Sitiar, cercar, asediar où est le siège du sens

Analyse de la structure à laquelle appartiennent sitiar et asediar

Considérations théoriques générales

Il est d’abord observable que le signifiant de sitiar comporte une analogie avec les idéophones de l’anglais traités par Bottin eau (2003a : 217) et structurés autour du groupe [st].
En se basant sur un important corpus de mots tant lexicaux que grammaticaux, il a en effet démontré que ce groupe était lié à la notion de « stabilité ».
La même racine se trouvait déjà chez Guiraud, en application aux idiomes de l’aire francophone, où il évoque l’existence d’un étymon [st-k]. Cet étymon est selon lui « d’origine vraisemblablement germanique et […] désigne diverses sortes de bâtons et de pieux : estache, estachier, estacade, estiquet, étiquette, estiquette, estoc, estocque, estoquier. » 916 Or, ce sont là précisément des éléments qui peuvent servir de base notionnelle à l’évocation (métaphorique ou non) de quelque chose de « dur », de « stable ». Il incombe alors de chercher la cause de cette correspondance morpho-sémantique dans le processus articulatoire qui y donne naissance.
Les constats expérimentaux d’Ivan Fónagy nous éclairent sur cette question : « le /s/ et le /ȓ/ « sont des fricatives linguales : le dos de la langue forme un chenal plus ou moins étroit (plus étroit pour le /s/) qui conduit l’air vers les incisives. »917 Pour ce qui est du son [t], il est l’un des plus « durs » avec les gutturales [k] et [g].918 La combinaison de ces phones [s] et [t] représente donc un flux d’air vers l’extrémité de la sphère buccale entravé par le coup provoqué « durement » par la prononciation du [t], et sur le plan conceptuel, un « arrêt », une « stabilisation ».919 C’est donc bien une possibilité inscrite en puissance dans cette combinaison phonétique. Toutefois, le traitement de ces groupes consonantiques reste propre à chaque système. Soit, pour revenir à l’anglais : […] l’idéophone s-t est saisi analytiquement par distribution sur l’attaque et la coda du radical monosyllabique (sit, sat, set, suit) ou concentré synthétiquement sur l’une ou l’autre de ces positions (stay, rest) auquel cas il est positionné en position finale rhématique de mineure cognitive (rest, mast, post) ou en position initiale de majeure cognitive servant effectivement de sème classificateur intégrant pour l’ensemble de la notion (stay, stop, still)
Les règles de distribution et les lois phonétiques étant différentes en espagnol, nous nous permettrons d’en étendre le champ de variation à d’autres possibilités telles que les mots polysyllabiques (situar, sitiar) ou avec le [e] prothétique (estar). Par ailleurs, la terminaison en [st] est impossible car cela ne correspond pas à une position sémiosyntaxique « canonique » en castillan pour cette forme. Elle renferme cependant parfois des emprunts : e.g. test ; trust ; karst ou des groupes instables : e.g. post- / pos- ; chist / chis (cf. DRAE, s.v.) Fort de ces constatations théoriques, nous pouvons désormais vérifier la pertinence du rattachement de sitiar et de asediar à cette structure en {ST} en espagnol.

Observation de la structure en {ST} (répertoire n°5)

Bien qu’un tri ait été effectué sur un répertoire non complet des mots d’origines souvent différentes, il est intéressant de remarquer que la notion de « stabilité » est effectivement exprimée par de nombreux mots contenant [st]. Quoique varient positions (implosives vs. explosives) et formes (voisé vs. non voisé, synthétique vs. analytique), le trait articulatoire n’en demeure pas moins identique. L’on peut alors établir provisoirement que le sens évoqué par sitiar dans les emplois cités est imputable à ce groupe formel sans s’y limiter.
On retrouve dans cette structure des sens abstraits (asentar, asentir), concrets (situar, estar), des éléments connexes (sístilo, bastir), l’évocation de bâtons et de pieux à l’image de ce que Guiraud a détecté pour l’occitan (seto, basta, basto, sesta, estaca) ainsi que la notion de « siège » proprement dite et métaphorique (asiento, sitiar). Cette dernière idée se trouve d’ailleurs dans des dérivés du latin sedere (« être assis ») en espagnol où l’on peut constater une corrélation avec [s-t] en tant que variante voisée.921
Nous pouvons ainsi ajouter à la liste des vocables co-structurels tels que sede, sedente, sedentario, sedimento, asediar, en tant qu’issus de sedere mais également presidio et ses dérivés ; sólido ; asiduo ; considerar ; residir et ses dérivés ou encore sidecar (emprunt).
Nous notons en outre l’intégration de asediar qui fait partie de cette famille étymologique. En effet, l’étymon est obsidiare (< ob x sedere). Le [d] intervocalique n’est donc pas dû à quelque procédé que ce soit de discrimination dans l’évolution du mot. On remarque au contraire le maintien de la racine [s-d] qui pourrait représenter une variante de [st]922. La « marge de manœuvre » dont disposait asediar pour être corrélé à sitiar était limitée à la conservation de ce groupe consonantique. Mais pour dénicher la pertinence du recours à cette racine il est nécessaire de remonter à l’indo-européen où l’on trouve déjà le statif *sed- (« siège ») dont sont dérivés notamment sedere et le grec hédra de kathédra (καθεδρα).923
Sitio, puis sitiar, sont donc le résultat d’un processus d’adéquation du signifiant au signifié en diachronie par l’influence de cet étymon obsidiare sur sitŭs. L’on avait effectivement un état de proto-paronymie représenté par le groupe [si x dentale] comprenant la base des capacités formelles actuelles [s-t] / [s-d], ce qui a précipité l’épenthèse du [i] post-consonantique. Il est donc cohérent de retrouver aujourd’hui cette corrélation analogique.
Nous pouvons donc d’ores et déjà écrire que sitiar et asediar sont co-structurels puisque fédérés par le même idéophone sous des formes distinctes, tout comme pouvaient l’être en latin stare (« être debout ») et sedere (« être assis ») où la notion commune de « stabilité » était déjà prégnante.
Pour approfondir cette question, ce qui donnerait plus de pertinence à ce rattachement morpho-sémantique, il incombe d’établir certains rapports internes pour mettre d’abord en regard ces verbes avec d’autres membres de la structure.

De quelques rapports morpho-sémantiques intra-structurels

De la relation énantiosémique entre postrar / sedar et asediar

Comme le montre le répertoire, si cette structure est bien opérationnelle, elle peut également intégrer des mots nouveaux par remotivation ou, au contraire, comprendre des énantiosèmes, tel postrar dont voici quelques acceptions :
Postrar (Del lat. prostrāre) 1. tr. Rendir, humillar o derribar algo.2. tr. Enflaquecer, debilitar, quitar el vigor y fuerzas a alguien. U. t. c. prnl.3. prnl. Arrodillarse o ponerse a los pies de alguien, humillándose o en señal de respeto, veneración o ruego. (DRAE)
On serait tenté de dire que le lexème de ce verbe ne fait pas partie du même organisme que les autres en [st], sauf à le considérer comme corrélé énantiosémiquement. Cette notion de « stabilité », si elle se trouve remise en question sur le plan discursif chez postrar n’en reste effectivement pas moins présente. Il s’agit d’un « manque » ou d’une « privation de stabilité », comme nous le montrent les deux premières acceptions ainsi que les énoncés suivants :
(236) No pienses que aunque parto es para no bolver, que si a esto se persuadiesse el alma, nunca mi cuerpo saldría de aquí con ella. Respira pues, aliento de mi vida, no te quieras postrar y deshazer, antes deves esforçarte y vivir si, como dizes, me amas, con aquesta esperança.924
(237) Claro que esta convocatoria a la desobediencia civil liderada por el Frente Amplio, que propician algunos de sus dirigentes y que será considerada en esa ocasión, además de ser exhortación a alzarse contra las instituciones y el orden jurídico allí establecido, conduce naturalmente a postrar al país para que no pueda emerger de sus dificultades, para que todo signo de recuperación se ahogue, y quede libre el campo para la demagogia […].
La même question se pose d’ailleurs pour asediar qui peut s’opposer à sedar (“Apaciguar, sosegar, calmar”, DRAE, s.v. sedar), et ce, bien que le degré de paronymie soitassez élevé entre ces deux verbes, soit en énoncé concernant sedar : (238) Una de esas sombras es la revelación que ha hecho el Sindicato Unificado de Policía: Interior trató de sedar a los inmigrantes para que no causaran problemas.926 (239) E la recordaçión de los mandados e consejos legales es el saçerdote prinçipal d’este templo, que mira con los ojos del entendimiento desde el real palaçio, es a saber la cabeça, en donde es el çelebro, distinguido en tres partes: en la anterior, do está la virtud aprehensiva, e la mediana, do está la virtud intellectiva, e la posterior, do está la virtud retentiva, en quien se representan las imágines de las legales iniviçiones e habondosas promesas. De las cuales consçitado, desçiende este saçerdote para sedar e paçificar el temptativo letigio.927 Et pour asediar :
(240) Si Feliciano de Silva, para llevar a buen cabo los amores del caballero Filides y de la hermosa Poliandra, supo resucitar y tornar al mundo, con más caudal de astucias, con mayor raudal de razones dulces, y con número más crecido de trazas y de ardides, a la famosa Celestina, para asediar más estrechamente la honestidad y el recogimiento, embebecer y enlabiar la crédula hermosura, y para enredar entre los lazos del amor liviano y desenvuelto la inocencia y la virginidad, antemuradas y defendidas con el rigor de los padres y hermanos y la vigilancia de las dueñas y madres […]928
(241) Entre tanto, afilan sus garfios de abordaje. Listos para asediar la nave de Cambio 90, previo ablandamiento cortesano y lisonjero de su enigmático capitán.929
Énantiosémiquement, l’« arrêt » suppose en effet le « non-arrêt » de la pression exercée, notion présente chez ces deux verbes. En outre, si la saillance {ST} est actualisée chez sedar et postrar, il est logique de retrouver parmi leurs capacités de référentiation respectives celle de « stabilisation du comportement », au sens de « remédiation pathologique » dans le dérivé sedativo (« que tiene virtud de calmar o sosegar los dolores o la excitación nerviosa », DRAE, s.v. sedativo) et dans postración (« abatimiento por enfermedad o aflicción », DRAE, s.v. postración). Nous pourrions donc penser que asediar et sedar représentent deux sollicitations distinctes d’une même saillance, ce qui résout la question de la paronymie entre ces deux verbes, mais également entre postrar et poste (« poteau »), car ce dernier exprime une idée de « stabilité » (non altérée). Corominas, en effet, ne propose pas de lien étymologique entre poste (< postis, dérivé de pōněre) et postrar (< prosterněre),930 ce qui permet d’envisager la thèse de la motivation par le signifiant. Cette théorie pourrait d’ailleurs également être valide pour l’emprunt à l’anglais sidecar.

Statistiques des sémiosyntaxes de la structure en {ST}

Nous pensons pertinent, au vu des utilisations formelles peu communes de cette structure, d’établir des statistiques d’ordres sémiosyntaxique et formel et ce, en regard avec les contraintes imposées par le système, ce qui constitue une grande partie des paramètres dont nous pouvons évaluer la portée.
Nous relevons que, sur un total de 5557 formes recensées sur notre corpus OTA contenant le groupe [st] (100%), huit apparaissent en position initiale (≈ 0,14%), 5542 en position interne (≈ 99,73%) et sept en position finale (≈ 0,12%). En outre, par rapport aux autres groupes phonétiques en position interne, [st] représente 6,67% des 86103 mots.939
Nous prenons conscience, d’une part, que nombreuses sont les formes synthétiques [st] en position interne et que très peu de possibilités existent aux extrémités des signifiants pour l’actualisation. Or, en dépit de ces contraintes systématiques, la structure en [st] a sollicité des capacités formelles en position initiale intégrant des mots empruntés à l’anglais (stand, dérivé standing, striptease, stock) ou des locutions latines comme stricto sensu ou statu quo. Ainsi, six de ces huit vocables ou expressions sont impliqués par la structure en {ST}. Certes il s’agit pour la plupart d’emprunts à une langue qui use davantage des idéophones comme stratégie de production du sens, mais le système cible espagnol n’a pas posé d’obstacle à leur entrée.

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