Discussion
L’ensemble de ces résultats sur la minéralisation du carbone va dans le même sens que ceux du dosage des pesticides résiduels par HPLC. Ces derniers révèlent qu’après 30 jours d’incubation, le malathion et la cyperméthrine sont dégradés presque à 100% de la quantité initiale ajoutée. Cependant, comparé à la quantité de CO2 minéralisée qui montre qu’il n’y a presque aucune dégradation de l’endosulfan, le dosage par HPLC indique une dégradation de 55% du pesticide. Cela montre que l’endosulfan ne s’est pas entièrement dégradé à la différence du malathion et de la cyperméthrine. Ce résultat peut être expliqué par les facteurs biotiques et abiotiques en particulier. En effet, il a été montré que la biodégradation de l’endosulfan dépend des propriétés du sol comme la texture, le pH et la présence de la matière organique (Goebel et al., 1982 ; Sutherland et al., 2002). Les travaux de Awasthi et al. (2000), ont montré que la dégradation de l’endosulfan (2.35 mg.g-1 ) est estimée à 20% dans un sol à pH 8.7 après 14 semaine d’incubation. Ce même sol donne un taux de 90% après inoculation d’une population bactérienne dégradante. Dans le cas de notre étude, la dégradation rapide de l’endosulfan comparé à la littérature pourrait être due en grande partie à des facteurs abiotiques et non à la microflore endogène du sol. Plusieurs publications ont mis en évidence l’hydrolyse chimique de l’endosulfan en endosulfan diol (Guerin, 1999 ; Sutherland et al 2002).
En ce qui concerne le malathion et la cyperméthrine, les hypothèses émises sur la minéralisation du carbone des pesticides restent toujours valables pour le suivi de la dégradation par HPLC. Par ailleurs des études récentes font état d’une dégradation rapide estimée à 60% de la quantité initiale de malathion (500mg.l-1 ) en moins de 0.5 h. Alors que la dégradation complète du malathion s’effectue après 2 jours (Kim et al., 2005). En plus de la dégradation biotique, la dégradation abiotique doit être pris en compte. Il a été montré que l’hydrolyse (photolyse) est le processus majeur dans la dégradation du malathion (Racke, 1992 ; Pehkonen et Zhang, 2002 ; Bavcon et al., 2003). Dans le cas de la cyperméthrine, l’étude de Maloney et al. (1988) a montré que la durée de demi-vie (DT50) d’une quantité initiale de 50 ppm est inférieure à 5 jours.
Le dosage des pesticides par chromatophie en phase gazeuse couplée à la spectro de masse pesticides au cours temps et nous permettrait de mieux appréhender l’impact de ces xénobiotiques sur l’activité microbienne.
Dans le cas des mélanges entre pesticides et substrats carbonés, les résultats montrent que la présence de substrats carbonés exogènes, n’a pas d’effet significatif sur la minéralisation des pesticides. Ce résultat est valable quelque soit le substrat carboné ajouté (simple ou complexe).
Dans le cas de l’endosulfan, l’apport du glucose n’a pas montré d’effet significatif sur la minéralisation du carbone en présence de ce pesticide. La dégradation du malathion et de la cyperméthrine est plus faible en présence des substrats carbonés dans la mesure où ces substrats carbonés induisent une diminution de la minéralisation du carbone en présence de ces pesticides. La source de carbone en plus de la présence du pesticide dans le sol, peut influencer les pourcentages de la dégradation (Awasthi et al., 2000). Plusieurs auteurs ont montré que la présence d’une source de carbone additionnelle entraîne une diminution voir même une inhibition de la dégradation des pesticides (Sahu et al., 1993). Des résultas similaires aux nôtres ont été rapportés par Awasthi et al., (2000) qui ont observée une diminution (inhibition) significative de la dégradation de l’endosulfan avec l’addition de l’acétate de sodium et du succinate de sodium. Par contre, l’addition du glucose n’a pas montré d’effet significatif sur la dégradation de l’endosulfan. Et à l’absence de ces substrats carbonés le sol traité à l’endosulfan seul montre un taux de dégradation élevé de 75% après 7 semaines d’incubation.
Ces résultats peuvent être liés à une préférence des microorganismes à la dégradation des substrats carbonés au détriment des pesticides. Ils révèlent en fait une compétition probable de la microflore endogène pour la dégradation du pesticide et du substrat carboné exogène.
Les résultas ont montré que les quantités de CO2 minéralisées sont significativement plus élevées dans les sols amendés avec les mélanges pesticides plus substrats carbonés. Par ailleurs, comparé au sol traité avec le pesticide seul, la quantité de CO2 additionnelle dépend du substrat ajouté. Dans le cas des mélanges pesticides plus substrats carbonés, le C-CO2 additionnel libéré est significativement plus élevé dans les sols amendés avec le glucose et avec l’acide glutamique. Ce résultat peut être expliqué par la structure simple du glucose et de l’acide glutamique. En ce qui concerne l’acide glutamique, la présence d’une source de N organique est à prendre en compte. Ce qui pourrait faciliter leur utilisation par la microflore, contrairement à leurs polymères respectifs plus complexes (cellulose, caséine peptone).
Le mécanisme possible, permettant d’expliquer nos résultats est le co-métabolisme. Kuzyakov et al. (2000) définie le co-métabolisme comme une augmentation de la dégradation de la MO due à une croissance microbienne accompagnée d’une augmentation de la production d’enzymes. Les microorganismes provoquent la dégradation des pesticides en utilisant une autre source de carbone et d’énergie pour leur croissance (Scheunert, 1992).
Cependant cette hypothèse est contradictoire avec nos résultats dans la mesure où la variation calculée est inférieure à la minéralisation potentielle (probable) des pesticides. Pour l’endosulfan par exemple, la variation est même inférieure à la minéralisation apparente du pesticide avec l’addition de l’acide glutamique. Ce mécanisme pourrait expliquer le cas du glucose, mais la variation n’est pas significative comparée au sol traité avec l’endosulfan seul. Par ailleurs, le co-métabolisme pourrait être confirmé ou infirmé par le suivi de l’évolution du métabolisme des pesticides par marquage isotopique ou par le suivi par HPLC ou CG/MS des métabolites et des extraits de sol contenant le pesticide et un substrat (en cinétique). Le co-métabolisme est mis en évidence par CG/MS, lors des travaux de Neumann et al. (2003) qui ont montré que la souche ADP Pseudomonas sp. est capable de dégrader l’atrazine en l’utilisant comme source de N simultanément avec le métabolisme d’un substrat additionnel (sodium succinate) comme source de carbone et d’énergie pour la croissance.
Cette étude serait nécessaire dans la mesure où le sol constitue un milieu complexe dans le quel, plusieurs autres facteurs peuvent expliquer nos résultats.
Par conséquent, il est aussi intéressant de souligner l’effet d’une possible influence de la décomposition de la matière organique native du sol. Cet effet est communément appelé « Priming Effect » (Kuzyakov et al., 2000 ; Fontaine et al., 2003 ; Harmer et Marschner, 2005). D’après ces auteurs, l’addition de certains substrats carbonés peut accélérer ou retarder la minéralisation de la matière organique native du sol. Ce phénomène du « priming Effect » est très souvent réalisé par induction de la respiration microbienne grâce à l’ajout de résidus végétaux et de substrats simples (glucose, fructose, alanine, acide oxalique et le catéchol). De Nobili et al. (2001) suggèrent que certains microorganismes requièrent une faible quantité d’énergie pour maintenir la cellule dans un état d’alerte métabolique. Ainsi ils seront capables de réagir plus rapidement aux substrats que les cellules dormantes. Dans le cas de notre étude, le phénomène résulte d’une disponibilité plus élevée d’énergie pouvant induire un phénomène de priming effect (PE) négative. Dans ce cas précis, l’addition du substrat carboné est toxique aux microorganismes, inhibant ainsi l’activité enzymatique étroitement liée aux modifications la structure de la MO (Fierer et al., 2001). Les travaux de Harmer et Marschner, (2004) montre un priming Effect négative avec le catéchol estimé à – 24%. Ainsi l’étude de l’évolution de la minéralisation nette du carbone par marquage isotopique (13C ou C-substrats) permettrait de mieux connaître le C-CO2 issu de la dégradation nette du pesticide et celui apporté par les substrats exogènes.
En somme, la compréhension de ces facteurs (priming effect, co-métabolisme) est un élément déterminant pour améliorer les conditions de l’utilisation des microorganismes en vue de la biorémédiation des pesticides.
Impact des pesticides sur l’activité enzymatique
L’impact est similaire entre les activités de la FDA et de la Déshydrogénase et varie différemment selon le type de pesticide au cours du temps. Dans le cas de l’activité de la déshydrogénase les résultats indiquent une augmentation de l’activité microbienne en présence de la cyperméthrine et une diminution dans le sol traité avec le malathion. Par contre, l’endosulfan ne montre pas d’effet significatif sur l’activité de la déshydrogénase. Les résultats traduisent une stimulation de l’activité de la déshydrogénase par la cyperméthrine et une inhibition par le malathion. La déshydrogénase décrit comme étant un indicateur sensible aux changements environnementaux, peut être employée pour évaluer l’impact des pesticides sur les populations microbiennes du sol (Menon et al., 2005).
L’activité de la déshydrogénase est une mesure de l’intensité du métabolisme microbien oxydant ainsi que de l’activité microbiologique du sol. Cette activité est un bon indicateur du potentiel biologique redox du sol. C’est une enzyme intracellulaire de type respiratoire (Camina et al., 1998; Quilchano et Maranòn, 2002). La déshydrogénase est présente dans tous les microorganismes vivants (Dick, 1997). L’effet de stimulation de l’activité de la déshydrogénase par la cyperméthrine peut être attribué à l’augmentation de la biomasse microbienne (Skujins, 1973) ou des nutriments dans le sol (Staddon et al., 2001). Par contre l’effet inhibiteur de l’activité de la déshydrogénase par le malathion peut être attribué à une toxicité des produits de sa dégradation sur la microflore du sol. Ainsi les travaux de Kim et al. (2005) ont montré des effets toxiques du malathion et de ses métabolites incluant le malathion monoacide sur des bactéries bio luminescentes. Ces métabolites causent des dommages sur la membrane et sur les synthèses protéiques des cellules bactériennes (Kim et al., 2005). Ce résultat peut être aussi expliqué par un phénomène de complexation avec le substrat Triphényltétrazolium chloride (TTC). Les travaux de Quilchano et Maranòn (2002) ont rapporté une relation positive entre la déshydrogénase et les propriétés du sol tels que le pH, la teneur en N, Ca, Mg et l’humidité du sol. Certains auteurs mettent en exergue la relation qui existe entre la réponse de l’enzyme du sol due à la présence du pesticide, les caractéristiques propres aux xénobiotiques et les propriétés du sol (Sannino et Gianfreda, 2001). Plusieurs auteurs ont rapporté des effets de stimulation et d’inhibition de l’activité de la déshydrogénase en présence des pesticides (Flieβbach et Mäder, 2004 ; Lin et al., 2005).
Les travaux de Vig et al. (2001) qui ont porté sur deux sols qui ont subis ou pas un ou plusieurs traitement(s) préalable(s) d’insecticides. Ces travaux ont montré tantôt une stimulation de l’activité de la déshydrogénase dans les sols traités à la cyperméthrine, diméthoate et une inhibition par le monotrocophos. Par contre l’endosulfan et le thiazophos n’ont pas montré d’effet sur l’activité de la déshydrogénase. Au cours de cette même étude des résultats contradictoires aux nôtres ont été observés selon les cas cité précédemment c’est à dire une inhibition par la cyperméthrine ou une stimulation par l’endosulfan. Dans le cas l’activité de la FDA, les résultats indiquent une augmentation de l’activité dans sol traité avec la cyperméthrine et une diminution au niveau du sol traité avec le malathion.
Les résultats révèlent une possible stimulation de l’activité de la FDA par la cyperméthrine et une inhibition par le malathion. Par contre aucun effet significatif n’est obtenu avec le sol traité avec l’endosulfan. L’hydrolyse de la FDA permet une mesure plus globale de l’activité microbienne du sol. Cette hydrolyse est une mesure de l’activité des protéases, lipases et estérases (Dick, 1997 ; Adam Duncan, 2001). Ces enzymes sont capables de fonctionner à l’extérieur des cellules et pouvant ainsi se complexer avec les colloïdes du sol (Schnürer et Rosswall, 1982). La FDA est hydrolysée aussi bien par les enzymes libres (exo-enzymes) et les enzymes membranaires (Stubberfield et Shaw, 1990). Plusieurs études font état de l’utilisation de l’activité de la FDA pour évaluer l’impact des pesticides sur la microlflore du sol (BjØrnlund et al., 2000 ; Lin et al., 2005).
L’effet stimulateur par la cyperméthrine de l’activité de la FDA peut être dû à une augmentation de la biomasse microbienne. En effet, l’activité de la FDA augmente avec la composition de la MO, l’humidité et avec l’augmentation de la biomasse microbienne (Schnürer et Rosswall, 1986). Par contre l’effet inhibiteur du malathion peut être expliqué par l’effet toxique du malathion monoacide comme décrit pour la déshydrogénase. En effet, les travaux de BjØrnlund et al. (2000) signalent que l’effet inhibiteur du pesticide sur l’activité de la FDA peut découler de la combinaison de l’effet du pesticide même et de ses métabolites. Pendant cette étude, le fenpropimorph (fongicide) montre un effet inhibiteur à long terme sur des populations fongiques et bactériennes saprophytes. Aucune corrélation positive n’est observée entre la minéralisation du carbone des pesticides et les activités de la déshydrogénase (r2 = 0.003; P < 0.05) et de la FDA (r2 = 0.075 ; P < 0.05). Ce constat peut se justifier par l’effet toxique des produits de la dégradation du malathion en particulier le malathion monoacide sur la microflore du sol comme décrit par Kim et al. (2005). Cela se traduit par une inhibition des activités enzymatiques de la déshydrogénase et de la FDA. Des résultats opposés aux nôtres, ont été obtenus par certains auteurs avec d’autres pesticides outre que le malathion. C’est le cas des travaux de Lin et al. (2005) qui révèlent que la minéralisation nette de l’atrazine après 100 jours d’incubation est positivement plus corrélée avec la déshydrogénase (r2 = 0.763) que l’hydrolyse de la FDA (r2= 0.494).