, 1998) (voir le paragraphe suivant). Par ailleurs, tous les arguments régionaux et géochimiques indiquent que cette ophiolite a été formée en contexte d’arc (Brouxel et Lapierre, 1988; Ceuleneer et le Sueur, 2008; Coleman, 1986; Gruau et al., 1991; Lindsley-Griffin, 1977; Wallin et Metcalf, 1998).
L’histoire magmatique de Trinity peut être résumée comme suit. Des péridotites mantelliques relativement fertiles ont subi un épisode de fusion partielle de faible degré à moyenne pression (~ 1 GPa) il y a ~ 470 Ma, à la transition du champ de stabilité des péridotites à spinelle et à plagioclase (Jacobsen et al., 1984). Des lentilles d’ariégite et de gabbro dont la formation est contemporaine du fluage plastique des péridotites sont les témoins de cet épisode (Ceuleneer et le Sueur, 2008; Quick, 1981a). Le champ de déformation plastique est caractérisé par des foliations subverticales parallèles au complexe filonien portant des linéations subhorizontales (le Sueur et al., 1984). Il témoigne d’un régime de transtension dont un analogue actuel pourrait être l’ouverture du Golfe de Californie, bassin marginal en contexte transformant (Ceuleneer et le Sueur, 2008). Les péridotites ont ensuite été affectées par la mise en place de magmas d’affinité boninitique. Les témoins de ces magmas ultradéprimés en HFSE sont : i) des filons de pyroxénite et de diorite discordants sur la foliation plastique ayant pour la plupart des épontes réactionnelles avec l’encaissant lherzolitique et ii) une dizaine de plutons kilométriques différenciés, ultramafiques à la base et mafiques au sommet (Ceuleneer et le Sueur, 2008), dont l’intrusion s’égrène de ~ 430 à ~ 405 Ma (Wallin et al., 1995; Wallin et Metcalf, 1998) (Figure 8.2). Ils se sont mis en place à différents niveaux structuraux et à différents stades de refroidissement, d’altération et d’exhumation de la lithosphère (Cannat et Lécuyer, 1991;Schwindinger et Anderson, 1987).

La zone de transition dunitique dans l’ophiolite de Trinity

Approche générale

L’étude des péridotites de l’ophiolite de Trinity a ici pour but d’explorer la genèse des dunites dans une section mantellique qui a évolué dans un environnement tectonique et magmatique très différent de l’ophiolite d’Oman, et notamment du massif de Sumail qui a été l’objet d’étude principal de cette thèse.
L’échantillonnage a été réalisé au cours d’une campagne de terrain réalisée en 2014 quelques mois avant le début de la thèse dans un corps de dunite tabulaire affleurant au nord de l’ophiolite (Figure 8.2). Suite aux résultats obtenus sur la coupe de Tuff, qui a permis de dégager une logique dans la structure géochimique de la DTZ (Abily, 2011; Abily et Ceuleneer, 2013), cette stratégie d’échantillonnage en coupe a été appliquée à Trinity avec la collecte d’un ou plusieurs échantillons tous les dix mètres d’altitude environ.

Etude pétrographique et de terrain

La coupe de Trinity, près du col de Borrow Pit séparant le Trinity County du Siskiyou County, à 16 km au sud-ouest de la ville de Weed, a été levée selon une direction SW-NE et entre 1907 et 2145 m d’altitude (Figure 8.3). La base de la coupe correspond aux premiers affleurements de dunites émergeant des éboulis, et son sommet au point culminant de la colline. Le pendage d’environ 30° vers l’est du massif, déterminé à partir du pendage des lithologies litées, est en partie corrigé du fait de l’échantillonnage d’ouest en est (Figure 8.3).

Etude géochimique

L’étude de la coupe de Trinity a consisté en l’analyse de la composition chimique des phases minérales des harzburgites et dunites par microsonde électronique, similairement à ce qui a été effectué pour les coupes échantillonnées dans l’ophiolite d’Oman (données en annexe 9).

Olivine

Les olivines des harzburgites présentent un rapport Fo (100 × Mg/(Mg + Fetotal)) compris entre 90,4 et 91,5 (Figure 8.7). Les olivines des dunites pures montrent des valeurs similaires (89,9 – 91,3) et une gamme de variation plus restreinte pour les dunites à clinopyroxène (90,6 – 91,1). Les teneurs en NiO et CaO sont respectivement plus faibles et plus fortes dans les dunites que dans les harzburgites (NiOdunites = 0,31 – 0,38 % ; NiOharzburgites = 0,33 – 0,42 % ; CaOdunites = 0,01 – 0,13 % ; CaOharzburgites = 0,01 – 0,05 %). L’ensemble des dunites montre entre-elles une gamme de variation en NiO similaire tandis que les dunites litées présentent une gamme de variation de la teneur en CaO plus restreinte vers les plus fortes valeurs (0,05 – 0,13 %) que les autres dunites pures (0,01 – 0,10 %).

Chromite

Le rapport XCr (100 × Cr/(Cr + Al)) des chromites varie fortement à la fois dans les harzburgites (36,4 – 70,4) et les dunites (46,7 – 78,8), les plus fortes valeurs étant notamment observées pour les dunites litées (72,9 – 78,8). L’ensemble des chromites analysées tombe dans le champ OSMA avec une augmentation du rapport XCr pour un rapport Fo des olivines globalement constant (Figure 8.8A). Le rapport Mg# (100 × Mg/(Mg + Fe2+)) définit une corrélation négative avec le XCr (Figure 8.8B). Similairement au XCr, les chromites des dunites litées montrent des valeurs du Mg# différentes des autres faciès lithologiques, globalement plus faibles, et une gamme de variation plus restreinte (42,8 – 51,7) que les harzburgites (45,5 – 66,0) et les autres dunites (43,6 – 64,3).

Discussion

Caractéristiques pétrologiques de la DTZ dans l’ophiolite de Trinity

Une différence fondamentale entre la coupe de Trinity et la DTZ des trois massifs de l’ophiolite d’Oman étudiés est l’absence de zone de transition bien développée. Les dunites apparaissent ici en alternances avec des harzburgites et lherzolites sur la quasi-intégralité de la coupe (Figure 8.4).
L’horizon dunitique le plus épais, défini comme la section intermédiaire de la coupe, montre également un litage fortement marqué (Figure 8.6). Cette structuration n’a jamais été observée dans l’ophiolite d’Oman, et tranche avec les dunites massives alternant avec les harzburgites des sections inférieure et supérieure de la coupe. Les imprégnations, qui caractérisent la moitié des dunites de la DTZ de l’ophiolite d’Oman, sont également totalement absentes de la coupe de Trinity à l’exception de rares clinopyroxènes localisés aux joints de grains d’olivine dans trois échantillons de la section inférieure.
Le contraste lithologique entre dunites massives et dunites litées se retrouve dans la composition chimique de l’olivine (CaO ; Figure 8.7) et surtout de la chromite, avec des valeurs du rapport XCr systématiquement supérieures à 70 dans les dunites litées (Figure 8.8). La composition des chromites des autres dunites s’étale entre ce pôle extrême et la composition des chromites des harzburgites dans lesquelles le rapport XCr est majoritairement inférieur à 55. La dichotomie entre les deux faciès se retrouve également dans les rapports YFe3+ et Mg# et la teneur en TiO2. L’hypothèse d’une origine purement cumulative pour ces dunites litées, et notamment à partir d’un magma boninitique ultradéprimé comme le magma parent des cumulats de la section crustale de Trinity, est cohérente avec les fortes valeurs du rapport XCr mais moins avec les teneurs relativement élevées en TiO2 (~ 0,30 %) dans les chromites de ce faciès.

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