Réflexion sociologique et action sociale
Pourquoi les sciences sociales ont-elles tant de difficultés à prévoir s’interroge le sociologue ROGEL (2004). La dernière partie de ce mémoire aborde une réflexion sociologique tournée vers l’action pour un meilleur système d’aide aux familles assistées à Antananarivo. La sociologie, discipline académique, joue un rôle social35. Cette même conviction de pouvoir « peser » sur la vie sociale fonde le travail du sociologue (PAUGAM, 2009). En offrant un regard critique sur le fonctionnement social, la sociologie peut aider les individus, comme le soulignait BOURDIEU, à se libérer de la domination et de la violence symbolique dont ils font l’objet.
Dans un premier temps, nous exposerons le rôle de l’éducation pour une meilleure implication de l’individu en tant qu’acteur et non sujet de protection sociale.
Il sera discuté dans un second temps comment le travail social, en passant l’éducation peut-il rendre plus responsable et autonome? Les travaux menés par les sociologues permettent de mieux comprendre à la fois les facteurs de cohésion et de division des sociétés modernes et d’aider ainsi la réflexion générale sur les réformes en cours ou à venir. Le regard critique que pose la sociologie sur l’ordre social ne vise pas forcément à sa remise en question, mais peut être, utile pour préparer des réformes visant à le modifier. Ainsi, la dernière partie apporte une réflexion sur l’optimisation du travail social et sur une nécessité de réforme structurelle autour du système d’aide.
L’éducation comme outil de lutte contre la dépendance et pour l’apprentissage de la responsabilité
L’individu est un produit de la société c’est à dire qu’il est largement façonné par la socialisation effectuée par le ou les groupes auxquels il appartient mais aussi par des institutions telles que l’Etat ou l’école et par son entourage.L’intériorisation des normes et des règles, ce qu’on appelle la «socialisation» est donc à la source de la cohésion sociale. Mais les règles que l’on intègre ne sont pas seulement les règles générales valables pour tous (ROGEL 2004).
Émile DURKHEIM a définit l’éducation comme « une socialisation méthodique de la jeune génération». Généralement, on peut distinguer deux types de socialisation selon le cadre et le temps. Il existe la socialisation primaire au sein du cercle familial et la socialisation secondaire au sein de l’espace scolaire, professionnel et au fil des divers échanges avec autrui (ANDRIAMIRIJA, 2010). C’est pourquoi, l’éducation fournie par l’association fait partie intégrante de la socialisation secondaire de l’enfant. Ces processus de socialisation permettent aux individus de trouver sa place dans sa société, et d’apprendre les règles et les normes de la société.
La définition de la socialisation proposée par E. DURKHEIM 36est plus normative. Il définit la socialisation à travers l’apprentissage méthodique de règles et de normes par les jeunes générations, favorise et renforce l’homogénéité de la société. La socialisation est transmise de manière verticale, grâce à l’éducation apportée par une génération à la suivante. La discipline et l’attachement aux groupes sociaux en seraient les bases essentielles (DURKHEIM, 1922 cité par ANDRIAMIRIJA 2011).
Il faut que les individus prennent conscience de la valeur du travail et de la responsabilité par l’école et l’éducation. L’éducation détient le rôle d’institution socialisatrice par excellence, elle fait de l’enfant un être social puisque présent dès l’enfance, le caractère contraignant des faits sociaux se fait moins évident et dévient une habitude : c’est le principe de socialisation.
Les individus assistés régulièrement doivent prendre conscience de leur rôle dans la société. L’une des principales obligations concerne d’abord leur devoir envers eux-mêmes puis envers leur famille.
Un Responsable d’association interviewé s’indigne que souvent : « les bénéficiaires considèrent que l’association apporte des mannes célestes inépuisables et va prendre en charge leur survie et cela nuit à l’esprit du travail et à la notion de responsabilité ».
Il parait légitime que l’individu acquière une réelle estime de soi. Cela débute par un changement de regard sur les populations les plus défavorisées (GODINOT 2010).
L’expérience des ONG engagées avec les populations les plus pauvres démontre l’intérêt de redonner confiance en soi et confiance à une population délaissée et méprisée depuis des décennies mais cela demande un investissement humain important et beaucoup de temps. Cet investissement humain, est caractérisé par la scolarisation et de formation professionnelle, ils sont condamnés à rester sur le bord de la route du développement (op. cit). « Manohana tanora vonona sy te hiezaka izahay » « Nous soutenons les jeunes qui sont prêts et qui veulent faire des efforts et prêts » témoigne une coordinatrice de programme au sein d’une association de soutien aux jeunes vulnérables.
L’importance de l’apprentissage nous parait ici essentielle que ce soit pour les enfants ou pour les parents. L’éducation des enfants et des parents à travers les écoles des parents aident l’association. L’apprentissage de la responsabilité passe par l’implication des bénéficiaires à leur projet de vie. Les contrats effectués entre les associations et les usagers constituent des outils de travail permettant d’engager les deux parties aux bonnes réussites du projet commun.
Mais mêmes les contrats devraient faire l’objet d’un consensus, le bénéficiaire ne doit pas seulement « bénéficier » et donc rester un sujet de développement, un sujet à réinsérer, il doit être un acteur de sa propre vie.
L’existence d’un contrat au préalable entre « bénéficiaires » , parents, familles, jeunes et l’association comme le cas du contrat pour la classe ASAMA est une forme d’engagement avec laquelle, l’association peut apprendre au parent leur rôle et l’importance du respect d’engagement et donc de la responsabilité. Ce contrat est en annexe de la fiche individuelle de chaque enfant (Annexe 2). Quand des projets individuels sont proposés par l’association aux familles, ils doivent être accompagnés d’un contrat permettant un lien plus fort aux deux parties.
En partant du cas de la réinsertion scolaire et professionnelle des enfants et des jeunes, RAVENEAU (2008) indique qu’après avoir privilégié pendant longtemps une logique de séparation se traduisant par une mise à l’écart des familles, on assiste aujourd’hui à une logique de maintien des liens où la psychologie occupe une place centrale. Il n’est plus possible légalement de faire sans la famille quoi qu’en disent les professionnels réfractaires à une telle évolution. Au nom du maintien des liens entre parents et enfants, des interventions et un suivi des enfants placés sont opérés en direction des familles, afin de les soutenir dans l’exercice de leurs fonctions éducatives.
Mais ne faut-il pas mobiliser les ménages, miser sur leurs ressources et leur capacité d’entreprendre, en mettant en place l’accompagnement social nécessaire.
Les personnes qui ont vécu la misère sont porteuses d’un savoir de vie sur ses causes et ses conséquences, sur les manières d’y résister, et sur l’ampleur des changements à opérer pour la faire disparaitre. Leur savoir est indispensable pour lutter efficacement contre l’exclusion expose GODINOT(2010).
Pour que la voix des plus défavorisés soit davantage entendue, la population « assistée » devrait être à même d’apporter des solutions, des propositions rationnelles à leur situation. Ce qui donnera une meilleure appropriation de leur travail, l’emploi qui lui est propre. Les programmes de développement sont souvent conçus pour les populations, et parfois pour leurs franges les plus délaissées. Ils sont plus rarement construits avec ces populations, avec l’objectif de ne laisser personne sur la touche. (op. cit)
« Les associations doivent apprendre aux familles ; à leur bénéficiaires à anticiper le futur, les actions ne doivent pas être ponctuelles, elles doivent être tournées vers l’avenir. Les associations doivent apprendre les gens à avoir une vision sur leur avenir, à penser à leur développement. Les bénéficiaires doivent être porteur de projet, c’est dans ce sens que l’on pourra espérer une vraie participation et une réelle appropriation » recommande un Responsable de projet environnemental axé sur le développement communautaire.
L’individu a besoin de s’approprier de la valeur et du devoir au sein de la famille. Il est nécessaire de renforcer ce lien familial pour que chaque membre de la famille puisse s’entraider et redoubler d’effort pour chercher du travail et ne pas attendre des autres. L’engagement personnel de chaque individu à faire face à leur vie n’est pas impossible, mais « réclame une longue gestation ». L’individu ne peut s’affirmer seul, c’est un travail.
L’individu cherche d’abord une issue individuelle, rejoint des associations qui lui prodigue des conseils puis le réfère ou même l’aident dans la recherche d’emploi.
Par l’intermédiaire de l’association, l’individu tisse un réseau et l’association doit jouer ce rôle pour que la personne puisse devenir autonome. En effet, le rôle de l’association ne doit pas se cantonner à répondre au besoin de base du jour.
C’est à partir d’une prise de conscience individuelle du sens de la responsabilité que l’on peut créer comme le sous tend GODINOT ( 2010 : 54) : « l’intelligence collective de la lutte contre la pauvreté et la misère ». La Banque mondiale réalisait une enquête auprès de population en situation de pauvreté, exceptionnelle par sa démarche et son ampleur, puisqu’il s’agissait de solliciter « les voix des pauvres » et de recueillir leur opinion dans une cinquantaine de pays en développement.
L’auteur propose de faire connaitre leur savoir d’expérience, d’encourager et de solliciter leur expression. En outre, il faut les associer à la définition des programmes nationaux de développement et de lutte contre la pauvreté et de reconnaître avec leur participation active, sans la mobilisation de leur savoir personnel et collectif, sinon toute lutte contre la pauvreté est vouée à l’échec ?
Repenser le travail social
Un travail de typologie du public d’intervention
Malgré une situation de pauvreté généralisée, les centres sociaux et les associations qui œuvrent pour les familles dites vulnérables sont confrontés à un public hétérogène. « Mais, c’est surtout une très grande diversité du public que les assistantes sociales doivent gérer. Le chômage et la précarité n’épargnent plus aucune catégorie » (COUSIN 1996).
Le rôle des services d’action sociale y est essentiel : leur technique de ciblage compromet les chances d’homogénéisation de la population disqualifiée (ce qui rend quasiimpossible tout mouvement social organisé ou action collective).
Développer un mécanisme de ciblage pour atteindre les groupes prioritaires et pour un meilleur accompagnement: tel est l’objectif que le travail social doit se fixer. Dans un contexte de pauvreté généralisée, la majorité de la population aspire à bénéficier d’une assistance publique. Ainsi, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes pour s’assurer que les ressources des programmes soient consacrées à la population ciblée. Cette activité est une condition préalable pour le pilotage et / ou l’expansion de tout programme de protection sociale. Les principaux mécanismes de ciblage utilisés à l’heure actuelle à Madagascar comprennent des ciblages par catégorie, des ciblages géographiques, de l’auto ciblage et des ciblages communautaires (Banque Mondiale, 2012).
Accompagner les familles dans le sens de l’autonomisation
Par définition, le travail social, « c’est le corps social en travail ». Michel Foucault qualifie le travail social comme la « grande fonction qui n’a pas cessé de prendre des dimensions nouvelles depuis des siècles, qui est la fonction de surveillance-correction». Le travail social participe à la production de la société, alors la nature du travail social consiste à faire accepter les normes collectives, éventuellement adaptées, au bénéficiaire de l’aide». (RANDRIANATOANDRO 2011 : 17)
Le travail social doit toujours tenir compte de l’ « autonomisation des familles dans le travail d’accompagnement. Les aides doivent se focaliser aux réponses d’urgence et l’allègement temporaire de la souffrance des personnes ». (Témoignage d’un Responsable d’une plate forme nationale d’ONG)
L’action des ONG se dirige vers l’auto responsabilisation des plus démunis, leur attribution à une tendance incitative (ANDRINIAINA, 2010)
En fait, un accompagnement de longue durée et de manière régulière nuisent aux personnes.
C’est pourquoi, l’association doit adopter une approche ouverte à l’autonomie. Ce qui demande une nouvelle réflexion sur le travail social. « La désintoxication ne sera pas facile, mais elle est nécessaire pour que l’aide ne transforme pas ses bénéficiaires en mendiants, mais les conduise plutôt à pouvoir se passer d’aide. C’est du système d’aide lui-même dont il faudra se débarrasser, car en plaçant des peuples sous assistance de pays étrangers, il instaure une hiérarchie qui est ressentie comme naturelle et qui nie l’égalité des peuples ».