MATERIELS ET METHODES
A l’IHU Méditerranée Infection à Marseille nous avons commencé les tests de RT-PCR pour diagnostiquer les infections à SARS-CoV-2 à la fin du mois de Janvier 2020 et le premier patient positif a été diagnostiqué le 27 février 2020 [51]. Nous avons testé les patients issus de l’IHU Méditerranée Infection et des quatre hôpitaux de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (AP-HM : hôpital de la Timone, hôpital de la Conception, hôpital Nord, et hôpital Sainte Marguerite) ainsi que des prélèvements issus de différents autres sites de Marseille, des Bouches-du-Rhône, et des autres départements de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (l’IHU était pendant plusieurs semaines le seul laboratoire à réaliser des tests de RT-PCR). Dans notre étude nous n’avons analysé que les données des prélèvements issus de l’AP-HM.
Entre le 1er mars 2020 et le 30 avril 2020 (semaines 10 à 18 de l’année 2020) nous avons réalisé 38,633 tests RT-PCR pour le SARS-CoV-2 à partir de prélèvements respiratoires (écouvillons naso-pharyngés, crachats, LBA, aspirations bronchiques).
La technique de RT-PCR utilisée a été celle mise en place au sein de notre institut au début de la pandémie et décrite par Amrane et al [52]. Rapidement, l’ARN a été extrait à partir de 200 µL de prélèvement naso-pharyngé en utilisant le EZ1 Virus Mini Kit v2.0 (Qiagen®, Courtaboeuf, France). Pour détecter l’ARN du SARS-CoV-2 nous avons utilisé un système qui cible la protéine E d’enveloppe comme décrit précédemment par l’équipe de Corman et al [53] et un témoin ARN positif synthétique pour s’assurer du bon fonctionnement de la RT-PCR (Charité virology institute – Universitätsmedizin Berlin, Berlin, Allemangne). Un contrôle interne ARN de phage a été ajouté à chaque échantillon clinique avant l’extraction pour garantir la précision de l’extraction de l’ARN et de l’amplification par RT-PCR. Toutes les RT-PCR ont été réalisés sur des LightCycler 480 instrument (Roche Diagnostics) selon le protocole suivant : une étape de rétro-transcription à 50°C pendant 20 secondes, une étape d’activation à 95°C pendant 10 secondes, puis une étape d’amplification à 95°C pendant 15 secondes et à 60°C pendant 30 secondes avant de finir avec une étape de refroidissement à 40°C pendant 30 secondes, et ce pendant 40 cycles.
En parallèle, durant la même période, nous avons testé 4 222 prélèvements respiratoires afin d’avoir une approche syndromique et ainsi détecter rapidement d’autres virus respiratoires que le SARS-CoV-2. Pour cela nous avons abordé trois approches différentes :
RESULTATS
Entre le 1er mars 2020 et le 30 avril 2020 nous avons testé 4797 patients en RT-PCR pour le SARS-CoV-2 et parmi eux, 4222 (88%) ont bénéficié en plus d’un diagnostic syndromique. 643 patients ont été positifs pour le SARS-CoV-2 (15,2%), 1095 patients ont été diagnostiqués avec au moins un virus respiratoires autre que le SARS-CoV-2 (25,9%) et 27 patients ont été co-infectés SARS-CoV-2 / autre virus respiratoire (4,2% des patients SARS-CoV-2 positifs et 0,6% des patients totaux).
Épidémiologie des patients non co-infectés
Patients SARS-CoV-2 positifs
Pendant les deux mois de la période de l’étude, il y a eu 643 patients positifs pour le SARSCoV-2 (15,2%). Le sex ratio était de 1,37 (372 hommes (57,8%) pour 271 femmes (42,2%)). Dans notre cohorte, les patients positifs pour le SARS-CoV-2 étaient significativement plus susceptibles d’être des hommes et d’être plus âgés (âge moyen ± écart type : 61,3 ± 20,1 ans) par rapport aux patients infectés par des virus autres que le SARS-CoV-2 (49,8% d’homme avec un âge moyen de 29,2 ± 27,6 ans) (p=0,0013). La circulation du SARS-CoV-2 pendant la période de l’étude a été faible entre le 1er mars et le 18 mars avec seulement 85 cas contre 558 cas sur le reste de la période.
Patients positifs pour au moins un autre virus que le SARS-CoV-2
Nous avons aussi comptabilisé 1068 patients positifs pour au moins un virus respiratoire autre que le SARS-CoV-2 sur la période étudiée (25,3%). Le sex ratio était de 0,99 (532 hommes (49,8%) pour 536 femmes (50,2%)).
La moyenne d’âge des femmes était de 30,5 ± 27,8 ans et celle des hommes et de 29,2 ± 27,6 ans. Voici la répartition du nombre de cas positifs en fonction de la période de l’étude et du nombre total de demandes.
DISCUSSION
Nos résultats (impliquant l’une des plus grandes cohortes de patients à notre connaissance) montrent que des co-infections sont possibles entre le SARS-CoV-2 et d’autres virus respiratoires, mais qu’elles nécessitent une coïncidence de leurs périodes épidémiques. Le taux de 4,2% dans l’étude est plus élevé que certains taux retrouvés dans la littérature [46,55] mais aussi plus faible que ceux d’autres études [49]. Les premiers cas de SARS-CoV-2 en France sont apparus en Janvier 2020 et nous avons détecté notre premier cas à l’IHU Méditerranée Infection le 27 février 2020. L’épidémie de SARSCoV-2 est alors survenue à une période durant laquelle la circulation des autres virus respiratoires était élevée et notamment au moment du pic saisonnier des infections par les virus de la grippe ou par le RSV.
Nous pouvons ainsi observer que la circulation des virus respiratoires (hors SARS-CoV-2) pendant cette période a été élevée jusqu’à mi-mars. En effet nous avons comptabilisé quasiment 90% (938 cas) des cas de viroses respiratoires entre le 1er mars et le 18 mars. Le nombre de cas a ensuite considérablement diminué avec uniquement 57 cas en avril 2020. Le nombre d’infections par des virus respiratoires non‐SARS‐CoV‐2 a donc diminué de 17,7 fois (passant de 1011 à 57) entre mars et avril, et le nombre de co-infections par le SARS‐CoV‐2 et d’autres virus respiratoires a par conséquent diminué de 3,5 fois (de 21 à 6) entre ces 2 mois. Une étude suisse a retrouvé dans les mêmes proportions que nous une importante circulation des virus respiratoires avant l’arrivée du SARS-CoV-2 durant les semaines 12-13 de l’année 2020 [56].
Le taux de co-infection virale chez les patients SARS-CoV-2 positif a été plus faible que celui chez les patients SARS-CoV-2 négatif (4,2% versus 45%, p < 0,0001). Cette tendance est similaire à celle de l’étude de Singh et al [57] (4% de co-infections virales chez les patients SARS-CoV-2 positifs et 9% chez les patients SARS-CoV-2 négatifs (p<0,05)). Nous avons observé 4 cas de co-infections avec le virus de la grippe (2 grippes A et 2 grippes B) car la période de notre étude se situe au moment de la phase finale de l’épidémie pour l’année 2020 (même si la surveillance s’est arrêtée mi-mars à cause du confinement rentré en vigueur en France le 17 mars 2020) https://www.vie-publique.fr/en-bref/276800-grippe-de-lhiver2019-2020). Dans la littérature de nombreux cas ont été rapportés pour cette co-infection et une récente méta-analyse [58] indique que sur 26 études incluses, la prévalence de cette co-infection a été globalement de 1,2%. Un rapport chinois [59] a signalé que cette co-infection SARS-CoV2 / virus grippal était fréquente au début de l’épidémie à Wuhan et Bai et al [60] ont décrit à travers de modèles expérimentaux animaux qu’une infection préalable par le virus de la grippe A favoriserait une infection par le SARS-CoV-2.
Fait intéressant, nous n’avons détecté que 2 infections par un virus de la grippe au cours de l’hiver 2021 durant lequel l’incidence des infections par le SARS-CoV-2 est resté élevée.
Dans les deux cohortes (patients co-infectés SARS-CoV-2/autres virus respiratoires et patients positifs pour un autre virus autre que le SARS-CoV-2), les taux de co-infections les plus élevés étaient avec les HRV du fait d’une circulation importante durant la période de l’étude et durant toute l’année de manière plus générale. A l’IHU méditerranée Infection depuis le 1er janvier 2015 jusqu’à septembre 2020 nous avons comptabilisé 12,5% de HRV positifs avec une circulation tout au long de l’année et avec des pics à partir du mois d’octobre jusqu’au mois de mars-avril pour chaque année. Une étude danoise a d’ailleurs décrit que la circulation des HRV sur une période de cinq ans était similaire à la nôtre avec des pics à l’automne et une régression en début d’été [61].