Le modèle Méso-NH
Méso-NH est le modèle de recherche atmosphérique développé par le Laboratoire d’Aérologie et le Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM) depuis près de 30 ans (Lac et al., 2018). Sa large gamme de résolution spatiale permet d’étudier des phénomènes atmosphériques allant de l’échelle turbulente (tourbillons dans la couche limite, entraînement dans les nuages) à l’échelle synoptique (cyclones, tempêtes, anticyclones). Afin de représenter au mieux les interactions entre les divers processus, Méso-NH est couplé avec différents modules décrivant la dynamique, la chimie, le rayonnement et les espèces microphysiques au sein de l’atmosphère, des océans et des surfaces continentales (Fig. 2.6). Le modèle, non-hydrostatique et anélastique, élimine tout problème lié à la propagation des ondes acoustiques rapides (Lafore et al., 1998). Les simulations présentées dans cette thèse ont été réalisées avec la version 5.3 de Méso-NH.
Le modèle numérique utilise le schéma de surface SURFEX (SURFace Externalisée) pour représenter les échanges de flux entre les surfaces et l’atmosphère (Masson et al., 2013). La dynamique atmosphérique est régie par le schéma d’advection eulérien d’ordre 5 WENO (Weighted Essentially Non-Oscillatory, Shu et Osher, 1988) décrivant l’évolution des trois composantes du vent (u, v, w). Les autres variables pronostiques du modèle, l’énergie cinétique turbulente, la température potentielle et les rapports de mélange des diverses phases de l’eau, sont transportées par le schéma d’advection PPM (Piecewise Parabolic Method, Colella et Woodward, 1984). Les variables sont localisées sur une grille étirée de type C selon la classification de Arakawa (1966). La turbulence est représentée à l’aide d’un schéma de fermeture d’ordre 1,5 (Cuxart et al., 2000). Les processus microphysiques au sein des nuages sont paramétrés par le schéma microphysique à un moment ICE3 (Pinty et Jabouille, 1998). L’eau y est décrite sous 6 espèces : gazeuse (vapeur d’eau), liquide (gouttelette, pluie) et glacée (cristaux de glace, neige et graupel). Les processus radiatifs sont simulés avec le code de rayonnement développé par le CEPMMT.
La convection peu profonde est paramétrée par le schéma de Pergaud et al. (2009) de type EDMF (Eddy Diffusivity Mass Flux).
L’obtention d’une représentation réaliste de la tempête Stalactite avec le modèle a nécessité la puissance de calcul de 256 processeurs, soit une dizaine de milliers d’heures de calcul. Cela s’explique par le besoin de représenter explicitement la convection profonde sur un grand domaine. Ce dernier a été choisi de sorte à intégrer l’ensemble des masses d’air de la tempête dans la journée du 2 octobre. Il couvre ainsi l’Islande, la partie sud-est du Groenland, les Îles Féroé et les zones survolées par le Falcon-20, soit une région de 2000 km x 2000 km (Fig. 2.7).
Trajectoires lagrangiennes
Les trajectoires de la WCB associée à la tempête Stalactite ont été identifiées à partir de l’outil lagrangien développé dans Méso-NH par Gheusi et Stein (2002). Trois étapes ont été nécessaires. Tout d’abord, chaque particule d’air initialement localisée à ~x0 à un instant t0 sur chaque point de grille du modèle s’est vue attribuée un traceur passif 3D. Ces traceurs passifs enregistrent alors à chaque pas de temps t du modèle (ici toutes les 20 s; calcul « en ligne ») la position des particules d’air advectées par les différents processus de transport du modèle (ici les trois composantes du vent ainsi que les mouvements turbulents et convectifs). Cette technique permet ainsi d’obtenir la trajectoire complète d’une particule d’air depuis sa position initiale à n’importe quel instant tj souhaité comme le montre la figure 2.8.
Cet outil est donc particulièrement adapté pour suivre les mouvements convectifs au sein des WCB puisque le calcul des différentes trajectoires des particules d’air bénéficie de la haute résolution temporelle du modèle. De plus, la valeur de toute variable α le long d’une trajectoire peut être obtenue a posteriori à partir du champ eulérien de α tel que : αtraj (tj ) = αEul X~ (tj ), tj (2.1) L’outil est alors aussi très utile pour étudier les changements des propriétés de chaque particule d’air. Un fichier de sortie, contenant les variables suivies le long des trajectoires (altitude, rapports de mélange des hydrométéores et composantes du vent entre autres), est écrit à la même fréquence que les sorties des simulations (soit toutes les heures). Pour les besoins de cette thèse, la température potentielle et le PV ont été rajoutés aux variables suivies le long des trajectoires lagrangiennes.
Les trajectoires de la WCB associée à la tempête Stalactite sont identifiées dans les simulations. Le critère standard de sélection en pression est de 600 hPa en 48 h (e.g., Madonna et al., 2014; Martínez-Alvarado et al., 2014b; Oertel et al., 2020). Ce critère est ici ramené à une ascendance d’au moins 150 hPa dans une fenêtre temporelle de 12 h centrée autour des observations du Falcon-20 relatives aux vols RF06 (entre 00 et 12 UTC le 2 octobre) et RF07 (entre 10 et 22 UTC le 2 octobre). Cette fenêtre temporelle a été choisie afin que l’ensemble des trajectoires se situant près des zones observées restent à l’intérieur du domaine de simulation, notamment celles soumises à des vitesses de vent plus élevées en haute troposphère. Le critère ne permettant pas formellement d’identifier les trajectoires complètes de la WCB depuis la couche limite jusqu’à la haute troposphère, les trajectoires sélectionnées sont simplement appelées « ascendances ». Inspirée de Rasp et al. (2016) et Oertel et al. (2019), une distinction est faite entre les ascendances « lentes » et les ascendances « rapides ». Sont considérées comme « rapides » les ascendances qui ont connu au moins une période avec un taux d’élévation supérieur à 100 hPa 2h−1 . De telles périodes de 2 h sont définies comme « segments rapides ». Les ascendances ne respectant pas ce critère sont définies comme « lentes ».
Outil d’identification d’objets 3D
L’identification des mouvements convectifs locaux au sein de la WCB associée à la tempête Stalactite s’est effectuée à partir de l’outil d’identification d’objets 3D développé par Dauhut et al. (2016) dans le modèle. Cet outil, initialement conçu pour étudier l’orage Hector en Australie, considère les courants ascendants comme des objets 3D constitués de points de grille connectés pour lesquels la vitesse verticale dépasse un seuil arbitraire modifiable par l’utilisateur. Deux points de grilles sont considérés comme connectés s’ils ont en commun une face horizontale ou verticale, comme l’illustre la figure 2.9.
Caractérisation des ascendances convectives dans une WCB
Présentation de l’article
La tempête Stalactite est ici étudiée au cours de la journée du 2 octobre 2016. Sa structure nuageuse a été observée à grande échelle par le radiomètre SEVIRI depuis le satellite MSG. Un vol du Falcon-20, embarquant à son bord le radar Doppler RASTA, a permis d’obtenir des observations à fine échelle de la structure nuageuse et de la dynamique internes de la WCB associée à la tempête. Une simulation de cette dernière est réalisée avec le modèle Méso-NH. La durée et la résolution horizontale de la simulation sont choisies de sorte à reproduire l’ensemble des masses d’air de la tempête dans un domaine centré autour des observations du Falcon-20 avec une convection résolue explicitement.
La WCB, la tête nuageuse, l’intrusion sèche ainsi que le courant jet d’altitude et le jet de basse couche simulés s’avèrent être très ressemblants à ceux observés aussi bien à mésoéchelle qu’à l’échelle kilométrique. Un bon accord est également trouvé entre la trajectoire de la tempête simulée et celle obtenue à partir des analyses du CEPMMT. Les résultats présentés ci-dessous sont donc considérés comme représentatifs des structures nuageuses et dynamiques de la tempête Stalactite.
Les ascendances dans la région de la WCB sont d’abord identifiées à l’aide de trajectoires lagrangiennes entre 10 et 22 UTC. Pour cela, les trajectoires doivent avoir subi une ascendance d’au moins 150 hPa en 12 h, soit le critère d’identification traditionnel des WCB rapporté sur la fenêtre temporelle étudiée ici. Plus de 500 000 trajectoires sont ainsi identifiées puis classées selon leur taux d’élévation, supérieur à 100 hPa en 2 h (ascendance rapide) ou inférieur (ascendance lente) dans la fenêtre temporelle. Il en résulte que plus d’un tiers des trajectoires sélectionnées correspondent à des ascendances rapides. Une distinction supplémentaire est faite entre les ascendances en fonction de leur courbure en fin de trajectoire (cyclonique ou anticyclonique). Alors que les deux tiers des trajectoires suivent le flux cyclonique de grande échelle entre 10 et 22 UTC, un tiers prennent une courbure anticyclonique lorsqu’elles rejoignent le courant-jet en fin de trajectoire. Les ascendances anticycloniques sont situées plus haut et plus au nord dans la WCB que les ascendances cycloniques, localisées majoritairement dans la partie sud de la WCB. Les ascendances anticycloniques correspondent ainsi à la description classique de la branche anticyclonique de la WCB. De plus, les ascendances rapides se situent majoritairement sur le bord ouest de la WCB, le long du front froid de surface associé à la tempête Stalactite, tandis que les ascendances lentes se répartissent entre le coeur de la WCB et son bord est.
Lors de leur ascendance, l’ensemble des trajectoires subissent un mouvement vertical de l’ordre de 0,1 m s−1 associé à la production de faibles contenus en graupel en moyenne. Des valeurs plus élevées sont atteintes lors des segments rapides, définis comme les parties de trajectoire au cours desquelles les ascendances rapides dépassent le seuil de 100 hPa (2 h) −1 . Ces derniers sont également distingués suivant leur courbure et se situent majoritairement dans les basses et moyennes couches de la troposphère durant les 12 h de simulation. Les observations du radar RASTA révèlent la présence de structures de forte réflectivité de 1 à 3 km de hauteur pour 20 à 40 km de largeur dans la troposphère. Ces structures, correctement reproduites par la simulation, sont associées à des segments rapides et à une vitesse verticale supérieure à 0,3 m s−1 . Ces caractéristiques suggèrent donc que les structures de forte réflectivité identifiées sont en réalité des cellules convectives immergées dans la WCB.
Une méthode de clustering, basée sur l’identification d’objets 3D cohérents ayant une vitesse verticale supérieure à 0,3 m s−1 met en évidence trois principaux types de convection organisée au moment des observations. Le premier est situé à l’extrémité sud-ouest de la WCB et coïncide avec l’extrémité ouest du jet de basse couche. Il est appelé « convection frontale » en raison de sa proximité avec le front froid de surface. Le second type, localisé au-dessus et à l’est du noyau du jet de basse couche, est appelé « convection en bande » car il forme une longue bande qui s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres. Le troisième type est situé le long du bord ouest de la WCB, au nord-ouest de la convection frontale, et au-dessus du bord ouest du noyau du jet de basse couche. Il est appelé « convection à mi-niveau » en raison de son altitude plus élevée.
Les trajectoires participant à la convection en bande et à la convection frontale proviennent de la couche limite et restent en-dessous de 3 km d’altitude. Le suivi géographique de leur trajectoire indique qu’elles sont advectées par le flux cyclonique lors de la période de 12 h étudiée. Ces dernières ressemblent donc à de la convection peu profonde et ne font pas clairement partie de la WCB. En revanche, les trajectoires participant à la convection à mi-niveau commencent au-dessus de 2 km d’altitude et s’élèvent jusqu’à 8,5 km d’altitude. Celles ci prennent majoritairement une courbure anticyclonique et font partie du flux ascendant de la WCB.
L’évolution temporelle du PV le long des différentes trajectoires montre que la convection en bande et la convection frontale subissent un gain de PV, court mais important, lors de leur ascendance, en accord avec la vision classique du dipôle vertical de PV au sein des WCB. Au contraire, la convection à mi-niveau enregistre une diminution du PV au moment où des segments rapides se produisent. Si ce résultat diffère de la vision classique, il s’accorde aux travaux les plus récents réalisés à partir de simulations et d’observations à méso échelle. Les trois types de convection identifiés au moment des observations se retrouvent au début et en fin de simulation. Elles sont donc représentatives des mouvements convectifs intégrés au sein de la WCB sur la fenêtre temporelle étudiée.