Schistosoma spp : description
Taxonomie et description morphologique
Décrit en 1852 par le pathologiste allemand Theodor Bilharz, le schistosome est un parasite à sexes séparés : la femelle filiforme vient se loger dans le canal gynécophore du mâle lors de l’accouplement. Ils sont tous deux très reconnaissables : la femelle possède un corps long (environ 20mm) et cylindrique, plutôt étroit tandis que le mâle est plus aplati, plus large et plus court (~10mm). La femelle est de teinte foncée, alors que le mâle est blanc. Quelques différences morphologiques peuvent toutefois être relevées d’une espèce de schistosome à l’autre [1, 2, 4].
Cycle parasitaire
La schistosomiase est une parasitose due à un vers hématophage, à sexes séparés, vivant dans le système circulatoire des mammifères à son stade adulte et évoluant chez un mollusque d’eau douce qui servira d’hôte intermédiaire, à son stade larvaire. D’une espèce à l’autre, l’hôte intermédiaire n’est pas identique : par exemple pour S. haematobium l’hôte est le bulin alors que pour S. mansoni l’hôte est la planorbe.
L’infection chez l’Homme se fait lorsque les larves du parasite pénètrent par la peau après leur libération par le gastéropode : l’Homme est l’hôte définitif.
On parle de cycle hétéroxène car le parasite a besoin de plusieurs hôtes pour se développer.
Le cycle existe et s’entretient selon des conditions d’hygiène particulières : une fois arrivés au stade adulte chez l’Homme, les vers migrent à contre-courant dans la circulation et le schistosome femelle se loge dans les cavités veineuses de la vessie ou de l’intestin où il va pondre ses œufs qui vont passer par effraction et être rejetés dans les urines ou dans les selles selon l’espèce mise en cause.
Dans des conditions de vie précaires, ces déjections se retrouvent dans le milieu extérieur, dans les eaux douces stagnantes locales notamment. Ainsi, en conditions favorables de pH et de température (pH neutre et température entre 18°C et 33°C), les œufs vont libérer leur forme larvaire ciliée : le miracidium. Cette forme a une durée de vie courte de quelques heures et doit trouver son hôte intermédiaire, le bulin ou la planorbe, pour survivre. Son évolution chez l’hôte intermédiaire dure environ 1 mois.
A maturation, le miracidium est à l’origine de la formation de milliers de forme terminale évolutive : le cercaire. Possédant une queue bifide, cette forme, aussi appelée furcocercaire devient donc la forme infestante, circule en eau douce et pénètre par voie transcutanée toute partie du corps humain qui serait immergée en quelques minutes. Il perd sa queue lors de cette pénétration pour devenir un schistosomule [2, 3, 4, 5].
Si les œufs ne sont pas libérés dans ces conditions favorables, que les défenses de l’organisme de l’Homme arrivent à lutter contre eux ou qu’ils sont pondus dans des organes pleins (poumon, foie) ils ne peuvent pas évoluer et seront retrouvés calcifiés.
Dans le système veineux mésentérique les larves se transforment en forme adulte en environ deux mois puis s’accouplent. Les adultes vivent environ trois à cinq ans mais pour certains cela peut aller jusqu’à vingt voire trente ans !
Certains facteurs sont considérés comme favorisants au développement de cette parasitose :
o Niveau socio-économique faible: utilisation des eaux naturelles pour des besoins domestiques et rejets des excréments, natation ou pêche dans des eaux infestées (enfants jeunes principalement qui sont rendus vulnérables à l’infestation)
o Activités professionnelles: agriculture, élevage, tâches ménagères
Pour lutter contre ce fléau, plusieurs techniques sont mises en place : assainissement approprié des eaux, accès à l’eau potable pour les zones reculées ainsi qu’une lutte contre les gastéropodes qui représentent les hôtes intermédiaires.
Un traitement préventif par du praziquantel est aussi instauré de façon périodique à grande échelle pour limiter le nombre de cas.
Espèces et répartition géographique
On considère que cinq espèces de Schistosoma sont pathogènes pour l’Homme. Elles sont responsables d’infections à localisation différente :
o Schistosoma haematobium : bilharziose urogénitale (ou urinaire)
o Schistosoma mansoni : bilharziose intestinale, quelques formes hépatospléniques
o Schistosoma japonicum : bilharziose hépatique sévère
o Schistosoma mekongi : bilharziose hépatique sévère
o Schistosoma intercalatum : bilharziose intestinale
L’Homme est considéré essentiellement comme l’hôte définitif des schistosomes.
La principale zone endémique est l’Afrique : on y retrouvera plusieurs espèces et notamment S. haematobium et S. mansoni, à moindre mesure S. intercalatum dans des zones humides d’Afrique centrale [2, 3, 4, 5].
Physiopathologie de la schistosomiase urinaire
Symptomatologie et manifestations cliniques
La bilharziose évolue en trois phases cliniques successives. [2, 4, 7]
Les effets pathogènes sont principalement causés par la présence d’œufs qui provoquent une réaction immunitaire granulomateuse avec hyperlymphocytose (augmentation des lymphocytes circulants) et hyperéosinophilie (augmentation des polynucléaires éosinophiles) : on parle de granulome bilharzien. Cette manifestation immuno-allergique peut devenir à long terme un bilharziome suite à la confluence de plusieurs granulomes bilharziens.
La bilharziose peut aussi être asymptomatique, notamment en zone endémique (40% des cas).
Phase de pénétration cutanée des furcocercaires
Souvent asymptomatique, elle permet l’orientation du diagnostic quand elle est signalée lors de la phase d’invasion. Elle se manifeste par un prurit et des éruptions cutanées. On peut parler de dermatite cercarienne. Elle survient quelques heures après l’infestation par les furcocercaires et jusqu’à sept jours après.
Phase d’invasion
Elle correspond à la migration des vers dans le système veineux et se manifeste par de la fièvre, des céphalées, une dyspnée asthmatiforme, hépatomégalie et diarrhée. On retrouve dans cette phase aussi une éruption cutanée de type urticaire. Plus rarement on pourra retrouver une encéphalopathie et/ou une pneumopathie. Elle survient entre deux et douze semaines post-infestation. L’hyperéosinophilie est constante et marquée. Cette phase peut être inapparente chez le patient vivant en zone d’endémie alors qu’elle sera bien visible chez le voyageur mais ce syndrome pseudo-grippal peut induire en erreur vers une autre pathologie typique d’un retour de zone endémique, le paludisme.
Phase d’état
C’est la phase qui va différer en fonction de l’espèce impliquée, elle peut se révéler quelques semaines à plusieurs années après l’infestation.
Bilharziose urinaire ou uro-génitale par S. haematobium
Hématurie macroscopique : signe le plus classique retrouvé dans cette forme de bilharziose, il s’explique par l’effraction des parois vasculaires provoquée par les œufs induisant ainsi des microsaignements
Symptômes typiques d’une cystite : pollakiurie, brûlures mictionnelles
Forte inflammation provoquant des infections et une insuffisance rénale
Atteintes génitales chez la femme : saignements du vagin, douleurs au moment des rapports sexuels, nodules dans la vulve
Un cancer de la vessie peut être une complication en cas de forme avancée
Pathologie des vésicules séminales ou de la prostate chez l’homme
Stérilité possible sur le long terme
Les autres formes de bilharziose auront aussi un tableau clinique typique :
o Bilharziose intestinale par S. mansoni et S. intercalatum : diarrhées sanglantes, rectorragies, douleurs abdominales et spasmes coliques
o Bilharziose hépatosplénique par S. mekongi, S. japonicum et S. mansoni : hépatite granulomateuse évoluant vers une fibrose
Il existe d’autres formes, plus rares, de type rénales, pulmonaires, cutanées, digestives ou encore cardiaques.
De plus, cette pathologie provoque des séquelles graves notamment chez l’enfant pour lequel on peut observer un retard de croissance, une anémie, une diminution des capacités d’apprentissage comme chez l’adulte qui pourra être limité dans sa capacité de travail. Ces effets sont cependant généralement réversibles en présence de traitement.
Traitement et prise en charge
Toute bilharziose évolutive doit être traitée afin d’éviter les complications.
Le traitement de première intention de la bilharziose à S. haematobium repose sur l’administration en dose unique de praziquantel (antihelminthique), à titre de 40mg/kg de poids corporel, dose à répéter après un mois. [2]
Le praziquantel augmente la perméabilité des membranes cellulaires pour les ions calcium par perturbation des phospholipides membranaires. Ce mécanisme induit une contraction des schistosomes et leur tétanisation et ainsi la destruction des téguments. Les parasites morts sont ensuite éliminés par l’immunité de l’hôte par phagocytose ou libérés dans la circulation systémique.
Sa pharmacocinétique est relativement classique : absorption rapide avec pic en 1 à 3 heures, métabolisme hépatique et élimination rénale avec demi-vie de 1h à 1h30.
Il est conseillé de prendre le traitement au cours d’un repas ou peu après, le soir en cas de prise unique (et dans un intervalle de quelques heures en cas de prises répétées).
Quelques interactions médicamenteuses sont à prendre en compte avec les inducteurs de cytochromes. Le traitement est possible chez la femme enceinte, quel que soit le terme et à surveiller chez l’insuffisant hépatocellulaire ou en cas de troubles du rythme cardiaque. [9, 10]
Il est important de souligner que le praziquantel n’est efficace que sur les formes adultes de schistosome et qu’ainsi il est primordial de retarder le traitement de plusieurs semaines (entre six et huit en moyenne) afin que les schistosomules aient atteint leur maturation : le traitement ne doit jamais être administré en phase d’invasion car il peut aggraver la symptomatologie.
Il est efficace sur toutes les espèces de schistosome.
Hybrides et espèces animales
La diversité génétique de Schistosoma ainsi que sa possibilité d’hybridation inter-espèces ont un impact sur la dynamique de transmission, l’interaction hôte-parasite, la virulence du parasite ou encore la sensibilité du traitement. [3, 29, 30, 31, 32]
L’hybridation permet au parasite d’élargir son spectre d’hôte, que ce soit pour l’hôte intermédiaire ou l’hôte définitif.
Les phénomènes migratoires et le réchauffement climatique sont deux phénomènes qui augmentent la probabilité de rencontre entre le parasite et deux hôtes potentiels.
L’hybridation entre espèces génétiquement proches plus souvent rapportée est : S. haematobium / S. bovis > S. haematobium / S. mansoni
Ces cas d’hybridation sont de plus en plus souvent retrouvés chez l’Homme : S. mansoni et S. rodhaini au Kenya, S. mansoni et S. haematobium au Sénégal, S. guineensis et S. haematobium au Bénin et au Cameroun.
Récemment, un foyer de bilharziose a été mis en évidence en Corse du Sud, plus particulièrement au niveau de la rivière Cavu dont les eaux peuvent approcher les 30°C au cours de l’été. Des cas ont été rapportés en janvier 2014 avec la mise en évidence d’œufs de Schistosoma dans les urines d’un jeune garçon pris en charge pour une hématurie. Quelques semaines plus tard, des familles ont aussi été diagnostiquées positives à Schistosoma haematobium. Cependant, aucun de ces patients ne faisait état d’un voyage en zone endémique. Il a été ensuite mis en évidence que tous avaient voyagé en Corse.Schistosoma haematobium est considérée spécifique de l’Homme, qui est le principal réservoir de l’infection. Toutefois, de nombreuses espèces de schistosome sont retrouvées chez l’animal, mais peuvent aussi être retrouvées exceptionnellement chez l’Homme (S. bovis notamment).
Dans le foyer Corse, il a été retrouvé une majorité de formes hybrides à S. haematobium et bovis, quelques formes pures à S. haematobium et très rarement des formes de S. bovis. [30,31]
L’espèce S. bovis est capable de se développer chez les deux types de mollusques (planorbe et bulin) et peut aussi être retrouvée dans les mêmes zones géographiques que S. haematobium, avec laquelle elle s’hybride.
Cette hybridation profère de nouvelles capacités infectieuses qui sont alors supérieures : la capacité d’adaptation particulière permet l’infection d’une plus grande diversité d’hôtes.
En effet, S. bovis peut infecter le Bulinus truncatus, mollusque naturellement présent dans les îles méditerranéennes et dans tout le sud de l’Europe, mais il peut aussi infecter des mollusques du genre Planorbarius, retrouvé dans la péninsule ibérique.